En Suède, le Pape vient-il célébrer un schisme ?

Article profond de Mgr Batut, Evêque de Blois

- L’histoire du peuple de Dieu est jalonnée de schismes
- La Réforme veut purifier le dépôt de la foi de tout ce que l’Église catholique a «ajouté»

Pour avancer dans l’unité, le dialogue doit être échange de dons


Est-ce un hasard ? Les deux plus grandes déchirures du corps de l’Église dessinent la forme de la Croix. Il y eut, située dans l’histoire par la date symbolique de 1054, la déchirure verticale entre Orient et Occident, qui sépara l’un de l’autre les deux poumons de l’Église ; et il y eut, cinq siècles plus tard, la déchirure horizontale entre le Nord et le Sud de l’Europe, connue sous le nom de Réforme, et d’où sortit, entre autres choses, le désastreux principe cujus regio, ejus religio (à chacun la religion du pays auquel il appartient) qui préparait les différentes formes de mainmise du pouvoir politique sur l’Église, et tout autant (bien qu’on le sache moins) cet athéisme d’État qui, usurpant le nom de laïcité, voudrait régir de plus en plus aujourd’hui tous les comportements dans notre pays.

Du jardin d’Éden à nos jours, une succession de déchirures

De quelque nom qu’on les appelle, les déchirures resteront toujours des déchirures et jamais des événements heureux : être condamné à n’avoir plus qu’un poumon pour respirer, c’est se retrouver handicapé pour la vie. Pour autant, on n’est jamais dispensé de se demander pourquoi Dieu permet les déchirures, et aussi quel parti il en tire : pour les amis de Dieu, en effet, toutes choses coopèrent en vue du bien (Romains 8, 28) – «même les péchés», ajoutait Claudel dans Le Soulier de Satin.

Les déchirures resteront toujours
des déchirures et jamais
des événements heureux

Cette règle se vérifie quand on se reporte à l’Écriture, qui fourmille de «protoschismes», c’est-à-dire de déchirures originelles. La mise au pluriel est nécessaire, car on peut dire sans paradoxe que l’histoire du salut progresse de déchirure en déchirure : déchirure entre Dieu et l’homme, entre l’homme et la femme, entre la femme et le serpent au moment du premier péché, et puis entre Caïn et Abel, Jacob et Ésaü, David et Saül, et puis encore, à l’intérieur du Peuple saint, entre le Nord et le Sud (déjà !), c’est-à-dire entre Israël et Juda – ce dernier restant porteur de la promesse faite à David, sans pour autant exclure l’autre, et au contraire pour mieux finalement l’inclure.

Il y a pire : lorsque nous méditons les Écritures, il nous semble parfois que ces déchirures sont suscitées, voire attisées, par Dieu Lui-même. Le meilleur exemple en est la déchirure qui traverse l’histoire de l’humanité entre Israël et les Gentils. Allez y comprendre quelque chose : Dieu a absolument voulu qu’Israël ne soit pas comme les autres ; et voilà qu’un beau jour, il se met à vouloir que les autres deviennent comme Israël ! On comprend qu’Israël se mette à regimber comme le fils aîné de la parabole, et dise à Dieu : voilà tant d’années que je te sers, et tu te mets en frais pour ces pécheurs de païens qui n’ont fait aucun effort pour te servir ! Et tu voudrais, par-dessus le marché, les mettre au même rang que moi !

Saint Paul médite sur cette déchirure prototypique tout au long du chapitre 11 de l’épître aux Romains. Sa réflexion devant un si grand scandale comporte un enseignement pour l’histoire ultérieure de l’Église et les multiples «faux pas» qui la jalonnent : «Si leur faux pas [en l’occurrence celui des juifs] a fait la richesse du monde, et leur amoindrissement la richesse des païens, que ne fera pas leur totalité !… [Et] si leur mise à l’écart fut une réconciliation pour le monde, que sera leur admission [dans le corps de l’Église], sinon une résurrection d’entre les morts !» (Rm 11, 12.15).

Hérésie ou retour aux origines ?

