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Volodymyr Zelensky n’a pas appelé à « tuer un par un » les Russes

Une déclaration du président ukrainien, se réjouissant des tensions dans le haut commandement russe, a été détournée par les relais francophones du Kremlin.

Par  et

Publié le 04 octobre 2022 à 10h23, modifié le 04 octobre 2022 à 20h01

Temps de Lecture 3 min.

Dans une allocution, le 1er octobre, dans la soirée, Volodymyr Zelensky a averti les hauts responsables russes qu’ils seraient éliminés un par un pour couvrir l’échec du Kremlin. Une déclaration qui a été abusivement présentée comme un appel au génocide par les prorusses.

Un appel au génocide du peuple russe. C’est ainsi qu’a été perçu, dans les sphères pro-Poutine françaises, le discours du président ukrainien, dans la soirée de samedi 1er octobre. Selon un extrait du live de BFM-TV partagé sur Twitter, Volodymyr Zelensky aurait prévenu, dans son allocution vidéo quotidienne, « les Russes » qu’ils seraient « tués un par un (…) tant que Poutine sera au pouvoir ». Florian Philippot, président des Patriotes, a commenté ce tweet en s’offusquant : « D’accord donc en fait on soutient, finance et arme un génocidaire ? ! »

« L’extermination “un par un de tous les civils russes” (…) s’apparente à du nazisme pur et dur », a surenchéri François Asselineau, ancien candidat souverainiste à la présidentielle. Reprenant, par ces mots, la propagande du Kremlin selon laquelle l’Ukraine aurait à sa tête un gouvernement néonazi russophobe.

Pourquoi c’est trompeur

Dans son discours, dont le prononcé en ukrainien est disponible sur le site officiel de la présidence de l’Ukraine, à aucun moment Volodymyr Zelensky n’a appelé à tuer des Russes. D’ailleurs, il n’emploie même pas le terme « tuer » (убивати/вбивати [forme imperf.] убити/вбити [perf.]).

La traduction en anglais par le site officiel de la présidence ukrainienne (« killed ») comme en français par l’Agence France-Presse (« tués ») est, en effet, erronée. « Celui qui connaît l’ukrainien et qui a traduit le discours ne peut pas ne pas savoir que вибивати (vybyvaty) ne signifie pas “tuer” », relève Oleg Chinkarouk, professeur de linguistique ukrainienne à l’Institut des langues et civilisations orientales (Inalco) de Paris.

Comme l’indique son préfixe vy, équivalent d’out en anglais, ce verbe a un sens spatial, celui de « dégager » ou « faire dégager », que ce soit littéralement ou, comme ici, au sens figuré.

Une mise en garde aux responsables russes

Mais, quelle que soit la juste traduction du verbe vybyvaty, la formulation de l’AFP laissait penser que le sujet en était les Ukrainiens eux-mêmes, et non les Russes. Un contresens, car loin d’un appel au meurtre que croient pouvoir dénoncer certains, il s’agissait d’une mise en garde adressée aux hauts responsables russes, pour leur rappeler que le Kremlin pourrait se débarrasser d’eux tôt ou tard.

Volodymyr Zelensky explique que les hauts gradés russes se retournent les uns contre les autres, à la recherche de coupables de leurs échecs. Il extrapole, prédisant aux soutiens politiques du président russe, Vladimir Poutine, le même sort que celui de plusieurs généraux, y compris le ministre de la défense et le chef d’état-major, lesquels ont été soit limogés, soit écartés par Poutine à cause d’échecs militaires russes.

La traduction du passage en question, en français :

« D’ailleurs, eux, là-bas [en Russie], ont déjà commencé à se déchirer entre eux : on cherche les coupables, on impute à des généraux la responsabilité des échecs. C’est le premier signal qui devrait être entendu à tous les niveaux du pouvoir russe.

Tant que vous tous n’aurez pas résolu le problème que représente celui qui est à l’origine de tout ça, celui qui a commencé cette guerre contre l’Ukraine dénuée de sens pour la Russie, on [Poutine] vous fera dégager l’un après l’autre, en faisant de vous des boucs émissaires pour ne surtout pas avoir à admettre que cette guerre est une erreur historique pour la Russie. »

Pour Oleg Chinkarouk, transformer ce passage en supposé appel au génocide est un détournement « scandaleux et inadmissible. »

Trompés par un « urgent » de l’AFP

Une partie de la confusion peut provenir de l’origine de l’information. La plupart des médias francophones s’appuient, en particulier pour l’actualité internationale, sur les dépêches de l’Agence France-Presse (AFP). Alors que la réaction du président ukrainien était très attendue après l’annexion de quatre régions ukrainiennes par la Russie, l’AFP a d’abord diffusé une version très condensée, à partir de la version anglaise fautive de la déclaration de Volodymyr Zelensky. Cette dépêche, appelée un « urgent », destinée à alerter les rédactions d’une information importante, a été publiée à 21 h 53 :

« Zelensky aux Russes : “Vous serez tués un par un” tant que Poutine sera au pouvoir. »

Une deuxième dépêche, publiée six minutes plus tard par l’AFP, précisait que la phrase s’adressait « aux Russes, et en particulier aux responsables gouvernementaux », sans toutefois corriger l’erreur de traduction. Ce sont ces dépêches que de nombreux médias français ont choisi de reprendre comme titre, quitte à être plus nuancés au sein de leur article.

En revanche, aucune agence de presse ni aucun média n’a écrit que Volodymyr Zelensky visait « les civils russes », contrairement à ce qu’affirme M. Asselineau. Il s’agit d’une pure invention des relais francophones du Kremlin.

Mise à jour : A la suite de la publication d’une première version de cet article, l’AFP a diffusé, mardi 4 octobre, à 15 h 40, une nouvelle version de sa dépêche dans laquelle elle a remplacé le terme « tués », « comme traduit de manière erronée par la présidence ukrainienne », explique l’AFP, par « dégagés ».

Dans un courrier que nous a adressé l’AFP, l’agence précise : « Cette alerte a été écrite à partir de déclarations du président Volodymyr Zelensky dans une vidéo officielle de ses services. Le chef de l’Etat ukrainien s’y exprimait en ukrainien, mais ses propos étaient sous-titrés en anglais. Notre alerte a été écrite à partir de cette traduction officielle. Il s’avère, et nous remercions [le service des] Décodeurs [du Monde] d’avoir attiré notre attention, que cette traduction de la présidence est erronée. Nous avons depuis procédé à une vérification, et traduit directement de l’ukrainien comme suit : “Vous allez être dégagés l’un après l’autre.” La dépêche a été corrigée et rediffusée .»

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