Que l’on soit juif ou chrétien, que l’on croie au Ciel ou que l’on n’y croie pas, la lecture des livres de Daniel Boyarin est toujours une expérience singulière. L’idée centrale des travaux de cet historien et philosophe, né dans le New Jersey en 1946, est que la « partition » du christianisme et du judaïsme se fit beaucoup plus tard que l’on continue de le croire et de l’enseigner. Contestant ce qu’il appelle la « légende talmudique » d’un grand concile juif qui se serait tenu dans les années 90 pour jeter les bases d’un judaïsme rabbinique bien distinct du christianisme apostolique (par exemple sur la question d’un Messie souffrant, mourant et ressuscitant), ce professeur de culture talmudique à l’université californienne de Berkeley, spécialiste des premiers siècles de notre ère et qui se définit lui-même comme un juif orthodoxe, soutient de manière éloquente qu’il fallut attendre le IVe siècle, peut-être même le Ve siècle, après les conciles de Nicée (325) et de Constantinople (381), pour que les choses soient parfaitement claires : juifs d’un côté, chrétiens de l’autre. Auparavant, ce que Daniel Boyarin appelle avec une grande audace le « judaïsme chrétien » n’était pas clairement distinct du « judaïsme rabbinique ». Selon lui, leur partition tardive fut la conséquence d’un durcissement des positions mutuelles sur quelques questions disputées (l’idée d’une seconde hypostase divine, la croyance en l’éternité de l’âme, le shabbat, la date de Pâques, etc.), les uns et les autres inventant une orthodoxie inexistante jusque-là.
« Les groupes, juge-t-il, se sont graduellement figés en judaïsme et christianisme non via une séparation, via une bifurcation, mais par la formation d’agglomérats dialectaux : des indices d’identité (tels que circoncision ou non-circoncision) furent choisis, se diffusèrent et formèrent des agglomérats. Mais ce fut seulement avec la mobilisation du pouvoir temporel (par le biais des appareils d’Éta
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