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L’affaire Mila expliquée : insultes contre l’islam, menaces contre une lycéenne et réaction politique « maladroite »

Cela aurait pu rester une vidéo postée par une ado sur Instagram. C’est devenu une affaire aux dimensions politiques et judiciaires, et aux conséquences bien réelles pour la jeune fille.

Par  et

Publié le 29 janvier 2020 à 20h14, modifié le 30 janvier 2020 à 10h36

Temps de Lecture 5 min.

Cela aurait pu rester une vidéo en live postée par une adolescente sur Instagram un samedi. C’est devenu ce que l’on appelle désormais « l’affaire Mila ». Cette lycéenne homosexuelle aux cheveux mauves a été insultée et menacée de mort, pour avoir tenu, le 18 janvier en live sur Instagram, des propos insultants envers l’islam. La première enquête ouverte, du chef de « provocation à la haine à l’égard d’un groupe de personnes, à raison de leur appartenance à une race ou une religion déterminée », vient d’être classée sans suite par le parquet de Vienne. Mais, face à la gravité des menaces qui continuent d’être proférées contre elle, Mila a dû être déscolarisée.

L’affaire a pris une nouvelle dimension lorsque la ministre de la justice, Nicole Belloubet, invitée à s’exprimer sur le sujet sur Europe 1 mercredi 29 janvier, a été accusée de vouloir remettre en cause le droit au blasphème (qui n’est pas un délit en France), en déclarant que l’insulte contre une religion constituait « évidemment une atteinte à la liberté de conscience ».

Avant le rétropédalage de la ministre, qui a « précisé » ses propos en reconnaissant une expression « maladroite », des personnalités politiques de tous bords se sont indignées sur Twitter, comme la sénatrice socialiste de l’Oise Laurence Rossignol. Dans un tweet, l’ex-ministre de la famille et des droits des femmes rappelle qu’« en France, il est interdit d’insulter les adeptes d’une religion mais on peut insulter une religion, ses figures, ses symboles ».

Il n’en fallait pas moins pour raviver le débat autour de ce sujet sensible. Depuis le début de cette affaire, deux camps s’opposent et s’affrontent sur les réseaux sociaux : #JeSuisMila ou #JeNeSuisPasMila.

Lire aussi Article réservé à nos abonnés « Non, le blasphème n’est pas un crime, ni même un délit »

« Je déteste la religion »

Mila a 16 ans, elle vit dans la région lyonnaise, et se passionne pour le chant. C’est sur Instagram qu’elle partage ses avis, raconte sa vie, poste des vidéos d’elle, papote avec ses followers, assume son homosexualité.

Le 18 janvier, elle est en live avec ses abonnés, disposée à parler « de tout un tas de choses » : styles de filles, styles de gars, préférences amoureuses, « pas vraiment les rebeus » glisse une fille en commentaire, « pareil pour moi, pas mon style » répond Mila. Jusqu’à ce que l’un des abonnées de Mila lui fasse des avances, qu’elle rejette. Il la traite alors de raciste et semble être l’élément déclencheur du cyberharcèlement qu’elle subira ensuite.

Le débat dérape vite et se concentre sur la religion tandis que la lycéenne affirme « rejeter toutes les religions ». Elle n’est « pas du tout raciste », assure-t-elle, « puisqu’on ne peut pas être raciste envers une religion. » Une seconde vidéo publiée en « story » (des vidéos censées rester visibles pendant uniquement 24 heures) et rapidement relayée déclenche les torrents d’injures et menaces de mort à son égard. Elle y critique vertement l’islam :

« Je déteste la religion, (…) le Coran il n’y a que de la haine là-dedans, l’islam c’est de la merde. (…) J’ai dit ce que j’en pensais, vous n’allez pas me le faire regretter. Il y a encore des gens qui vont s’exciter, j’en ai clairement rien à foutre, je dis ce que je veux, ce que je pense. Votre religion, c’est de la merde, votre Dieu, je lui mets un doigt dans le trou du cul, merci, au revoir. »

