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La COVID-19 fait exploser la faim dans le monde

Un jeune garçon se tient la tête entre les mains.

Les déplacés et réfugiés souffrent particulièrement des restrictions dues au coronavirus, comme cette famille malienne dans un camp de Bamako, le 2 avril 2020.

Photo : Getty Images / MICHELE CATTANI

L’insécurité alimentaire mondiale va s’aggraver de façon marquée en raison de la pandémie. Le Programme alimentaire mondial (PAM) prévoit que le nombre de personnes souffrant de la faim devrait presque doubler, passant de 149 à 270 millions avant la fin de l’année.

Les organismes qui viennent en aide aux plus démunis sonnent l’alarme depuis plusieurs mois : la pandémie empire la situation dans les pays où l’insécurité alimentaire était déjà très importante et crée de nouveaux épicentres.

Selon les projections de l’organisation humanitaire Oxfam, d’ici la fin de l’année, entre 6000 et 12 000 personnes pourraient mourir quotidiennement des impacts économiques et sociaux de la pandémie, soit plus que celles qui meurent du virus lui-même.

Des foyers de famine extrême

Dans plusieurs pays, le virus survient dans un contexte fragile. C’est le cas notamment dans la région du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger, Tchad, Sénégal et Nigeria), un des foyers de famine extrême identifiés par Oxfam.

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Une représentation du coronavirus.

Avant la pandémie, plus de la moitié des habitants de la région souffraient déjà d’insuffisance alimentaire, en raison des conflits armés et des changements climatiques.

Avec le confinement mis en place par les gouvernements pour contenir la propagation du coronavirus, leur situation s’est encore détériorée, explique Azara Remalia, conseillère en justice alimentaire pour Oxfam en l’Afrique de l’Ouest. Les mesures de restriction de la mobilité ont fortement contribué à renforcer la vulnérabilité de ceux qui étaient déjà en phase de stress alimentaire, souligne-t-elle. De plus, de nouvelles personnes qui n'étaient pas à risque se sont retrouvées sans emploi et sont donc venues grossir le nombre de personnes vulnérables.

Vendeurs de rue, employés domestiques, chauffeurs, journaliers... En Afrique, 86 % des travailleurs sont informels et ne disposent d'aucun filet social.

Une femme vend des pains.

Le marché d'Adjame, à Abidjan, en Côte-d'Ivoire, le 5 juin 2020

Photo : Getty Images / ISSOUF SANOGO

Avec la mise en quarantaine, il était interdit de sortir pour aller travailler, raconte Mme Remalia, une catastrophe pour les travailleurs du secteur informel, qui n’ont aucune sécurité d’emploi. Ceux qui ne pouvaient pas travailler ne gagnaient aucun revenu et ne pouvaient pas s'acheter à manger, explique-t-elle. Même ceux qui avaient des réserves d'argent ne pouvaient pas accéder à la nourriture, parce qu’entre les zones de production et les marchés urbains, il n'y avait plus de liaison de transport.

Il y a eu une inaccessibilité à la fois physique et financière à la nourriture.

Une citation de Azara Remalia, conseillère pour Oxfam au Burkina Faso

Les petits producteurs n'ayant plus la possibilité d’écouler leur production et ne disposant pas des infrastructures nécessaires pour la stocker, ils ont perdu leur récolte et les revenus qu’elle devait engendrer.

Conséquence : dans la région, le nombre de personnes souffrant de la faim de façon critique est passé de 11 à 17 millions.

Des restrictions sévères

Au Sahel comme ailleurs, ce qui fait le plus mal pour le moment n’est pas la pandémie en elle-même, mais plutôt le confinement mis en place pour ralentir sa progression.

Les restrictions de mobilité transfrontalière ont, par exemple, empêché les éleveurs de déplacer leur bétail sur de meilleurs pâturages entre mars et juin, ce qui a mis en péril les troupeaux, explique Mme Remalia. Les éleveurs n’ont pas pu converger vers les zones où ils ont l’habitude de faire paître leurs troupeaux, qui n’avaient plus accès aux pâturages ni aux points d’eau.

Un homme attend à côté d'une charrette remplie de bidons d'eau et tirée par des ânes.

Des éleveurs peuls remplissent leurs réservoirs d'eau à Barkedji, au Sénégal, le 29 mai 2020. À cause des restrictions dues à la COVID-19, ils ne peuvent emmener leurs troupeaux dans des régions moins arides et doivent payer cher pour s'approvisionner en eau.

Photo : Getty Images / JOHN WESSELS

Les mesures de confinement ont également perturbé l’approvisionnement, note Rob Vos, de l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires, à Washington. À cause des couvre-feux, il n’était plus possible de transporter les fruits et légumes la nuit; il a fallu le faire le jour, avec la chaleur, ce qui a entraîné plus de pertes.

En général, c’est surtout la nourriture périssable qui a souffert des perturbations. En Amérique du Nord et en Europe, des récoltes ont notamment été perdues à cause du manque de main-d’oeuvre, puisque les restrictions de transport ont empêché le déplacement des travailleurs migrants.

