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Le capitaine Pigerre

Paris, en 1871, aux jours sombres de la Commune. Complètement défaits, les fédérés, gardes nationaux au service de l'insurrection, se vengent sur les monuments de la ville et sur les otages. Quelques-uns de ceux-ci, dont l'archevêque Monseigneur Darboy, vont être fusillés. Adossés au mur les captifs attendent la mort. Une première décharge. Tous tombent, excepté l'archevêque.
" Il est donc blindé, celui-là " s'écrit un jeune fédéré, à la manche enrichie de galons.
Les détonations retentissent de nouveau.
L'archevêque chancelle. Et comme il lève la main, convulsion suprême, le fédéré ricane : "Tiens ! vieille carcasse, la voilà, ma bénédiction !" et elle tire un coup de feu sur le prélat qui tombe.L'ignoble personnage, le capitaine Pigerre, une femme transformée en officier, s'approche et achève sa victime à coups de crosse sur la tête. Le visage fut si défiguré qu'on ne put identifier Mgr Darboy que grâce à ses vêtements.
Deux jours après, nouvelle exécution : 37 gendarmes, 11 prêtres, 1 séminariste, 4 laïques, sont traînés de la Roquette à la rue Haxo. Une femme à cheval, un képi sur la tête, conduit le sinistre cortège, en habits de femme cette fois. Elle donne le signal du massacre. Plus tard elle se vantera d'avoir tué elle-même treize prêtres, dont le saint et admirable Père Olivaint, jésuite, fusillé à bout portant.
Cette misérable créature, de son vrai nom Louise Grimet, est née à Roanne le 1er mai 1835. Sa pieuse mère s'était empressée, dès sa première sortie, de porter sa fille au "mois de Marie", et de l'offrir à la Madone, comme une jolie fleur, toute blanche par son baptême.
Hélas la fleur n'a pas tardé à devenir vénéneuse. La pauvre enfant, ayant perdue de bonne heure sa maman, ce fut le foyer désorganisé, la jeune fille jetée à la rue dans des milieux aussi impies que débauchés. A Marseille, elle devint franc-maçonne, et son zèle antireligieux la fit choisir pour dignitaire de la Loge. Pourtant, un reste de vénération envers la Sainte Vierge n'a pas cessé de demeurer au fond d'elle-même et subsiste encore : il ne fait pas bon d'injurier Marie devant le capitaine Pigerre !
Un jour, à Lyon, un drôle ayant appelé Notre-Dame de Fourvière "la Marianne", Louise l'invectiva : "Vaurien ! Celle-là, on ne l'insulte pas", et d'une main vigoureuse, elle gifla le malappris.
En 1858, Louise Gimet, qui n'avait que vingt ans, s'était rendue en curieuse voir le curé d'Ars : "Votre heure n'est pas venue, lui dit le saint abbé Vianney.
Vous ferez beaucoup de mal, mais à cause de la dévotion que vous gardez encore à la divine Mère, vous finirez par vous convertir." Louise a bien ri, au moment, du bonhomme : " Me convertir ! s'est-elle écriée, et bien ! Il ne me connaît pas. Avant ça, il passera de l'eau sous les ponts du Rhône ! "
L'heure de Dieu cependant s'apprête à sonner pour la pécheresse.
Après la Commune, le terrible capitaine Pigerre, prise les armes à la main, se trouve emprisonné à saint Lazare, dont Mère Eléonore est supérieure. Celle-ci caresse le désir, insensé humainement, de gagner au Seigneur sa pensionnaire. " Je veux votre âme et je l'aurais " déclare la soeur au voile bleu.
- Elle n'en vaut pas la peine " répond Louise.
- Voilà une bonne parole d'humilité, presque de repentir... Tout est rachetable. Une goutte de sang de Jésus-Christ rachèterait le sang de mille mondes.

Et la religieuse au coeur d'apôtre revient à la charge :

"Le plus misérable, le plus souillé de crimes conserve encore la puissance d'aimer. Il suffit d'un regard, d'un signe, d'un muet appel vers Dieu, pour que le pardon divin fonde sur lui comme l'aigle. Ah ! ne doutez pas du coeur de Dieu !

- Le Curé d'Ars m'a bien dit que je me convertirais à cause de la Sainte Vierge. Tout de même, ce sera rudement difficile : je suis si coupable !

