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Chrétiens et migrants : «Le message du Christ n'est pas négociable»

«Renoncer à un principe parce qu'on ne sait s'y conformer qu'imparfaitement serait une démission de l'esprit» conclut François Huguenin au sujet du discours chrétien sur les migrants. VINCENZO PINTO/AFP

FIGAROVOX/TRIBUNE - En soutenant publiquement, dimanche dernier, le Pacte de Marrakech sur les migrants, le Pape François a relancé le vif débat au sein de l'Église sur cette question épineuse. Selon François Huguenin, les chrétiens sont tenus à un principe de charité. Mais le message du Christ n'est pas d'abord politique, et il est légitime que son application soit sujette à discussion.


François Huguenin, historien des idées et essayiste, a publié en janvier Le Pari chrétien (éd. Tallandier, 2018), livre dans lequel il appelle les chrétiens à adopter une autre vision du monde, en cohérence avec leur foi et néanmoins consciente de l'autonomie du politique à l'égard du religieux.


Le débat sur les migrants divise la société française et particulièrement les chrétiens, au sein desquels on trouve à la fois des personnes parmi les plus engagées dans leur accueil et certains tenants d'une ligne de fermeture absolue. La signature du Pacte de Marrakech vient faire resurgir la question. Il ne s'agit pas ici de faire l'exégèse d'un texte abondamment commenté. Disons qu'à la fois il n'est pas a priori contraignant pour les États et leur laisse l'entière souveraineté sur la question, mais qu'il ouvre aussi sur un inconnu juridique d'autant plus troublant qu'il s'accompagne d'un mélange de registres peu heureux quand il s'agit d'exhorter de manière lyrique les médias à promouvoir une vision positive de l'immigration. Au fond, rien de bien neuf à ce stade, mais de quoi faire rebondir la polémique.

Un chrétien ne choisit pas plus son plus faible que le Bon Samaritain a choisi le sien. C'est celui qui est au bord de son chemin.

Un chrétien peut-il passer par pertes et profits le principe de l'accueil de l'étranger? J'aimerais développer ici l'idée que ce principe n'est pas négociable, pour reprendre une expression chère à Benoît XVI, mais que son application, dépendant d'un contexte non maîtrisé par les chrétiens eux-mêmes, ne peut être, par définition, qu'incertaine et soumise à des contingences exogènes.

Le principe est clair. Le discours du Christ dans le chapitre 25 de l'Évangile de Matthieu n'est certes pas un code normatif, mais il énonce une série de principes qui sont d'autant plus importants que Jésus précise que nous serons chacun jugés sur notre manière de les mettre en œuvre. On peut condenser tout ce passage dans ce qui constitue l'essence du discours chrétien sur la politique et que je nommerais volontiers l'option prioritaire pour le plus faible. Un chrétien ne choisit pas plus son plus faible que le Bon Samaritain a choisi le sien. C'est celui qui est au bord de son chemin. C'est aujourd'hui à la fois le SDF ou la personne seule sans ressource, l'enfant dans le ventre de sa mère ou la personne en fin de vie, et l'étranger déraciné. On entend parfois que le discours du Christ ne concerne pas la politique mais la charité individuelle, mais c'est une conception très moderne et très étriquée de la politique. La politique n'est pas que l'art du gouvernement ni celui de faire les lois. C'est aussi ma manière de vivre, de me comporter avec mon semblable, de consommer, d'agir en société. Quand le Christ exhorte à soulager les pauvres et à accueillir l'étranger, il énonce un principe qui n'est pas strictement individuel, mais qui me concerne en tant que personne naturellement reliée à ses semblables, donc animal politique.

Ainsi quand le pape appelle à l'accueil plus généreux des migrants, il prononce une parole politique. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne respecte pas la souveraineté des États dans la définition de leur politique migratoire. Ni qu'il ne reconnaît pas la nécessité d'une certaine prudence. Mais il énonce un principe que les chrétiens doivent prendre en compte dans leur réflexion politique et qui peut inciter les États à agir autrement: celui de l'inviolable dignité de toute personne humaine que le bien commun doit toujours intégrer.

La société française vit dans un contexte d'insécurité sociale et culturelle qui rend difficile la perspective de l'accueil.