Certes, la transposition de ce drame sur les schismes qui jalonnent l’histoire de l’Église ne peut se faire sans précautions. Soulignons une différence tout à fait fondamentale : pour Israël, l’apparition du christianisme constitue une hérésie en ce sens qu’elle prétend ajouter au patrimoine de révélation dont Israël est porteur. Au contraire, pour l’Église catholique, les hérésies n’ajoutent rien, mais retranchent toujours quelque chose au trésor de l’Évangile. Le mot «hérésie», comme on sait, signifie «choix», et ce choix est opéré par la raison entre des vérités qui lui paraissent incompatibles ; par exemple, pour les Églises d’Orient, entre la plénitude de l’héritage apostolique remis à chaque Église particulière et la primauté de l’évêque de Rome ; ou encore, pour les communautés issues de la Réforme, entre l’égale dignité sacerdotale de tous les baptisés et l’existence au sein de l’Église d’un ministère spécifique confié à certains d’entre eux. À l’inverse, pour bien des chrétiens séparés (et en cela, il existe un rapport d’analogie entre eux et Israël), l’Église catholique a indûment ajouté au dépôt de la foi confié aux apôtres : on se souvient que c’est la découverte de la fausseté de cette accusation qui a fait mûrir la réflexion de Newman sur le développement du dogme, jusqu’à sa conversion à la foi catholique.

Les hérésies se sont toujours comprises
comme des retours aux origines

On comprend, de ce fait, pourquoi les hérésies se sont toujours comprises elles-mêmes comme des retours aux origines, et c’est le sens premier du mot «réforme» : aucun réformateur n’a eu l’intention d’ajouter, ou de dénaturer, mais au contraire il a voulu retrouver ce que l’usure du temps et le péché des hommes avaient progressivement enfoui.

Ecclesia semper reformanda ***

C’est là, peut-être, que nous pouvons mieux saisir la part de positivité des crises traversées par l’Église. D’une part, en effet, tout le monde s’accorde pour dire que l’Église est semper reformanda, toujours à réformer. D’autre part, tout le monde convient que cette réforme ne doit ni ajouter, ni retrancher, mais retrouver des éléments dont la conscience vive a été perdue. Tel est le sens du mot aggiornamento utilisé par saint Jean XXIII au moment de la convocation du concile Vatican II : plus que le sens de «mise à jour», aggiornamento a le sens de «mise au jour» de ce qui avait été oublié, qu’il s’agisse de pratiques (par exemple la «noble simplicité» dans la liturgie, ou la place de l’Écriture dans la formation chrétienne), de vérités (par exemple le fait qu’il n’y a qu’une source de la révélation et non pas deux), ou encore d’équilibre entre des vérités (par exemple la primauté pontificale et la collégialité épiscopale).

C’est là, encore, que peut s’avérer salutaire pour tous, ce que certains ont conservé, parfois jusqu’à l’exagération, du patrimoine commun de l’Église. Dans ce domaine, nous avons d’immenses services à nous rendre. Je me souviens par exemple d’avoir entendu un jour le pasteur luthérien Marc Chambron raconter que, dans sa jeunesse, les luthériens les plus «éclairés» ne se rendaient au culte que pour écouter la prédication, mais se retiraient lorsqu’on passait à la sainte Cène, considérée par eux comme une dévotion superflue, tout juste bonne pour le petit peuple sans instruction. À la même époque, la majorité des catholiques considérait de son côté que pour avoir participé à la messe, il suffisait d’être arrivé à l’église avant l’offertoire, car la messe consistait pour eux essentiellement dans la liturgie eucharistique, tandis que la liturgie de la Parole était considérée comme un simple préalable à cette dernière. On voit sans peine, à partir de cet exemple pris parmi bien d’autres, quels services luthériens et catholiques ont pu se rendre pour s’aider mutuellement à redécouvrir un trésor en partie oublié par les uns et par les autres – en l’occurrence celui de l’unité de la liturgie dominicale, avec l’unique table de la Parole et de l’eucharistie (car il n’y a pas «deux tables» comme on le dit parfois, mais une seule !). Et l’on pourrait sans peine trouver d’autres exemples.

