Qu'est-ce qu'un rite ?

Même si les différents rites se manifestent principalement dans l'action liturgique, le rite n'est pas qu'une question de liturgie. Il est « le patrimoine liturgique, théologique, spirituel et disciplinaire qui se distingue par la culture et les circonstances historiques des peuples », précise le Code des canons des Églises orientales (canon 28 § 1).

« Le rite est indissociable du cadre communautaire et culturel qui lui a donné naissance », explique Jean-Pierre ­Valognes (1) qui rappelle la formule du P. Irénée Dalmais, le grand spécialiste du christianisme oriental, selon laquelle le rite est « l'expression sacrale » d'un peuple, « couvrant tous les comportements collectifs liés à la vie chrétienne »: « On ne peut ni l'isoler ni l'arracher de son cadre vivant », insistait-il.

Combien y a-t-il de rites ?

Pour l'Église catholique, chacune des quinze Églises orientales de droit propre possède son propre rite. Il faut y ajouter le rite latin, propre à l'Église romaine, et un certain nombre de rites occidentaux: au total, l'Église catholique reconnaît ainsi une petite trentaine de rites. Pour Jean-Pierre Valognes, cette pluralité rituelle est le « reflet de pluralité communautaire de l'Empire », elle recoupe en effet les grandes aires culturelles où baignait le christianisme des premiers siècles: Alexandrie, Antioche, Babylone, Constantinople, l'Arménie et Rome.

Le P. Dalmais dessine deux grandes familles de rites, constituées à partir du IIIe siècle, respectivement à Alexandrie et Antioche, à partir de la liturgie – aujourd'hui disparue –, héritée de la première Église de Jérusalem et attribuée à saint Jacques.

Quels sont les différents rites ?

Les rites alexandrins. En Égypte, le rite copte va se former sur la base de la liturgie de Jérusalem à laquelle vont se greffer des éléments grecs et, surtout, de la culture pharaonique. S'y agrégeront des éléments syriens et des apports venus de la vie monastique très vivante en Égypte. Il en résulte un cérémonial lent et dépouillé qui tranche avec l'exubérance des autres rites orientaux.

Exporté en Éthiopie, le rite copte va y prendre une coloration plus africaine (notamment dans les chants), donnant naissance au rite éthiopien (dont est issu le rite érythréen) qui a subi de nombreuses influences venues de Syrie comme du judaïsme.

Les rites antiochiens. À Antioche, le rite va aussi s'élaborer sur la base de la liturgie de Jérusalem tout en puisant à de nombreuses sources, de la piété populaire syrienne à la poésie sacrée de Syrie orientale en passant par des éléments grecs pour former le rite syrien qui se caractérise par une liturgie exubérante laissant une grande place au symbolisme.

Le rite syrien s'exportera autant en Inde (rite malenkar, enrichi de nombreux éléments locaux) qu'au Liban où la communauté maronite l'a fait évoluer dans le rite maronite (fortement marqué par les éléments latins). En Perse, il va se développer dans le rite chaldéen dans lequel l'influence juive est beaucoup plus importante (fruit sans doute d'une christianisation plus importante des juifs de Perse): ce rite, qui emprunte beaucoup à la liturgie de la synagogue est sans doute un des plus fidèles aux origines juives du christianisme; il aura aussi une postérité en Inde où le rite malabar a néanmoins subi une forte latinisation.

La tradition antiochienne s'est aussi étendue vers le nord, notamment en Cappadoce (Turquie actuelle), d'où il arrive à Constantinople: le rite byzantin se constitue dans la capitale de l'Empire d'Orient avec un apport directement syrien (saint Jean Chrysostome) mais aussi de Jérusalem (notamment les hymnes) tout en profitant du milieu proprement grec. Riche de tous ces apports, le grandiose rite byzantin aura une large postérité non seulement en Grèce, mais aussi dans le monde slave où il s'enrichit à nouveau d'une multitude de cultures.

Issu lui aussi d'Antioche, via la Cappadoce, le rite arménien a agrégé de nombreux apports témoignant de l'ouverture de la riche culture arménienne aux éléments de Jérusalem, de Syrie, de Grèce et jusqu'à Rome.

Enfin, la tradition antiochienne est arrivée jusqu'en Occident où, profitant du dynamisme de Milan, un rite gallican va s'étendre sur le nord de l'Italie, la Gaule, les îles Britanniques et l'Espagne. Très composite, variant selon les régions, il ne résistera pas à la volonté d'uniformisation des Carolingiens et disparaîtra – sauf à Tolède (rite mozarabe), au Portugal (rite de Braga) et Milan (rite ambrosien) – au profit du rite romain. Celui-ci semble s'être formé très tôt, peut-être aussi sur une base venue d'Antioche: profitant du développement de la papauté, il s'étend rapidement à tout l'Occident chrétien.

Peut-il y avoir de nouveaux rites ?

Les rites sont en constante évolution. Certains ont disparu, comme les rites dominicain, cartusien ou lyonnais après ­Vatican II (encore s'agissait-il de formes liturgiques du rite romain plus que de rites propres). En Orient, certains rites ont subi une latinisation, même si le mouvement, depuis Vatican II est d'aider les Églises orientales à retrouver leurs racines anciennes. Mais l'implantation de chrétiens d'Orient en Occident, et leur assimilation dans la culture occidentale, pose la question de la perpétuation de leurs rites spécifiques.

En 1988, Dans l'autre sens, par souci d'inculturation, l'Église latine a reconnu un rite zaïrois (qui insiste sur la participation active de l'assemblée, la danse comme expression de la foi, et permet l'invocation des ancêtres…). Mais il s'agit plus d'une variante liturgique du rite romain, le rite zaïrois s'insérant dans la tradition spirituelle, théologique et disciplinaire romaines. De même, si après le motu proprio Summorum Pontificum de 2007 certains ont craint un biritualisme dans l'Église romaine, Benoît XVI a bien insisté sur le fait que la « forme ordinaire » et la « forme extraordinaire » étaient bien deux formes de « l'unique rite romain ».

Plus spécifique est la question de la constitution Anglicanorum coetibus qui permet l'accueil de fidèles anglicans tout en maintenant, dans le catholicisme, les « traditions liturgiques, spirituelles et pastorales » anglicanes, y compris la discipline des prêtres mariés et l'usage d'une liturgie issue du Book of Divine Worship. Si ces anglicans rattachés à Rome ne sont pas une Église de droit propre, il y a là l'embryon d'un « rite anglican ».