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Des archives qui témoignent de l’histoire sombre du pensionnat de Kamloops

Des documents d'archives obtenus par CBC révèlent l'ampleur des atrocités subies au pensionnat de Kamloops, où des restes de 215 enfants ont été découverts ce printemps.

Environ 300 enfants et le personnel du pensionnat posent devant l'édifice.

Une photo de groupe prise en 1931.

Photo : Centre national pour la vérité et la réconciliation

Radio-Canada

Des cas de rougeole soignés avec des pansements à la moutarde et du cognac. Les embryons avortés de jeunes filles abusées par des prêtres jetés dans la fournaise. Sans oublier les victimes de suicide dont les corps sont possiblement enterrés dans le verger du pensionnat. Voilà certaines des atrocités qui émergent de témoignages entendus lors de la Commission de vérité et réconciliation et de quelques documents accessibles de l’ancien ministère des Affaires indiennes auxquels CBC a eu accès.

AVERTISSEMENT : cet article contient des détails qui peuvent heurter certains lecteurs.

La découverte récente de traces sous terre des corps de 215 enfants autochtones à Kamloops vient éclairer le manque d'informations accessibles pour comprendre ce qui s’est réellement passé dans ce pensionnat de Colombie-Britannique.

Le Centre national pour la vérité et la réconciliation, qui est dépositaire des documents confiés à la commission du même nom, a obtenu des preuves confirmant 51 décès à l'établissement.

Or, le ministère a détruit trois volumes de dossiers funéraires du pensionnat, si l’on se fie à la liste tenue à jour par les Archives nationales du Canada. Et la diffusion de certains documents des autorités religieuses de l’époque pose problème.

Le destin tragique des victimes de pensionnats pour Autochtones

Consulter le dossier complet

Une femme autochtone se recueille près de souliers d'enfants déposés sur des marches en ciment.

Parmi les documents restants se trouvent une dizaine d'avis de décès rédigés par le ministère des Affaires indiennes, qui éclairent d’une manière parfois crue les conditions de vie des pensionnaires autochtones dans les années 1930-1940.

Un document officiel rédigé en anglais et daté de 1937.

Une image de l'acte de décès de Mary François, conservé par le ministère des Affaires indiennes. (Centre national pour la vérité et la réconciliation)

Photo : Gracieuseté

Ainsi, lors d'une épidémie de rougeole en 1937 au pensionnat de Kamloops, une infirmière a donné à l'élève Mary François de l'aspirine, des pansements à la moutarde et du cognac, quand la jeune fille est tombée malade le 3 mai, indique l'avis.

Le 10 mai, Mary a été emmenée en voiture à l'hôpital voisin. On lui a alors diagnostiqué une pneumonie, deux otites bactériennes et une inflammation des reins. Ce jour-là, le directeur de l'école a envoyé une lettre à ses parents, mais ces derniers ne l'ont jamais reçue. L'agent de liaison local a téléphoné à la famille le matin du 13 mai. Toutefois, lorsque les parents sont arrivés à l'hôpital ce soir-là, il était déjà trop tard.

Les documents gardent aussi trace de plusieurs autres cas comme ceux de Florence Morgan ou de Leslie Lewis, victimes collatérales des épidémies de rougeole qui sévissaient à l’époque et pour lesquelles l’établissement ne semble pas avoir pris de mesures appropriées.

Un imposant édifice sur 4 niveaux avec au fond les montagnes.

Une vue du pensionnat St-Eugène de Kamloops (date inconnue) qui a été en activité de 1890 à 1978.

Photo : Centre national pour la vérité et la réconciliation

Lors d'une épidémie, il est impossible d'isoler correctement les patients et les contacts, a écrit l’agent de liaison autochtone du ministère. Le besoin de quartiers séparés pour héberger les enfants malades est évident. Au pensionnat de Kamloops, les cinq dortoirs pouvaient accueillir 285 élèves.

Mais les vagues de rougeole ou de tuberculose n’expliquent qu’en partie la mortalité au pensionnat. CBC News a eu accès à des documents historiques ainsi qu'à un livre épuisé qui, avec l'histoire orale des survivants, mettent en lumière la vie et la souffrance des élèves qui ont fréquenté l'école.

Cauchemars récurrents

Certains se sont noyés dans la rivière Thompson, qui coulait à proximité. D’autres, fuyant l'école, ont essayé de sauter dans les trains et sont morts. Plusieurs se sont suicidés.

Dans le groupe de mon frère, un jeune garçon s'est pendu dans la salle de bain, raconte Gerry Oleman, originaire de la Première Nation St'át'imc de Colombie-Britannique. Encore aujourd'hui, ceux qui en ont été témoins s'en souviennent. Ils en font encore des cauchemars, ajoute-t-il.

Le suicide hante également les histoires de survivants rassemblées dans le livre Behind Closed Doors : Stories from the Kamloops Indian Residential School, publié par la Secwepemc Cultural Society en 2001.

