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Notre-Dame : le gouvernement a-t-il interdit aux architectes des monuments historiques de répondre aux interviews ?

Il n'y a pas eu d'interdiction formelle, mais la communication est davantage centralisée, et les architectes en chef des monuments historiques doivent désormais adresser les demandes d'interview et les éléments de réponses envisagés au cabinet du ministre de la Culture.
par Cédric Mathiot
publié le 19 avril 2019 à 20h34
(mis à jour le 20 avril 2019 à 0h46)

Question posée par EldoRhaan le 19/04/2019

Bonjour,

Votre question renvoie à un tweet du journaliste Antoine Pasquier, rédacteur en chef de Famille chrétienne, affirmant qu'une instruction avait été donnée aux architectes en chef des monuments historiques de ne plus répondre aux interviews sur Notre-Dame.

Un tweet parfois interprété (en témoignent les commentaires) comme relevant une volonté de censure, ou de mise au pas. Les architectes en chef des monuments historiques (ACMH) sont en effet des fonctionnaires d’Etat, même s'ils sont d’un genre particulier, puisqu’ils ont le statut libéral. Au nombre de 39, ils interviennent chacun dans leur circonscription pour les travaux de restauration des monuments historiques classés dans leur zone, et sont payés en honoraires par les deniers publics. Ils ont aussi la possibilité d’avoir une activité privée. Depuis l’incendie de Notre-Dame, en raison de leur expertise, ils ont été très sollicités dans les médias occupés à essayer de lever les nombreux mystères sur les causes de l’incendie ou l’état de la cathédrale. Trop loquaces pour le ministère ?

Antoine Pasquier, qui précise qu'il ne parle pas de censure dans son tweet, a précisé a CheckNews avoir reçu deux refus de la part d'ACMH. Le premier lui aurait adressé un mail ainsi formulé : «hélas consigne nous est demandée pour ne donner aucun interview officiel sur Notre Dame». Le second, joint par téléphone, lui aurait dit qu'il ne pouvait pas parler de Notre-Dame afin «d'éviter la cacophonie».

A lire aussiNotre dossier : L'incendie de Notre-Dame

«Si des consignes dans la communication ont bien été données, il n'y a pas d'interdiction, affirme à CheckNews un architecte des monuments historiques. La preuve, je suis occupé quasiment exclusivement à répondre à la presse depuis deux jours. Il y a eu une concertation mardi matin entre les représentants de la compagnie des architectes en chef des monuments historiques et le ministère. L'idée était de demander aux architectes de ne pas dire ce qu'il ne savait pas. Il y a eu beaucoup d'émotion, les questions ont afflué. On est dans une société qui veut des explications tout de suite, y compris quand il n'y en a pas encore.»

Parole contrôlée

Parler de censure, c'est une fake news, assure Charlotte Hubert, présidente de la compagnie des ACMH. Elle confirme «avoir eu une mise au point avec le ministère sur la question de la communication mardi en fin de matinée». A la suite de quoi un mail a été envoyé vers midi pour demander aux architectes de suspendre les interviews avec la presse pendant un moment, le temps de mettre en place une chaîne d'informations sûres. «Mais ça n'a duré que quelques heures. Les choses se sont organisées depuis.»

La parole est clairement plus contrôlée depuis. Les architectes adressent ainsi au ministère les demandes d'interviews. Un mail en ce sens a été envoyé mardi. Un de ses destinataires nous en a fait la lecture : «Le ministère exige que les demandes d'interview et éléments de langage envisagés dans la réponse aux questions doivent être annoncées et autorisés préalablement par le cabinet du ministre.» Le ministère envoie également aux architectes des points précis sur l'état de Notre-Dame et l'avancement de la sécurisation. «Le but c'est de donner des infos fiables. Nous ne sommes pas tous sur le chantier, justifie Charlotte Hubert. L'émotion nous a montré que c'était un sujet suffisamment important pour qu'on ne dise pas n'importe quoi. Mais nous n'avons rien à cacher… »

Stupéfaction

«Ça partait un peu dans tous les sens. On n'est pas des professionnels de la com. C'est une matière très technique, des propos ont pu être mal interprétés», concède un architecte. Plusieurs interlocuteurs pointent en exemple l'interview remarquée de Benjamin Mouton à LCI. L'ex-architecte en chef de Notre-Dame avait dit sa stupéfaction devant la vitesse à laquelle l'incendie s'était propagé. «Incompréhensible. C'est du très vieux chêne. Et il a brûlé comme des allumettes», avait-il notamment déclaré, ajoutant : «La propagation est extrêmement curieuse.» Des paroles volontiers reprises par les tenants d'une piste non accidentelle, et qui circulent énormément sur le Net depuis.

«L'idée c'est d'éviter aussi la multiplication des opinions, juge un autre architecte. On s'en remet un peu plus à Charlotte Hubert.» Laquelle concède être lancée dans un marathon médiatique, mais nie toute interdiction faite à ses collègues de parler : «celui que les médias aimeraient avoir, c'est Philippe Villeneuve, qui est l'architecte en chef de Notre-Dame, mais il a autre chose à faire», dit Charlotte Hubert, qui est donc sa "porte-parole". Et qui, de fait, est omniprésente depuis trois jours pour répondre à la presse. De même que le ministre Franck Riester qui occupe une place centrale dans la communication autour du devenir de la catéhédrale.

Contacté par CheckNews, le ministère nous a finalement envoyé cette réponse : «aucune circulaire n'a été diffusée aux architectes avec pour consigne de ne pas répondre aux journalistes. Devant l'afflux des demandes, il a simplement été demandé à la compagnie des architectes en chef des monuments historiques d'avoir un point unique d'entrée pour coordonner le tout, ce qui est assuré par la présidente de la compagnie Charlotte Hubert.»

Cordialement

Edit : mise à jour à 22h51 vendredi 19 avril avec ajout de la réaction du ministère

Edit : mise à jour à 18h00 samedi 20 avril avec ajout des précisions d'Antoine Pasquier

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