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Archéologie

Le plus important site préhispanique de sacrifices d’enfants découvert au Pérou

Les restes de 140 enfants sacrifiés au XVe siècle lors d’un rituel de masse ont été exhumés en Amérique, dans une région où était présente la civilisation précolombienne des Chimu.

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Le plus grand site de sacrifices d'enfants de l'Amérique préhispanique a été découvert sur la côte nord du Pérou, à Huanchaquito.

Le plus grand site de sacrifices d'enfants de l'Amérique préhispanique a été découvert sur la côte nord du Pérou, à Huanchaquito.

Crédits: Courtesy Gabriel Prieto/National Geographic

CIVILISATION PRÉCOLOMBIENNE. Certains corps affleuraient, d’autres avaient le crâne maculé de cinabre leur donnant un aspect rouge sang… 140 enfants et adolescents ainsi que 200 jeunes lamas ont été immolés il y a 550 ans sur les bords du Pacifique, au cœur de l’empire Chimu, une importante civilisation précolombienne (1000 – 1470) antérieure aux Incas. Une cérémonie d’une ampleur jamais décrite jusque-là. “J’ai étudié de nombreux cas de sacrifices de prisonniers de guerre, ou encore de serviteurs exécutés avec leurs maîtres, mais je n’avais jamais rien vu de tel !”, assure John Verano, anthropologue à l’université de Tulane (États-Unis), joint par Sciences et Avenir.  Le 26 avril 2018, la revue National Geographic a pourtant rapporté la découverte de ce qui est présenté comme le plus grand cas identifié de sacrifices d’enfants.

Vue générale du site sacrificiel de Huanchaquito, au Pérou. © Courtesy Oscar Gabriel Prieto/National Geographic

 

Les analyses radiocarbones datent le massacre entre 1400 et 1450

Baptisé Huanchaquito-Las Llamas, le site où les petites victimes sont en fait régulièrement exhumées depuis 2011 se trouve localisé à proximité d’une route, au milieu d’une zone urbaine, sur une hauteur, à environ 300 m au-dessus du niveau de la mer, dans le nord du Pérou. Là, dans la province de Trujillo, les datations radiocarbones de ces restes humains ont permis de situer l’hécatombe entre 1400 et 1450. Avec son lot de détails macabres. “Les squelettes humains autant qu’animaux portaient des traces d’entailles au niveau du sternum… indiquant l’ouverture de la poitrine de ces enfants pour en extraire le cœur ”, précise John Verano. Car c’est bien un rituel de sacrifice humain avec cardiectomie — ablation du cœur de la cage thoracique — qui a été pratiqué à Huanchaquito au XVe siècle sur ces enfants âgés de 5 à 14 ans.

Cas de cardiectomie (extraction du cœur) pratiquée sur une des jeunes victimes au visage couvert de pigment de cinabre, sur le site de Huanchaquito. La cage thoracique a été découpée. © Courtesy Oscar Gabriel Prieto /National Geographic

Jamais autant de jeunes n'avaient été sacrifiés en une seule fois

Dès les premières découvertes de 2011, ces recherches entreprises avec la participation d’archéologues français et péruviens avaient déjà attiré l’attention. “La quantité de corps d’enfants et de lamas exhumés était complétement inédite”, déclare Nicolas Gopfeart, archéologue français du CNRS, qui étudie actuellement un autre gisement du même type. “Les camélidés ont sans doute été tués pour « accompagner » les enfants dans l’au-delà.” Certains portaient encore autour du cou les cordes qui avaient servi à les conduire. “Ces pratiques étaient connues chez les Incas, successeurs des Chimus, ou encore les Mayas et les Aztèques, mais jamais autant de jeunes n’avaient été sacrifiés en une seule fois et à une telle échelle”, déclare John Verano.

L'anthropologue américain John Verano, examinant le squelette d'un adolescent sur le site préhispanique de Huanchaquito, au Pérou. © Courtesy Oscar Gabriel Prieto/National Geographic

À son apogée, l’empire Chimu, dont la capitale Chan Chan se trouve à 1,5 km du site de Huanchaquito, contrôlait un territoire de près de mille kilomètres le long de la côté Pacifique. Or qu’a-t-il pu se produire pour amener ces populations à accomplir un tel geste ? Une importante coulée de boue dégagée lors des fouilles pourrait fournir un indice : des pluies torrentielles et d’importantes inondations sur le littoral habituellement aride sont peut-être à mettre au crédit d’un événement climatique El Nino particulièrement violent. (En 1982-1983, un pareil épisode a produit des effets dramatiques dans le nord du Pérou, où plus de 250 cm de pluie sont tombées en quelques mois, détruisant tout).

Un des 140 enfants sacrifiés associés à un lama, sur le site de Huanchaquito-Las Llamas. © Courtesy Oscar Gabriel Prieto/National Geographic

Événement climatique et colère divine

Au XVe siècle, ce type de calamités a pu être à l’origine de ravages dans la pêche côtière autant que dans les cultures Chimu, poussant les habitants de la région à ces extrémités. “Au sein des populations précolombiennes, la religion imprégnait tout le système de pensée. Il n’y avait aucune différence entre phénomènes naturels et surnaturels. Pour la plupart de ces hommes, la nature pouvait être terrifiante, et les catastrophes climatiques synonymes de destruction et de mort. Tant par leurs ravages immédiats  que par les famines qui suivaient dans ces régions désertiques littorales”, explique l’archéologue Claude Chauchat (CNRS), spécialiste du peuplement ancien de la côte nord du Pérou. Devant la terreur qu’inspiraient les colères divines, les populations du littoral Pacifique ont pu avoir recourt aux sacrifices humains pour tenter d’apaiser les dieux, et dans le cas de Huanchaquito, face à l’échec possible d’autres sacrifices, leurs offrir ce qu’ils chérissaient le plus : leurs propres enfants. "Ce rituel semble proche de ceux de Capacocha, également pratiqués par les Incas plus tard. Liés aux précipitations et manifestations naturelles exceptionnelles, ces rites impliquaient aussi des sacrifices d'enfants (en général les plus beaux ou ceux appartenant à des caciques), autant que de lamas de couleurs spécifiques comme ceux marrons, blancs, ou noirs, associés à différents aspects de la divinité créatrice: Wiracocha ou son équivalent chimu et côtier", a précisé Patrice Lecoq, maître de conférences en archéologie andine, à l'université Paris-I. De nouvelles recherches sont actuellement menées sous la direction d’Oscar Gabriel Prieto, de l’Université nationale de Trujillo (Pérou).

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