Sur le site identitaire Bellica (appartenant à un mouvement d’extrême droite à l’idéologie raciste), qui a recueilli le témoignage de Mila dès le mardi 21 janvier, puis dans Checknews, sur le site de Libération, à qui elle s’est confiée le lendemain, la lycéenne se justifie : « Contrairement à eux, je n’ai insulté personne, ni menacé, ni appelé à la violence envers qui que ce soit. Ce que j’ai fait, c’est du blasphème, c’est une critique générale des religions, et rien d’autre. »

« Je recevais 200 messages de pure haine à la minute »

Pendant ce temps, sa vidéo est enregistrée, diffusée, et commentée sur Twitter et Snapchat. Sa messagerie Instagram explose : « je recevais 200 messages de pure haine à la minute », des faux comptes sont créés à son nom, explique-t-elle à Bellica, qui a mis en ligne des captures d’écran des messages ultra violents qu’elle a reçus.

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Des informations personnelles la concernant, comme son adresse ou le nom de son lycée, sont divulguées :

« Je peux plus mettre un pied dans mon lycée et je ne peux même pas changer de lycée parce que c’est la France entière qui veut ma peau ».

Depuis le début de l’affaire, Mila vit cloîtrée chez elle. « Déscolarisée de fait », assure son avocat, Richard Malka, même si l’académie de Grenoble – dont la jeune fille dépend – dément toute éviction de son lycée du nord de l’Isère et assure que la « continuité pédagogique, à distance, est assurée ».

Dès le lundi 20 janvier, des policiers étaient présents dans l’établissement, « pour la protéger et éviter les problèmes, au cas où », explique-t-on dans l’entourage du recteur. Des élèves en ont déduit que l’adolescente avait eu besoin d’« être exfiltrée ». Il n’en est rien : Mila – qui n’a pas souhaité nous répondre autrement que par la voix de son avocat – n’avait même pas fait le déplacement. « L’éducation nationale se préoccupe de sa situation, mais il est difficile de trouver un établissement capable aujourd’hui d’assurer sa sécurité », avance MMalka, pour qui « de nombreuses menaces ont émané d’élèves de son lycée ».

« Notre stratégie pour que cette jeune fille reprenne une scolarité normale n’est pas encore arrêtée », commente-t-on du côté du rectorat.

« Qui sème le vent récolte la tempête »

L’affaire Mila a aussi créé des dissensions au sein des institutions religieuses. Le jeudi 23 janvier, le délégué général du Conseil français du culte musulman (CFCM), Abdallah Zekri, a estimé dans l’émission Les Vraies Voix sur Sud Radio : « qui sème le vent récolte la tempête ». « Elle l’a cherché, elle assume », a-t-il encore lancé, tout en se disant « contre » les menaces de mort qu’elle a reçues.

Le 28, la polémique ne cessant d’enfler et après notamment les déclarations de la secrétaire d’Etat à l’égalité femmes-hommes, Marlène Schiappa, considérant ces propos comme « criminels », le tout nouveau président du CFCM, Mohammed Moussaoui, publiait dans un communiqué, suite à son premier « appel à la retenue », « une mise au point » pour rappeler la position officielle du CFCM. « Toutefois l’expression l’a cherché, utilisée par A. Zekri, et sortie de son contexte, pour pointer la responsabilité de la jeune fille face aux propos qu’elle a tenus, n’était pas appropriée. »

Deux enquêtes ouvertes

Au terme des investigations confiées à la section de recherche de la gendarmerie nationale de Grenoble, le parquet a classé sans suite, ce vendredi 30 janvier, la première enquête ouverte pour « provocation à la haine raciale ». En revanche, selon le procureur de Vienne, Jérôme Bourrier, la seconde enquête « ouverte du chef de menaces de mort, menace de commettre un crime, harcèlement », se poursuit, et sera « plus longue », ajoute-t-il.

« Les menaces qui ont été proférées et qui continuent à l’être proviennent d’individus agissant sous couvert d’anonymat et même sous faux pseudonymes. Impossible de dire, pour l’heure, si figurent parmi ces personnes des élèves du même lycée, tempère-t-il, mais cela fait l’objet d’investigations ».

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