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En France, le viol est trop souvent minimisé par la justice

Viol, un fléau judiciaire ?
En France, un viol est déclaré toutes les quarante minutes. Photo Getty Images

En France, un viol est déclaré toutes les quarante minutes. Les victimes sont toujours plus nombreuses à dénoncer ce crime. Mais après le dépôt de plainte vient le temps de l’instruction judiciaire, qui peut être très difficile à vivre pour la partie civile. D'autant que la requalification d'un viol en agression sexuelle est de plus en plus courante.

Chaque jour, trente-trois viols sont déclarés en France, soit un toutes les quarante minutes. Cette statistique, révélée par Le Figaro le 10 août dernier, est loin d'être anodine : la dénonciation des viols est en hausse ces cinq dernières années. Or si aujourd'hui les victimes portent de plus en plus plainte, le suivi judiciaire n'est pas forcément à la hauteur du traumatisme subi. De fait, le viol, considéré comme un crime dans le Code pénal, est rarement traité comme tel par la justice. Pour la plupart des victimes, après le temps de la plainte commence un vrai parcours du combattant. Alors qu'elles sont traumatisées, elles se voient proposer une voie décrite comme plus simple, moins exposée : le jugement en correctionnelle. Mais dans le fond, cela minimise le crime. Et les conséquences pour le violeur. Le procureur de la République est le seul à pouvoir déclencher ou non l'action publique. Avec l'accord de la victime, il a la possibilité de requalifier le viol en agression sexuelle. Le crime devient alors un délit : il ne sera donc plus jugé devant les assises mais devant un tribunal correctionnel, avec parfois des conséquences néfastes pour la victime.

Marie-France Casalis, militante féministe et cofondatrice du Collectif féministe contre le viol, revient avec nous sur les effets pervers de ce phénomène.

Lefigaro.fr/madame. - Pour bien comprendre le phénomène de correctionnalisation, pouvez-vous nous expliquer quelle est la différence entre une agression sexuelle et un viol ?
Marie-France Casalis. - En matière d'agressions sexuelles, nous distinguons les agressions sexuelles avec pénétration – ce sont les viols – et les agressions sexuelles sans pénétration, qui sont des délits (1). Depuis la loi du 23 décembre 1980 relative à la répression du viol et de certains attentats aux mœurs, le viol est défini comme "tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui par violence, contrainte, menace ou surprise". Cela veut dire que les agressions sexuelles comme une fellation imposée ou une introduction d'objets dans le vagin sont des viols. Il faut qu'il y ait deux éléments constitutifs : la pénétration sexuelle et une violence, une menace ou une contrainte. Si les deux éléments sont réunis, il s'agit d'un crime passible de la cour d'assises.

En quoi consiste la correctionnalisation du viol ?
On a observé au cours des années que, très fréquemment, on proposait à la victime, après qu'elle avait porté plainte pour viol, de traiter l'affaire non pas devant la cour d'assises en tant que crime, mais devant un tribunal correctionnel en tant que délit (agression sexuelle). Or les assises ont un effet libérateur. La victime va devoir témoigner devant tout un tribunal, au même titre que l'accusé, les enquêteurs, le médecin et le psychiatre. Ce processus va permettre de nettoyer tous les moments de l'agression subie. En cela, les assises ont un pouvoir à la fois éducatif et réparateur, autant pour la victime que pour l'agresseur. L'accusé doit sortir de sa lecture personnelle des faits. Et la victime peut faire valoir aux yeux de la société sa douleur.

Le problème, c'est que la procédure aux assises peut prendre du temps. Pour une procédure de viol, c'est au minimum deux jours. Si ce sont des viols collectifs, cela va être plus long. De même, le délai d'attente entre le moment du dépôt de plainte et celui l'audience peut être très long - quelques années - dans certaines régions très peuplées, comme l'Île-de-France. C'est pourquoi on propose souvent aux victimes d'aller en correctionnelle. Elles acceptent souvent car à ce moment-là, elles souffrent d'un traumatisme.

Quelles sont les conséquences pour la victime ?
Dans un tribunal correctionnel, les affaires sont jugées rapidement. On ne va pas analyser tous les points de l'affaire. On voit souvent des victimes qui, à la fin de l'audience, n'ont pas compris ce qui s'était passé. Certes, les assises sont une épreuve, puisqu'il faut s'exposer et parler. Mais la véritable épreuve, c'est d'avoir été violé(e). Ce n'est pas une épreuve que de voir ses droits reconnus et traités et non pas limités ; en correctionnelle, on ne pourra pas parler de tous les moments de l'agression.

Une autre répercussion très importante est la réduction du délai de prescription. Pour le crime de viol, il est de dix ans pour les victimes majeures et de vingt ans pour les victimes mineures, et ce à dater de leur majorité. Si on requalifie le crime en délit, le délai de prescription passe de vingt à dix ans pour les mineurs, et de dix à trois ans pour les majeurs. Passer de dix à trois ans, c'est une différence énorme. Car beaucoup de victimes ne prennent conscience de ce qui s'est passé que quelques années après le viol. Autre conséquence : la peine maximale encourue varie considérablement entre le crime de viol et le délit d'agression sexuelle. Pour les viols, cela peut aller jusqu'à 15 ans et pour les délits, seulement jusqu'à 5 ans. Les dommages et intérêts pour les victimes ne sont pas non plus les mêmes.

En 2011, la constitution d'une commission parlementaire a été proposée. Dans la description de la demande, on énonce que 80 % des viols seraient requalifiés en délits. Confirmez-vous ce chiffre ?
Je confirme. Et je pense que c'est peut-être même plus encore. On a l'impression que c'est presque systématique. Surtout dans les régions les plus peuplées où les délais d'attente sont plus longs. On assiste à un déni de justice.

Quelles actions ont été menées par les pouvoirs publics pour lutter contre cette pratique ?
Il y a quelques années, il y a eu une démarche parlementaire visant à mettre un terme à la correctionnalisation. En 2011, la création de commission pour étudier les conséquences de cette correctionnalisation a été proposée.

En matière de viol, l'un des principaux enjeux est le renforcement systématique de la formation des enquêteurs. Il y a des périodes pendant lesquelles il n'y a pas de service de formation parce que nos services d'ordre sont occupés à d'autres fonctions de sécurité pour la population. La visibilité de l'action publique contre le viol est récemment ressortie quand Pascale Boistard (la secrétaire d'État chargée des Droits des femmes, NDLR) s'est expriméesur les agressions dans les transports publics. On espère que la campagne qu'elle a lancée ira plus loin et touchera enfin la correctionnalisation du viol.

(1) Dans le droit français, il existe plusieurs types d'infractions : les contraventions, les délits et les crimes. Les contraventions sont jugées devant le tribunal de police, les délits devant le tribunal correctionnel et les crimes devant la cour d'assises.

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2 commentaires
  • noctambule 666

    le

    ce sont tous les crimes qui sont insuffisamment punis et pas que les viols

  • Tassendar

    le

    Ce qui est valable pour les femmes l'est encore d'avantage pour le viol sur les hommes (oui ça existe ! ) http://www.madmoizelle.com/viol-hilarant-video-insoutenable-242930

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