Cité dans l'ouvrage, James Charles connaissait trois garçons qui se sont suicidés lors de son passage au pensionnat, entre 1964 à 1978. Un suicide a eu lieu sur les balançoires à côté du bâtiment marron, a-t-il témoigné dans Behind Closed Doors. Personne ne pouvait comprendre comment cela a pu se produire, car cela s'est passé en plein jour, le ciel était bleu, le soleil brillait.

Charles raconte qu’un autre enfant s’est pendu à la corde de la cloche et qu’un troisième a été trouvé dans le verger.

Je pense que le souvenir de ces suicides a joué un grand rôle dans la colère que j'avais refoulée à l'intérieur de moi.

Une citation de James Charles, un ancien pensionnaire

Un autre survivant cité dans le livre, Eddy Jules, évoque des avortements et la fonction jouée par l’une des fournaises du pensionnat. Nous tous qui allions à l'école entendions le bruit de la machine, et nous disions : ''Oh, c'est l'amie d'untel, et ils l'ont fait avorter'', a-t-il évoqué, notant l'étrangeté du fait d’allumer le chauffage quand il ne faisait pas froid.

Le sénateur à la retraite Murray Sinclair a déclaré lors d'une récente entrevue avoir également entendu des témoignages similaires lorsqu’il a présidé la Commission de vérité et réconciliation.

Murray Sinclair au Sénat.

Le sénateur Murray Sinclair a présidé la Commission de vérité et réconciliation.

Photo : The Canadian Press / Fred Chartrand

Certains survivants ont parlé de nourrissons nés de jeunes filles dans les pensionnats. Des nourrissons dont le père était un prêtre, qui leur ont été enlevés et délibérément tués, parfois jetés dans des fournaises, nous a-t-on dit, a précisé le sénateur.

Malgré toutes ces preuves de décès au pensionnat, aucune trace de cimetière à l'établissement de Kamloops. Sœur Marie Zarowny, présidente du conseil d'administration de l'Ordre de Sainte-Anne, qui a fourni des enseignants et des infirmières à l'école, a déclaré à CBC News qu'un incendie a détruit les 30 premières années d'archives de l'établissement.

Les archives au cœur d'un imbroglio

Marie Zarowny dit qu'à sa connaissance, aucun élève n'a jamais été enterré sur le terrain de l'école, mais d'anciens élèves évoquent des corps possiblement enterrés dans le verger.

Sœur Zarowny a déclaré que si un enfant mourait à l'hôpital Royal Inland, le corps n’était pas retourné à l'école. Et si un élève mourait à l'école, le corps était renvoyé dans sa communauté d'origine pour y être enterré.

Un religieux pose pour la photo avec de jeunes enfants souriants.

Les Oblats de Marie Immaculée, la congrégation religieuse qui a administré le pensionnat de Kamloops jusqu'en 1969, ont présenté leurs excuses en 1991.

Photo : Centre national pour la vérité et la réconciliation

Nous avons pleuré ces enfants à l'école. Nous avons organisé une cérémonie pour eux, mais ils ont été rendus à leurs parents, a-t-elle affirmé. Les archives dont une partie a été détruite dans un incendie pourraient en dire plus, mais leur diffusion est au cœur d’un imbroglio entre les différentes autorités compétentes.

Il y a beaucoup de documents dans les archives de l'église que nous n'avons jamais pu consulter, souligne Tom McMahon, l'ancien avocat général de la Commission de vérité et réconciliation.

Me McMahon a déclaré que l'une des sources potentiellement les plus riches de témoignages de survivants est détenue par le ministère fédéral de la Justice dans des documents relatifs à environ 4000 poursuites civiles déposées par des survivants contre le Canada et les diverses églises qui géraient des pensionnats. Il soutient que la plupart de ces dossiers n'ont jamais été remis à la Commission.

Des enfants otages

Les dossiers relatifs aux pensionnats sont parmi les plus sensibles au ministère des Services aux Autochtones Canada, selon l’historien et professeur John Millroy, auteur de A national crime, un livre référence dans le domaine.

Selon lui, l'un des objectifs des pensionnats était de tenir les enfants en otages pour s'assurer de la bonne conduite de leurs parents. Le professeur évoque notamment une lettre de 1886 envoyée par l'inspecteur d'école J.A. Mcrea au commissaire aux Indiens : Il est peu probable qu'une tribu ou des tribus causent des problèmes de nature sérieuse au gouvernement dont les membres ont des enfants complètement sous le contrôle du gouvernement, écrit-il.

À l'époque, soutient M. Milloy, le Canada voulait éviter une propagation sur son territoire des guerres indiennes qui se déroulaient au sud de la frontière et craignait notamment que de nouveaux conflits n'apparaissent, à l'image de la rébellion menée par le Métis Louis Riel en 1885.

Une ligne d'écoute téléphonique nationale pour les pensionnats indiens a été mise en place pour fournir un soutien aux anciens élèves et aux personnes touchées. Les gens peuvent accéder à des services d'aiguillage émotionnel et de crise en appelant la ligne de crise nationale 24 heures sur 24 : 1 866 925-4419.

D'après un texte de Jorge Barrera de CBC

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