- Rien n'est impossible à Dieu : Jésus-Christ, sur la Croix, a versé son sang pour nous. Plus les crimes ont été grands, plus le pardon sera beau. "
Mère Eléonore prie et fait prier sa communauté et les pieux monastères.
Un jour vient où la tigresse s'adoucit, et finit par dire : " Eh bien ! si j'échappe à la justice je changerai de conduite, je vous le promets. "
Chose incroyable, Louise est libérée. Que va-t-elle faire ? Retourner à la loge ? ... Embrasser une nouvelle vie ? ...
Louise Grimet a donné sa parole, elle tient sa promesse. Dieu, en retour, la comble de ses dons.
Sur l'engagement de Mère Eléonore, la pénitente accepte de faire une retraite. On lui met dans les mains les sermons du père Olivaint sa victime. C'est le dernier coup, le triomphe complet de la grâce. C'est la rencontre du Bon Pasteur avec la brebis égarée !
Sa conversion fut entière. Mais le démon ne lâcha point cette proie sans grincement de dents. A Saint-Lazare, au Refuge de Doullens, on entendait parfois dans la cellule de la recluse un vacarme violent. Un jour, on la trouva par terre, le visage meurtri, des dents cassées : le diable se vengeait.

Ayant suivi, en 1888, Mère Éléonore à la Solitude de Montpellier, elle fit si bien par sa piété, sa douceur, son dévouement aux malades, et surtout sa dévotion à la Sainte Vierge, l'édification de la communauté, qu'on l'admit à l'état religieux le 15 août 1890, parmi les Filles de Marie, sous le nom de Soeur Marie-Éléonore. Nul, sauf la Supérieure, ne connaissait son passé. Elle menait généreusement la vie commune et semblait avoir retrouvé la paix. Mais un jour, on lut à l'atelier une page sur Mgr Darboy. Elle pâlit et, se sentant défaillir, elle dut quitter la salle.

Le 8 septembre 1893, elle fut frappée de paralysie, mais garda sa lucidité.
Sur son lit de mort, le 12 septembre 1893, on entendra le capitaine Pigerre, devenue soeur Marie-Eléonore, répondre à celle qui l'a convertie : " Non, je n'ai pas de crainte, ma Mère ; je me suis jetée toute entière dans les bras du Bon Dieu, dans le coeur de la Mère de miséricorde " .

Elle mourut le 12 septembre, fête du saint Nom de Marie.

Un orage effrayant éclata sur Montpellier au jour de l'enterrement. A l'heure où le corps quittait la Solitude, la foudre tomba sur le mur de clôture qui s'écroula avec fracas, comme si le malin, frustré de sa proie, ne pouvait contenir sa rage. Le mur a été reconstruit en retrait à cet endroit.

L'histoire de cette communarde, tueuse de prêtres devenue religieuse, reste un des plus saisissants exemples de l'irrésistible efficacité de la dévotion à la Sainte Vierge.


AD85 - Bulletin paroissial - Le Fenouiller - 1936
alexisclercmartyr.hautetfort.com/…/la-vie-du-pere-…
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apvs
Merci, @blanche52 :)
Décidément, Jeanne n'avait pas autour d'elle que des hommes au coeur tendre... Il y eut aussi parmi eux Antoine de Chabannes, l'un des maîtres du domaine de saint Fargeau, qui se rendit tristement célèbre pour avoir été, après avoir abandonné Jeanne à son sort, un des chefs des "écorcheurs", bande de routiers sans foi ni loi... Rapines et pillages sont le lot ordinaire …Plus
Merci, @blanche52 :)
Décidément, Jeanne n'avait pas autour d'elle que des hommes au coeur tendre... Il y eut aussi parmi eux Antoine de Chabannes, l'un des maîtres du domaine de saint Fargeau, qui se rendit tristement célèbre pour avoir été, après avoir abandonné Jeanne à son sort, un des chefs des "écorcheurs", bande de routiers sans foi ni loi... Rapines et pillages sont le lot ordinaire de ces hommes redoutés dans les campagnes, qui ravagent la Bourgogne, la Champagne et la Lorraine. A la fin de sa vie, sentant le gouffre de l'enfer tout près à s'ouvrir sous ses pieds, il se dit que quand même, financer la construction d'un monastère et d'un hospice, ce ne serait pas somme toute une si mauvaise idée, ce qu'il fit... Mais on ne sait rien de plus sur l'authenticité réelle de sa conversion ( enfin : JE ne sais rien de plus sur... :) )
blanche52
Très beau !
On pourrait rapprocher ça du sinistre compagnon de Ste Jeanne d'Arc, Gilles de Ray, coupable de tant de meurtres et de viols d'enfants, après le rappel à Dieu de Jeanne d'Arc.
Après qu'il fut pris, jugé et condamné à mort, certains s'étonnaient de son calme, il avait répondu : "Je sais que Dieu m'a pardonné !"
jili22
Dieu que c'est beau !