Qu’ils soient un !

Dans son encyclique sur l’unité des chrétiens, la première de ce genre dans l’histoire de l’Église (1995), saint Jean-Paul II nous propose une belle définition du dialogue : le vrai dialogue, nous dit-il, ne se limite jamais à un échange d’idées ; «en quelque manière, il est toujours un échange de dons» (Ut unum sint, 28). Un tel échange se doit évidemment d’être lucide et sans compromis : il n’a jamais été question, pour l’Église catholique, de réduire l’œcuménisme à la recherche d’un plus petit dénominateur commun. Pour autant, il ne peut jamais oublier que la vérité n’est jamais en arrière de nous, comme une chose dont nous pourrions nous emparer ou nous attribuer le monopole, mais toujours en avant, comme une personne dont la foi, l’espérance et la charité nous font nous rapprocher sans cesse : la Personne du Christ. Sur ce chemin commun, nous invoquons ensemble l’assistance de l’Esprit Saint, dont Jésus nous a promis qu’il nous guiderait «vers la vérité tout entière».
† Jean-Pierre Batut
Évêque de Blois

*** – Cet adage vient du théologien mystique Jean Gerson (1363-1429), chancelier de l’Université de Paris. L’Église réformée l’a repris à son compte au XVIIème siècle : «Ecclesia reformata semper reformanda».

source
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dvdenise a publié : " Un son de cloche d'un ex-Luthérien sur la visite du Pape " www.youtube.com/watch
Merci pour ce lien vidéo chère dvdenise. Présentation : " Au terme du voyage du pape François en Suède les 31 octobre et 1er novembre 2016, et de sa participation à la commémoration des 500 ans de la Réforme conjointement avec la Fédération Luthérienne, retour sur la portée oecuménique …Plus
dvdenise a publié : " Un son de cloche d'un ex-Luthérien sur la visite du Pape " www.youtube.com/watch

Merci pour ce lien vidéo chère dvdenise. Présentation : " Au terme du voyage du pape François en Suède les 31 octobre et 1er novembre 2016, et de sa participation à la commémoration des 500 ans de la Réforme conjointement avec la Fédération Luthérienne, retour sur la portée oecuménique de cette visite avec Ulf Ekman. Suédois, ancien pasteur luthérien, fondateur d'une megachurch évangélique, il a choisi de rallier Rome et le catholicisme il y a deux ans et demi. Très attentif aux différents gestes et paroles échangées entre Luthériens et Catholiques, il livre son point de vue à Etienne Loraillère, envoyé spécial de KTO en Suède. "
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Rappel des développements du magistère catholique en matière d’œcuménisme :
Déclaration " Dominus Iesus " ( sur l'unicité et l'universalité salvifique de Jésus-Christ et de l'Eglise, Congrégation pour la doctrine de la Foi, 2000 ) :
« Par l'expression subsistit in, le Concile Vatican II a voulu proclamer deux affirmations doctrinales : d'une part, que malgré les divisions entre chrétiens, …Plus
Rappel des développements du magistère catholique en matière d’œcuménisme :

Déclaration " Dominus Iesus " ( sur l'unicité et l'universalité salvifique de Jésus-Christ et de l'Eglise, Congrégation pour la doctrine de la Foi, 2000 ) :

« Par l'expression subsistit in, le Concile Vatican II a voulu proclamer deux affirmations doctrinales : d'une part, que malgré les divisions entre chrétiens, l'Église du Christ continue à exister en plénitude dans la seule Église catholique ; d'autre part, « que des éléments nombreux de sanctification et de vérité subsistent hors de ses structures », c'est-à-dire dans les Églises et Communautés ecclésiales qui ne sont pas encore en pleine communion avec l'Église catholique. Mais il faut affirmer de ces dernières que leur « force dérive de la plénitude de grâce et de vérité qui a été confiée à l'Église catholique » (IV. UNICITÉ ET UNITÉ DE L'ÉGLISE)

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Encyclique "Ut unum sint" ("Qu'ils soient un", 1995) de S. Jean-Paul II