Conséquence : les prix des produits frais ont augmenté et, ce faisant, les ont placés hors d’atteinte pour certains.

Comme il y a moins d'offre, les prix augmentent. Donc, les gens n’en achètent plus et se tournent plutôt vers des aliments moins chers, moins nutritifs.

Une citation de Rob Vos, directeur de la division Marchés, commerce et institutions à l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires

Dangers à long terme

Autre problème : avec les restrictions de mobilité liées à la pandémie, l’aide alimentaire parvient plus difficilement à ceux qui en ont besoin. Ainsi, avec la fermeture des écoles, quelque 364 millions d’écoliers ne reçoivent plus les repas scolaires qui leur permettaient de combler leurs besoins nutritionnels.

Selon l’organisation Save the Children, 67 000 enfants sont à risque de mourir de faim d’ici la fin de l’année en Afrique subsaharienne. Ceux qui n’en mourront pas pourraient voir leur croissance et leur développement cognitifs entravés par la malnutrition.

De plus, les jeunes pourraient en sentir les conséquences pendant longtemps. Selon une étude de la Banque mondiale, la fermeture des écoles pendant cinq mois entraînera, si aucune mesure compensatoire n’est prise, une diminution de revenus de 16 000 $ pendant la durée de vie des élèves concernés.

Trois enfants mangent, assis sur le trottoir.

Ces jeunes Sud-Africains déjeunent d'une bouillie offerte par une organisation caritative dans la banlieue de Westbury, à Johannesburg, le 23 mai 2020.

Photo : Getty Images / MARCO LONGARI

Le fait de ne pas pouvoir aller à l'école a de nombreuses conséquences sur les enfants : ils n'ont pas la possibilité d'apprendre, ils peuvent sauter leur repas le plus nutritif de la journée, et trop d'élèves (en particulier les filles) peuvent perdre la possibilité de terminer leur l'éducation, ce qui les empêchera de réaliser leur plein potentiel, souligne dans un communiqué Annette Dixon, vice-présidente de la Banque mondiale pour le développement humain.

Le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), pour sa part, estime que l’indice de développement humain mondial, qui mesure l'éducation, la santé et le niveau de vie, pourrait même décliner pour la première fois depuis sa conceptualisation en 1990.

Les pays développés écopent aussi

La pandémie a également fait augmenter l’insécurité alimentaire au Québec, note Geneviève Mercille, professeure adjointe au Département de nutrition de l’Université de Montréal.

Il y a plusieurs degrés d’insécurité alimentaire : au premier niveau, on s’inquiète de ne pas avoir assez d’argent pour s'alimenter, au deuxième niveau, on doit faire des compromis sur la qualité et la quantité de ce qu’on achète et, au troisième niveau, on souffre carrément de la faim.

Le nombre de personnes en situation d'insécurité alimentaire a plus que doublé, passant de 11 % avant la pandémie à 26 % au début du mois d’avril, soit avant que les mesures de soutien gouvernemental n'entrent en vigueur.

Avant que les prestations d'urgence gouvernementales n'aient été mises en place, il s'est passé un gros mois. Cela a plongé beaucoup de gens dans une situation de précarité subite.

Une citation de Geneviève Mercille, professeure adjointe au Département de nutrition de l’Université de Montréal

La pandémie a fait augmenter l'insécurité alimentaire des personnes vulnérables, qui ont perdu l’accès à des mesures de soutien, comme les repas scolaires à prix réduit et les soupes populaires.

Une banque alimentaire.

Les banques alimentaires ont été très sollicitées au début de la pandémie.

Photo : Radio-Canada / Marielle Guimond

Cependant, des personnes de la classe moyenne se sont retrouvées, elles aussi, dans une situation difficile. Les gens dans les organismes communautaires disent avoir vu beaucoup de nouveaux visages de gens qui faisaient une demande d’aide alimentaire, note Mme Mercille.

La chercheuse précise que ceux qui sollicitent de l’aide constituent une minorité. Demander de l'aide alimentaire, c'est l'ultime recours, quand toutes les autres stratégies ont été épuisées, remarque Mme Mercille.

Depuis ce printemps, la crise s’est résorbée en partie, et le nombre de personnes souffrant d’insécurité alimentaire se chiffre désormais à 15 %. Ce pourcentage sous-estime toutefois la réalité, précise Mme Mercille, puisque les enquêtes les plus récentes, menées en ligne, ne parviennent pas à rejoindre la population la plus vulnérable.

Ce qui est clair pour la chercheuse, c’est que les mesures de soutien gouvernemental ont rempli un rôle essentiel. Cette baisse [du nombre de personnes vulnérables], on est capable de l'attribuer directement à des politiques de soutien au revenu comme la Prestation canadienne d'urgence [PCU], dit-elle.

Si les fonds injectés par le gouvernement ont été une bouée de sauvetage pour un certain nombre de Canadiens, tout comme dans d'autres pays développés, ce ne sont pas tous les pays qui ont les moyens de venir ainsi en aide à leurs citoyens, et encore moins si les sombres prévisions sur la croissance mondiale se concrétisent.

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