Le principe ainsi exprimé, il reste à appliquer. Et le chrétien sait bien que, du fait du péché d'origine, le mal est entré dans le monde et que tout angélisme serait hors de propos. Cela veut-il dire qu'il faille renvoyer les principes aux oubliettes? Bien sûr que non. Mais cela veut dire que leur application est nécessairement souple et imparfaite. Ainsi, dans une société comme la nôtre qui, très clairement, ne veut pas des migrants, il est impossible à la minorité chrétienne de convaincre complètement de cette nécessité de l'accueil. La société française vit en effet très largement dans un contexte d'insécurité sociale et culturelle qui rend difficile la perspective de l'accueil. Très prosaïquement le gâteau de plus en plus maigre est de plus en plus difficile à partager et la cohabitation avec des cultures différentes est d'autant plus délicate que la France ne propose plus un modèle fort et attrayant face à la menace d'un islamisme radical auquel la République laïque ne sait donner aucune réponse forte au-delà des mots et que la faiblesse du christianisme ne sait enrayer. Dans ces conditions, le chrétien ne peut que prendre acte de cet état de fait de la société dans laquelle il vit. Il en est de même pour d'autres sujets: les chrétiens peuvent clamer leur refus de l'avortement ou de la peine de mort, ils risquent de n'être pas entendus. Et ils pèsent peu de choses quand ils protestent contre les injustices sociales que le système renforce à chaque minute. Pour autant, s'affranchir de porter une parole qui est celle du Christ serait de leur part une faute.

Dans ces conditions, le chrétien ne peut qu'espérer ce que Benoît XVI appelait de ses vœux, dans l'encyclique Caritas in veritate, à savoir l'action commune, au niveau planétaire, sur des questions qui ne peuvent être résolues au niveau national ou même européen et qui sont étroitement liées: les flux migratoires, mais aussi la répartition des richesses, la protection de l'environnement, le maintien de la paix, le dialogue entre les religions. N'en déplaise à ceux qui sont nostalgiques du château fort, aucune de ces questions ne peut se résoudre sans une coopération mondiale. Ce qui ne veut évidemment pas dire, au contraire à mon sens, l'abandon de l'échelon des vieilles nations qui seules peuvent porter une parole qui puisse légitimement nourrir un processus commun.

Le chrétien ne peut idolâtrer la politique au point de lui faire abdiquer l'enseignement du Christ.

Sur le plan des migrations, il est évident que ce n'est pas en dressant des miradors et en implantant des barbelés qu'on empêchera des mouvements migratoires que les inégalités mises en lumière par la mondialisation rendent aujourd'hui difficilement évitables et dont la diminution demande un effort structurel concerté de long terme. Il ne s'agit donc pas pour les chrétiens de promouvoir une «idéologie immigrationniste», mais de contribuer à faire cesser ce qui conduit à une immigration de masse et d'accueillir au mieux les personnes qui arrivent sur notre sol. Celles-ci devant impérativement respecter nos lois et, si elles demeurent en France, s'intégrer à notre culture.

Le chrétien ne peut idolâtrer la politique au point de lui faire abdiquer l'enseignement du Christ. Il ne peut idolâtrer la nation au point de confondre le souci de l'intérêt de celle-ci avec le déni du respect des personnes humaines quelle que soient leur race, religion ou nationalité. Si au nom des contingences que nous avons vues et auxquelles ils ne peuvent se soustraire, les chrétiens renient leurs principes, ils prennent acte de leur disparition dans la société comme éveilleurs publics et donnent raison à leurs adversaires qui leur renvoient que leur parole n'est que billevesée à cantonner dans leur espace intime. Ils oublient ce faisant l'essentiel: ils sont dans le monde mais pas du monde et donc signe de contradiction.

Plus fondamentalement encore, l'écart entre le bien que nous n'arrivons pas à faire et la réalité de nos actions est une marque essentielle de notre condition humaine et en cela, les chrétiens - qui en ont une conscience aiguë - peuvent porter au monde un message universel. De fait, réduire l'écart entre ce qui est et ce qui devrait être à l'échelon de la société est la mission du politique. Mais renoncer à un principe parce qu'on ne sait s'y conformer qu'imparfaitement serait une démission de l'esprit.

Chrétiens et migrants : «Le message du Christ n'est pas négociable»

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86 commentaires
  • Klakmuf

    le

    Etonnant que personne n'évoque les mânes de l'Abbé Pierre. Voici un extrait de sa profession de foi lors des élections législatives de juin 1946: "Immigration étroitement filtrée. - Expulsion immédiate des immigrés indésirables". http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/abbe-pierre/profession_foi.asp