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Pesticides, déchets toxiques, médicaments... : notre eau est menacée

Pesticides, déchets toxiques, médicaments... : notre eau est menacée
Pesticides, déchets toxiques, médicaments... : notre eau est menacée © Kasia Wandycz/Paris Match
Popeline Chollet et Isabelle Léouffre

Entre agriculture intensive et déchets toxiques, nos rivières, nos sols et nos sous-sols sont en péril. La plus grande nappe phréatique d’Europe est une immensité fragile. Elle mesure 3 200 km2 et s’enfonce jusqu’à 70 mètres dans le sol d’Alsace. A proximité, des produits dangereux sont stockés dans des mines. Les associations craignent des fuites. Aujourd’hui, dans l’eau que nous consommons, médicaments et plastiques deviennent un sujet d’inquiétude. 

Entre agriculture intensive et déchets toxiques, nos rivières, nos sols et nos sous-sols sont en péril. La plus grande nappe phréatique d’Europe est une immensité fragile. Elle mesure 3 200 km2 et s’enfonce jusqu’à 70 mètres dans le sol d’Alsace. A proximité, des produits dangereux sont stockés dans des mines. Les associations craignent des fuites. Aujourd’hui, dans l’eau que nous consommons, médicaments et plastiques deviennent un sujet d’inquiétude. Elle occupe le sous-sol alsacien, une partie de l’Allemagne et se glisse un peu sous la Suisse. C’est la réserve principale en eau de cette région très peuplée, à l’activité économique importante. Elle fournit les trois quarts des besoins en eau potable, la moitié de l’eau nécessaire aux industries et assure les neuf dixièmes de l’irrigation des terres agricoles. Si une pollution souterraine surgissait, les conséquences seraient désastreuses.

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Justement le danger guette, aussi bien à la surface que dans les sous-sols. Cette nappe d’eau potable, véritable trésor, ne court pas le risque d’être asséchée, contrairement à d’autres, car sa perméabilité et sa faible profondeur lui permettent d’être réapprovisionnée par les fleuves, les rivières et la pluie. Parfois, elle affleure à la surface de la terre, comme dans la région du Petit Ried, au nord de Strasbourg, ou bien elle plonge à 240 mètres vers la fosse du Geiswasser, près de Neuf-Brisach. Des qualités qui se retournent contre elle : dans la plaine du Rhin, certaines usines déversent leurs eaux dans les fleuves et les rivières, qui, même traitées, conservent des traces de toxiques. Mais un des dangers principaux, comme pour la plupart des autres nappes phréatiques, vient de l’agriculture intensive. Ici, au bord du Rhin, les exploitations agricoles sont légion. Malgré des lois strictes et le contrôle de Bruxelles, les pesticides imbibent la terre fertile et sont entraînés par les précipitations vers les cours d’eau ou les sous-sols. Or, la faible profondeur de la nappe alsacienne la rend particulièrement vulnérable : les sols peu stables ont tendance à s’affaisser. Tous ces facteurs polluants ont-ils des répercussions sur l’eau du robinet ?

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Une bombe à retardement

C’est une véritable bombe à retardement qui menace dans le sous-sol alsacien. A 550 mètres de profondeur, bien au-dessous de la réserve d’eau, les hommes ont creusé des centaines de kilomètres de galeries pour le stockage des déchets toxiques. A Wittelsheim, dans le Haut-Rhin, la mine Joseph-Else occupe une place de choix dans l’épopée des mineurs de fond qui récupéraient la potasse. Quand les puits ferment, l’idée germe d’un centre de stockage de déchets ultimes de classes 1 et 0. Ce sont les années 1980, ni les élus locaux ni la population ne s’y opposent vraiment. Certains voient même la possibilité de relancer économiquement la région. En 1997, un arrêté préfectoral autorise les sociétés EMC (Entreprise minière et chimique), MDPA (Mines de potasse d’Alsace) et Trédi (traitement et élimination des déchets dangereux) à concrétiser le projet StocaMine. Deux ans plus tard, les premiers produits, enfermés dans des fûts métalliques ou des « big bags », sont descendus dans les 100 kilomètres de galeries souterraines. A l’intérieur : du mercure, de l’amiante, du cyanure et de l’arsenic. En trois ans, 40 000 tonnes de déchets toxiques sont enfouis. Le projet StocaMine s’inspire des méthodes allemandes : de l’autre côté du Rhin, les mines de sel renferment les déchets industriels dangereux depuis plus d’une quarantaine d’années. Le sel a la particularité d’être imperméable et de se condenser sous la pression ; il comble les anciennes cavités creusées par l’homme et se transforme en confinement naturel.

