Le secret de La Salette a …15 ans !

Secret de la Salette
 
Un secret aux oubliettes. C’est bien ainsi qu’apparaît aujourd’hui le secret de La Salette – ou plutôt les secrets puisqu’il y en a eu deux révélés par Notre Dame, un à Mélanie et un à Maximin – alors que, paradoxalement, il avait fait couler tant d’encre à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Rome avait même dû intervenir à plusieurs reprises à partir de 1880 pour condamner certains écrits et même interdire toute publication sur le secret et « ses adaptations aux temps présents et aux temps à venir », sous Benoît XV, le 21 décembre 1915. À l’époque, le clergé français se trouvait divisé sur la véracité des secrets. Pourquoi de telles divisions ?
 

Secret de La Salette, de Lourdes, de Fatima

 
Ce n’est pas tant à cause de l’existence d’un secret : ce sont choses assez courantes dans les apparitions comme à Lourdes pour sainte Bernadette, ou avec les trois enfants de Fatima.
 
L’existence d’un secret, à côté d’un message public immédiatement révélé, a plusieurs avantages. D’abord il permet de tester la fidélité des voyants et Maximin reconnaissait volontiers que son secret lui servait « à ce que je le garde ! » Le secret permet aussi d’attirer l’attention sur une partie plus importante du message et il faut alors se préparer à son dévoilement dans la prière et la foi : à Fatima, la première partie du secret est la vision de l’enfer éternel, vérité bien connue mais dont le rappel différé, après jugement favorable de l’Église sur la réalité des apparitions de Notre Dame et le développement du pèlerinage avec ses grâces, ses miracles et sa ferveur, fait de grandes impressions sur le lecteur. Et enfin le secret, qui s’adresse à certaines autorités avant d’être livré au public, leur permet de prendre leurs dispositions par avance et dans le calme : « Il est heureux que nous ayons été avertis ; autrement, nous nous serions trouvé dans une impasse, d’où nous n’aurions pu sortir » témoigne Pie IX, après lecture du secret de La Salette, devant Monsieur Rousselot le 30 juillet 1861.
 
Ici les difficultés étaient de deux sortes : tout d’abord le secret, tel que Mélanie l’avait rédigé pour le public, contenait des prophéties effrayantes pour l’Église et pour la société, « à la veille des fléaux les plus terribles et des plus grands événements ». Les précisions données étaient très perturbantes : « La France, l’Italie, l’Espagne et l’Angleterre seront en guerre, le sang coulera dans les rues » ; le pape devait encore se méfier de Napoléon III, « son cœur est double » ; quant au clergé et aux religieux, ils étaient stigmatisés comme « cloaques d’impureté » à cause de « leur mauvaise vie, leur indifférence et l’impiété à célébrer les saints mystères, l’amour de l’argent, l’amour de l’honneur et des plaisirs… » Mais en plus, la parution de ce secret – en 1879, à Lecce en Italie – venait longtemps après les faits mêmes de l’apparition : 33 ans. De là à parler d’interpolation de Mélanie, voir même d’invention, il n’y avait qu’un pas.
 

Les différentes versions du secret de La Salette

 
Il y aurait eu un moyen de mettre d’accord les contradicteurs : en fait, les voyants de La Salette avaient rédigé à plusieurs reprises leurs secrets : 11 versions en tout. Les premières rédactions, faites pour le pape Pie IX, dataient des 3 et 6 juillet 1851. Puis, à la demande de l’évêque de Grenoble Monseigneur Ginoulhiac, Maximin et Mélanie s’exécutaient encore en août 1853. Une nouvelle version, en 1858, était envoyée par Mélanie à Rome. Enfin venait l’édition définitive de Lecce. Les toutes premières versions auraient pu mettre fin à la controverse, dans un sens ou dans l’autre. Mais elles semblaient perdues…
 

L’ouverture des archives du Saint-Office dévoile la première version du secret de La Salette

 
Cependant, un jeune chercheur, le père Michel Corteville, travaillant sa thèse de théologie sur les voyants de La Salette, bénéficia de l’ouverture des archives du Saint-Office concernant le pontificat de Léon XIII (1878–1903). Et c’est là que, le samedi 2 octobre 1999, il devait apercevoir, parmi les papiers rassemblés dans une dizaine de gros dossiers consacrés à La Salette, l’écriture de Mélanie sur un papier à lettre bleuté avec, sur l’en-tête, la date du 6 juillet 1851 qui ne laisse aucun doute : il s’agit de la première rédaction du secret pour le pape Pie IX. Ce document est essentiel.
 
Tout d’abord parce que c’est sur lui que se sont fondés le pape et Monseigneur de Bruillard pour reconnaître l’authenticité des apparitions. Ensuite parce que ce document irréfutable accrédite la version du secret rédigée en 1878 par Mélanie, cette version que l’on disait fausse à cause de son contenu catastrophiste.
 

De simples modifications de rédaction

 
Certes, le secret de 1851, conservé aux archives de la Congrégation de la Foi, et le secret de 1878 apparaissent différents : en effet la première rédaction est plus courte que les suivantes, plans et détails diffèrent en conséquence. Est-ce à dire que les dernières rédactions, les plus connus, sont fausses ? Michel Corteville apporte des réponses instructives.
 
Il note que les voyants ont longuement hésité avant d’écrire au pape – c’était un secret, cela ne se dit pas, à personne. Et le contenu est si terrible qu’elle ne voulait pas le faire « pleurer » dira Mélanie en 1855. La situation politique de 1851 exigeait aussi une certaine prudence, devenue inutile en 1879. D’où la formule abrégée que reçu Pie IX.
 
Les différences entre les rédactions sont tout à fait explicables dans la perspective d’une révélation surnaturelle : le voyant reçoit une communication sous forme d’images ou d’idées qui lui transmettent la pensée même que Dieu a, de toute éternité, du passé – présent – avenir. Quant au voyant, il lui reste ensuite à traduire ces visions en termes humains. Le plus et le moins sont alors possibles restants saufs la nature et l’essence même du message. Ce qui est le cas ici à La Salette.
Car on note que tous les thèmes de la version tardive sont bien présents dans la version initiale : châtiment de la France pour ses péchés, grave commotion dans le reste du monde, terrible crise dans l’Église avec persécution du pape et des fidèles, graves fautes et démission d’une partie importante du clergé, chute puis relèvement et rechute de la société chrétienne, et enfin présence de l’Antéchrist, signalée par toutes les rédactions.
 

Le secret de La Salette ? « Si vous ne faites pénitence, vous périrez tous ! »

 
Tous ces secrets traduisent donc la volonté que Dieu a de la conversion de notre monde et de chacun de ses habitants. C’est d’ailleurs la réflexion que le pape Pie IX faisait à la lecture du secret, le 18 juillet 1861 : « J’ai moins à craindre de l’impiété déclarée que de l’indifférence et du respect humain »… Dans une autre communication au Révérend Père Giraud, supérieur général des missionnaires de La Salette, le pape ajoutait : « Vous voulez connaître les secrets de La Salette ? Eh bien ! Voici les secrets de La Salette : si vous ne faites pénitence, vous périrez tous ! »
 
La découverte du Père Corteville en 1999 redonne vie à ces avertissements prophétiques que la Vierge Marie a donnés sur la montagne de La Salette il y aura bientôt deux siècles.

À lire : René Laurentin et Michel Corteville, Découverte du secret de La Salette, Fayard, 2002