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Après la décision du tribunal constitutionnel de Karlsruhe, la fin de l’euro?

Annonce du tribunal constitutionnel fédéral d’Allemagne. Karlsruhe, 5 mai 2020 SEBASTIAN GOLLNOW/AFP

FIGAROVOX/TRIBUNE - La Cour constitutionnelle allemande a demandé à la BCE de s’expliquer sur son programme d’achat de dettes. Cette procédure prouve que l’Allemagne entend rester maîtresse des politiques monétaires de la zone euro, juge le député Christian Hutin, qui appelle la France à davantage de lucidité.

Christian Hutin est député du Nord (groupe socialiste), membre de la commission des Affaires étrangères et secrétaire national du Mouvement des Citoyens.


Ce mardi 05 mai, le tribunal constitutionnel de Karlsruhe vient de rendre une décision qui peut avoir des retombées considérables voire historiques. En effet, la «Cour suprême» allemande dans son arrêt, met en doute de façon très claire, une décision de la Cour européenne de justice.

Les Allemands souhaitaient savoir si les pratiques de la BCE correspondaient à la lettre et à l’esprit des traités.

De quoi s’agit-il? Pour aller directement à l’essentiel, le tribunal constitutionnel allemand s’était vu saisi en 2015, par des universitaires, des responsables politiques qu’on peut considérer comme «eurosceptiques», mais également par 35 000 citoyens allemands, de questions relatives aux pratiques de la Banque centrale européenne, en particulier en matière monétaire. Ils souhaitaient savoir si lesdites pratiques étaient bien conformes avec le droit européen et surtout si elles correspondaient à la lettre et à l’esprit des traités qui en régissent le fonctionnement. Cette première saisine concernait un dispositif qui s’appelle OMT (Opérations monétaires sur titres) et une seconde de 2018 qui se nomme joliment PSPP (Public sector purchase programme). Ce qu’on appelle le «Quantitative easing» (assouplissement quantitatif).

Le tribunal de Karlsruhe émet des doutes sur les moyens mis en œuvre par la BCE en rachetant de la dette souveraine, qui se traduit immédiatement outre-Rhin comme la perspective de la mutualisation des dettes des États membres, ce dont ne veulent à aucun prix les Allemands. En effet, les traités interdisent formellement que les États puissent emprunter directement à la BCE.

Les traités interdisent formellement que les États puissent emprunter directement à la BCE.

Pour mémoire il n’est pas inutile de rappeler également que le programme des opérations monétaires sur titres (OMT) est annoncé le 6 septembre 2012 après le vote du Conseil des gouverneurs de la BCE et que seul Jens Weidmann représentant de la Bundesbank a voté «contre». Il convenait de «voler au secours»de l’Espagne et de l’Italie. Nous étions déjà dans la crise de l’Euro qu’il fallait sauver à la suite de la crise de 2008. Trois ans plus tard c’est à l’autre bout de la Méditerranée que l’incendie monétaire éclate avec la crise grecque et l’arrivée d’Alexis Tsipras au pouvoir. Il refuse de céder aux injonctions de la Troïka (BCE, Commission européenne et FMI) et organise un référendum qu’il remporte haut la main avec 61,31% des suffrages exprimés. Dès lors une bataille politico judiciaire s’engage. Plus de 35 000 Allemands saisissent leur tribunal constitutionnel, refusant de payer pour les pays du «club Med». On sait ce qu’il en adviendra avec une véritable mise sous tutelle de la Grèce. Et les Grecs durent revoter...

Mais, en arrière-plan de ce décor, il ne faut surtout pas oublier la décision du 30 juin 2009 de ce même tribunal constitutionnel disant «qu’il n’y a pas de peuple européen» et qui illustre la continuité de la jurisprudence allemande sur ces questions, éclairant la situation d’aujourd’hui.

Cette décision confirme la méfiance grandissante de l’Allemagne vis-à-vis des dispositifs financiers de la BCE.