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Pourtant, les associations écologistes tirent immédiatement la sonnette d’alarme. Commence alors une longue bataille juridique, impliquant des élus et des représentants de la population. Le dossier devient un des plus sensibles pour les gouvernements successifs, car des études poussées suggèrent qu’avec le temps la mine va peu à peu se remplir de saumure, composée d’eau saturée de chlorure de sodium et de chlorure de potassium, les sels présents naturellement dans les roches. Sous la pression, au lieu de sécuriser le confinement des déchets, la saumure risque d’être expulsée en remontant par les puits. Certains experts craignent qu’elle atteigne les stocks de produits dangereux en traversant les barrages de béton. C’est donc chargée de matières hautement toxiques qu’elle atteindra la nappe phréatique et polluera à jamais l’eau potable. La société StocaMine affirme, elle, que la saumure ne va pas remonter vers la nappe phréatique mais descendra, et que l’étanchéité des protections des déchets est presque inviolable. Enfin, elle considère qu’il faudra deux cent quarante années pour que la saumure atteigne les stockages et plus de trois cents pour envahir la nappe phréatique.

Les habitants réclament le déstockage des matières toxiques

Ces chiffres paraissent rassurants si on se projette dans un futur proche, ils sont affolants pour l’avenir de la planète. Les chimistes pointent les réactions entre les différents produits. C’est d’ailleurs ce qui s’est certainement passé en 2002. Un incendie se déclare dans le bloc 15 où sont entreposés des engrais et du soufre. Si les flammes sont rapidement maîtrisées, il faut trois mois pour évacuer les fumées toxiques. En septembre 2003, conséquence directe de l’incendie, le site est fermé, une vaste opération de déstockage de mercure et de confinement des autres déchets est lancée. Les dégâts générés par l’incendie se répercutent sur l’ensemble des activités, l’extraction de la potasse qui continuait dans les autres puits doit cesser. Le 1er janvier 2009, l’Etat décide de dissoudre MDPA, ce qui entraîne une liquidation à l’amiable. Précision utile : en 2004, StocaMine était devenue la filiale à 100 % de MDPA dont les actions sont détenues par l’Etat.

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Le dossier StocaMine enflamme les esprits. Les habitants réclament le déstockage des produits. Politiques et dirigeants évoquent, eux, le coût exorbitant des travaux, la dangerosité encourue par les personnes sur le chantier, sans parler des problèmes techniques insurmontables. En mars 2017, l’Etat décide que plus de 40 000 tonnes de déchets ultimes ménagers resteront confinés, car « ils ne sont pas solubles et ne présentent pas un risque de contamination de la nappe phréatique ». Seuls les déchets contenant du mercure et du zyrame – du moins ceux qui restent accessibles – seront déstockés. Des bouchons en béton et des drains vont être installés pour protéger la nappe phréatique. Il n’empêche que les chimistes s’inquiètent de voir un jour la région privée d’eau potable pour cause de contamination toxique. 

Les consommateurs payent la dépollution 

L’agriculture intensive est un des facteurs principaux (63 %) de la pollution des eaux. En 2014, l’UFC-Que choisir alerte une fois de plus sur l’eau du robinet : pour 1,48 million de consommateurs, elle est polluée et impropre à la consommation. Il s’agit de zones rurales où les petites collectivités sont dans l’impossibilité de payer le coût exorbitant de la dépollution contre les pesticides et les nitrates utilisés par les agriculteurs. En 2016, à Etais-la-Sauvin, dans l’Yonne, l’agence régionale de santé a interdit la consommation de l’eau après avoir relevé la présence de pesticides. Depuis, les habitants sont obligés d’utiliser de l’eau minérale : 25 000 litres sont distribués chaque mois par la municipalité pour leurs besoins quotidiens. Les jours les pires, c’est un liquide marron, boueux qui coule des robinets. Seule solution, prévue en mai : raccorder le réseau à la commune voisine. Parmi les départements les plus menacés : le Loiret, la Seine-et-Marne, l’Aube, la Marne, le Pas-de-Calais et la Somme, mais également les Pyrénées, le Massif central et les Alpes. 