« Par la grâce de Dieu, ce qui appartient à la structure de l'Eglise du Christ n'a pourtant pas été détruit, ni la communion qui demeure avec les autres Eglises et Communautés ecclésiales.
En effet, les éléments de sanctification et de vérité présents dans les autres Communautés chrétiennes, à des degrés différents dans les unes et les autres, constituent la base objective de la communion qui existe, même imparfaitement, entre elles et l'Eglise catholique. Dans la mesure où ces éléments se trouvent dans les autres Communautés chrétiennes, il y a une présence active de l'unique Eglise du Christ en elles. C'est pourquoi le Concile Vatican II parle d'une communion réelle, même si elle est imparfaite. La constitution Lumen gentium souligne que l'Eglise catholique « se sait unie pour plusieurs raisons » avec ces Communautés, par une certaine et réelle union, dans l'Esprit Saint.»

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Constitution dogmatique Lumen Gentium (Et CEC de 1997)

14. Les fidèles catholiques

« Appuyé sur la Sainte Écriture et sur la Tradition, le Concile enseigne que cette Église en marche sur la terre est nécessaire au salut. Seul, en effet, le Christ est médiateur et voie de salut : or, il nous devient présent en son Corps qui est l’Église ; et en nous enseignant expressément la nécessité de la foi et du Baptême, c’est la nécessité de l’Église elle-même, dans laquelle les hommes entrent par la porte du Baptême, qu’il nous a confirmée en même temps. C’est pourquoi ceux qui refuseraient soit d’entrer dans l’Église catholique, soit d’y persévérer, alors qu’ils la sauraient fondée de Dieu par Jésus-Christ comme nécessaire, ceux-là ne pourraient être sauvés ».

15. Les liens de l’Église avec les chrétiens non catholiques

Avec ceux qui, étant baptisés, portent le beau nom de chrétiens sans professer pourtant intégralement la foi ou sans garder l’unité de la communion sous le Successeur de Pierre, l’Église se sait unie pour de multiples raisons. Il en est beaucoup, en effet, qui tiennent la Sainte Écriture pour leur règle de foi et de vie, manifestent un zèle religieux sincère, croient de tout leur cœur au Dieu Père tout-puissant et au Christ Fils de Dieu et Sauveur, sont marqués par le baptême qui les unit au Christ, et même reconnaissent et reçoivent d’autres sacrements dans leurs propres Églises ou dans leurs communautés ecclésiales. Plusieurs d’entre eux jouissent même de l’épiscopat, célèbrent la sainte Eucharistie et entourent de leur piété la Vierge Mère de Dieu. À cela s’ajoute la communion dans la prière et dans les autres bienfaits spirituels, bien mieux, une véritable union dans l’Esprit Saint, qui, par ses dons et ses grâces, opère en eux aussi son action sanctifiante et dont la force a permis à certains d’entre eux d’aller jusqu’à verser leur sang. Ainsi, l’Esprit suscite en tous les disciples du Christ le désir et les initiatives qui tendent à l’union pacifique de tous, suivant la manière que le Christ a voulue, en un troupeau unique sous l’unique Pasteur. À cette fin, l’Église notre Mère ne cesse de prier, d’espérer et d’agir, exhortant ses fils à se purifier et à se renouveler pour que, sur le visage de l’Église, le signe du Christ brille avec plus de clarté.»
Francesco I
AveMaria44
Ecclesia semper reformanda est is a phrase first used by Karl Barth in 1947. It refers to the conviction of certain Reformed Protestant theologians that the church must continually re-examine itself in order to maintain its purity of doctrine and practice. An early example is Jodocus van Lodenstein, Beschouwinge van Zion, Amsterdam, 1674-1678, who claims the "truth [...] that also in the Church …Plus
Ecclesia semper reformanda est is a phrase first used by Karl Barth in 1947. It refers to the conviction of certain Reformed Protestant theologians that the church must continually re-examine itself in order to maintain its purity of doctrine and practice. An early example is Jodocus van Lodenstein, Beschouwinge van Zion, Amsterdam, 1674-1678, who claims the "truth [...] that also in the Church there is always much to reform".