La question est la même avec le PSPP. Et la réponse de ce jour du tribunal constitutionnel de Karlsruhe vient en réalité confirmer une méfiance grandissante de l’Allemagne vis-à-vis des dispositifs financiers mis en place par la BCE qui tente de parer de plus en plus vite au plus pressé dans la mesure où les crises qui frappent l’euro sont de plus en plus fréquentes et violentes. La pandémie de coronavirus étant particulièrement importante, plus de 2 600 milliards d’euros sont injectés pour faire face à une situation déjà difficile. Dispositif relancé avec l’arrivée de l’épidémie qui nous plonge dans une crise économique d’une ampleur inédite et qui peut se traduire par une récession que je crains historique. Depuis mars, il faut prendre également en compte 1 000 milliards d’euros de rachats ainsi qu’un plan de 750 milliards directement liés à la pandémie. Nous mesurons l’ampleur du problème.

Et bien hier matin les Allemands ont dit NEIN!

Ils refusent désormais clairement de s’engager dans un processus dont ils disent qu’il aboutirait à faire payer l’épargnant allemand. Cette décision peut avoir des conséquences gigantesques et porte éventuellement en elle la fin de l’euro. En tout cas tel qu’on le connaît.

Il s’agit très clairement d’un ultimatum adressé à la BCE.

Tout d’abord, il s’agit très clairement d’un ultimatum adressé à la BCE. «Si vous êtes en dehors des traités qui vous interdisent essentiellement deux choses (et c’est pour cela que nous avons accepté l’euro) l’interdiction de financer directement les États et ensuite de lutter d’abord et avant tout contre l’inflation, nous ordonnerons alors à la Banque centrale d’Allemagne de cesser toute participation à vos activités.» Cette simple (mais considérable) annonce a immédiatement mis l’Italie et l’Espagne sous tension.

Qu’en est-il donc de la fameuse indépendance de la BCE? En réalité, l’Allemagne nous dit que la patronne c’est elle et que l’euro ne saurait être autre chose qu’un Deutchmark bis. Ce que celles et ceux qui regardent les choses en face savent depuis longtemps. Il convient maintenant de le reconnaître, ce qui sera un grand progrès.

Qu’elle refuse que la BCE devienne une gigantesque «centrale d’achat» de crédits pour financer des États qui refusent de se soumettre à l’ordolibéralisme qui a fait en partie la puissance de l’Allemagne. Système qui la protège des cauchemars qui ne cessent de la hanter et qui imprègne son imaginaire et dont elle pense qu’il est partagé par les autres peuples d’Europe et que si ce n’est pas le cas, ça doit le devenir.

» À voir aussi - La justice allemande menace l’action de la BCE

L’Allemagne multiplie les lignes de fractures et les tensions sur l’ensemble du continent.

Ce que l’Allemagne doit comprendre, c’est qu’en assurant sa domination grâce notamment à la reconstitution de sa zone d’influence sur l’Europe centrale avec une monnaie à sa main dont la sous-évaluation lui donne un avantage compétitif considérable sur ses voisins et en particulier la France, elle multiplie les lignes de fractures et les tensions sur l’ensemble du continent. Et ce que nous Français devons comprendre et admettre, c’est qu’une telle situation va à l’encontre de nos intérêts fondamentaux. Il suffit de mesurer l’ampleur de notre désindustrialisation et de notre déficit commercial avec l’Allemagne.

Il nous faut donc aujourd’hui, de façon urgente, entamer un véritable dialogue avec l’Allemagne avec laquelle il faut parler franc. Nous avons les moyens de sortir par le haut de cette crise qui porte en elle de très graves dangers. Il faudra prendre des mesures audacieuses et faire preuve d’une grande hauteur de vue. Envisager de profonds changements dans le fonctionnement de l’euro si nous pensons qu’il doit être sauvé. Peut-être abandonner la monnaie unique pour passer à la monnaie commune afin de nous donner de véritables marges de manœuvre afin de faire vivre et de développer des économies profondément différentes.

L’histoire s’accélère, ne la laissons pas nous échapper.

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450 commentaires
  • CarloSolis

    le

    La fin de l'euro est enfin sur les rails

  • arcadia

    le

    la fin de l euro tant mieux et vite

  • Anonyme

    le

    Quittons l’Europe et vite .
    Que voulez faire avec L’Allemagne rien .

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