31 % des nappes phréatiques et la moitié des rivières sont saturées de pesticides

D’après Olivier Andrault, chargé de mission alimentation et agriculture de l’UFC-Que choisir, « l’eau du robinet est bonne non pas parce que les nappes sont en meilleur état mais parce qu’on investit beaucoup plus dans la dépollution ». L’étude effectuée en 2014 montre ainsi que 280 000 personnes de plus qu’en 2012 avaient accès à une eau potable. Mais, en janvier 2017, l’association réitère son étude qui révèle une légère régression : 95,6 % de la population bénéficie d’une eau de qualité, au lieu de 98 % en 2014. Même si ces résultats sont considérés comme excellents, sur l’ensemble du territoire 2,8 millions de consommateurs ont encore accès à une eau polluée en grande partie par les pesticides, mais également par le plomb et les bactéries contenus dans des installations vétustes. Une carte interactive de la qualité de l’eau dans les 36 682 communes françaises est consultable en ligne.

L’UFC-Que choisir regrette le manque d’investissement dans la recherche de solutions durables pour éliminer les pesticides de l’agriculture intensive. Les accords du Grenelle Environnement passés en 2007 pour diminuer l’usage des produits toxiques semblent enterrés, et ce sont les consommateurs qui règlent 80 % des frais de dépollution et non pas les pollueurs. Profitant des Etats généraux de l’alimentation fin 2017, l’association de consommateurs a lancé une nouvelle campagne,
« -S eau S », affirmant que 31 % des nappes phréatiques et la moitié des rivières sont saturées de pesticides. 

Lire aussi. L’agriculture, principale cause de pollution de l’air en Europe

Au ministère de l’Ecologie, Stocamine est un souci

Au ministère de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot n’a pas pu répondre pour cause d’emploi du temps surchargé. C’est donc un membre de son cabinet qui s’exprime : le dossier « figure en bonne place sur nos bureaux ». Il souligne : « Le traitement d’un sujet aussi ancien est un travail de longue haleine. » Nous rappelons que dès septembre 2002, date à laquelle un incendie de déchets ultimes s’est déclaré dans la mine, les gouvernements étaient informés des risques. De nombreuses études ont été menées. « On n’a pas refait les expertises scientifiques, qui avaient déjà été réalisées par des organismes spécialisés, nous précise le cabinet. On n’a pas vraiment eu le temps non plus […].

Confiner ou extraire : Nicolas Hulot va devoir trancher

Une réunion a eu lieu le 23 mars avec le préfet, les services spécialisés de l’administration centrale du ministère et toutes les parties prenantes, en particulier les élus. «Elle a démontré l’utilité d’un dialogue approfondi avec les élus locaux. Elle s’est déroulée dans un esprit constructif. Plusieurs questions nouvelles et demandes d’expertises complémentaires ont été soulevées. Elles portaient par exemple sur le contenu effectif des déchets stockés, les modalités de confinement ou encore sur le calendrier des opérations. L’Etat s’est engagé à apporter des réponses précises en 2018 pour éclairer les décisions qui seront prises. Par ailleurs, il semble que le constat que les déchets de la zone incendiée ne pourraient pas être remontés sans engendrer de risques inacceptables a été globalement partagé par les participants », précise notre interlocuteur avant d'ajouter : « Un peu plus de 95 % des déchets au mercure, les plus toxiques pour la nappe phréatique, ont été sortis, ce qui dépasse légèrement l’objectif initial de 93 %. »

Le souci du ministère : rassurer la population

Nicolas Hulot va devoir trancher. « Deux options sont possibles : le confinement des déchets au fond de la mine ou leur extraction. Le confinement vise à éliminer les risques d’écrasement et de dégradation future des déchets stockés. L’extraction paraît donc plus prudente, mais elle prendra du temps. Et les désordres causés dans la mine par l’incendie font craindre des effondrements qui ne permettraient pas de confiner tous les déchets et pourraient mettre en danger les ouvriers. » Un casse-tête. Le souci du ministère : rassurer la population. Dès qu’il s’agit de l’eau, l’inquiétude monte : « Depuis des années le gouvernement est mobilisé sur cette affaire et cherche à trouver des solutions […]. Enfouir les déchets industriels dans des mines de sel est une pratique courante, notamment en Allemagne. » Le membre du cabinet insiste : « C’est une des nombreuses missions du ministère que d’assurer la prévention des risques technologiques, entre autres la protection des nappes phréatiques. » 

Lire aussi. L'eau en bouteille est-elle contaminée par des particules de plastique ?

Johnny Gasperi
Johnny Gasperi © Kasia Wandycz/Paris Match
Du plastique dans notre eau ?

Johnny Gasperi, chercheur en sciences et techniques de l’environnement, répond

Paris Match. Depuis quand étudiez-vous la qualité des eaux ?
Johnny Gasperi. Depuis dix ans. Je suis enseignant chercheur au Laboratoire eau, environnement et systèmes urbains (Leesu) de l’université de Créteil. Je travaille sur les polluants organiques et, depuis quatre ans, je m’intéresse aux microplastiques dans les eaux usées.

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Aucune étude, aucune donnée sur la question, ni en France ni à l'international

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Pourquoi cet intérêt pour les plastiques ?
Un intervenant nous a présenté des résultats sur le plastique dans la mer. Avec mon équipe, on s’est mis au défi de faire de même dans le milieu continental et urbain. Il n’existait aucune donnée, aucune étude sur la question. Ni en France ni à l’international. Aujourd’hui, il y a seulement une petite dizaine de labos qui travaillent sur les plastiques, la plupart en milieu marin.

L’eau minérale des bouteilles en plastique comporte-t-elle plus de fibres que l’eau du robinet ?
Ce n’est pas parce qu’elle est en plastique que la bouteille va “relarguer” ses particules. Elle va se fragmenter au bout de plusieurs années si elle est exposée à la lumière, conservée dans de mauvaises conditions qui vont dégrader le plastique. Aujourd’hui, je n’ai pas la réponse : les tests sur l’eau minérale ne sont pas concluants.

On vient d’apprendre que le plastique peut être colonisé par des bactéries dans les rivières…
En effet, c’est un support de colonisation. Des bactéries peuvent venir s’y greffer et il peut être un vecteur de ces bactéries.

Le plastique peut-il pénétrer les cellules ?
On ne sait pas. Les études qui portent sur son ingestion par les poissons sont contradictoires. Certaines montrent qu’il y a une translocation : le passage des plastiques du tube digestif au reste du corps. D’autres proclament que la translocation n’existe pas : les fibres de plastique vont dans le foie mais pas dans les muscles, c’est-à-dire pas dans la chair du poisson. Cependant, dans les moules, on mange tout…

En dix ans, avez-vous vu une hausse de la pollution de l’eau ?
Au contraire, cela va de mieux en mieux ! Dans les années 1970, dans la Seine, on ne référençait que trois espèces de poissons. Aujourd’hui, grâce à une meilleure gestion de nos eaux usées, à toutes les interdictions mises en place, on en recense une vingtaine. Par le passé, on avait des contaminations par les métaux. Les législations et les réglementations font que la Seine se porte beaucoup mieux. Mais il reste utopique d’imaginer retrouver l’eau pure du début de l’humanité, sans aucune trace. 

Lire aussi. 2,8 millions de Français boivent une eau polluée

Des médicaments polluent nos rivières

Des résidus médicamenteux se trouvent-ils dans l’eau du robinet ? Le sujet reste sensible et aucune étude poussée n’a encore été réalisée en France, bien que, dès 2007, le professeur de santé publique à l’université Paris-Sud Yves Levi ait étudié le problème. Des traces d’hormones et d’antibiotiques avaient été retrouvées dans la Seine, comme d’ailleurs dans la Tamise ou le Potomac, aux Etats-Unis. C’est dans ce dernier pays que les premières constatations ont eu lieu, en 1976. Au cours des années, des molécules ont perturbé le système endocrinien des poissons, induisant des modifications des organes sexuels et des troubles de la reproduction.

pilules contraceptives, anticancéreux, anti-inflammatoires... près de 4 000 molécules recensées

Les stations d’épuration n’ont pas été conçues pour éliminer ces résidus chimiques qui proviennent des pilules contraceptives, des anticancéreux, anti-inflammatoires, antidépresseurs ou des antibiotiques, soit près de 4 000 molécules recensées. Celles-ci, après avoir été ingérées par les hommes et les animaux, sont véhiculées dans les selles et les urines, atteignent les stations d’épuration, puis sont rejetées dans les rivières. Or en France, environ 40 % de l’eau potable provient des eaux de surface (rivières et lacs). Ce n’est qu’en 2016 qu’a lieu à Paris la première Conférence internationale sur les risques liés aux résidus de médicaments dans l’environnement. La ministre de l’époque, Ségolène Royal, lance le plan micropolluants 2016-2021. Dans « Le Figaro » du 13 septembre 2016, Yves Levi reste sceptique : « Dans les pays qui ont un système d’épuration, les concentrations de résidus médicamenteux dans les eaux potables sont extrêmement faibles et les risques pour les humains aussi. Mais avec un gros volet d’incertitude… » Les scientifiques l’avouent, aucune étude officielle n’a encore été lancée !

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