Voici pourquoi des internautes mettent en doute l'histoire de Quaden, le petit Australien harcelé à l'école

Mais voilà, rapidement après l’émotion, les premiers doutes font surface. Des internautes épluchent le passé de l’enfant, de sa mère. But : prouver par tous les moyens que cette histoire est une fake news, un hoax destiné à soutirer de l’argent. La RTBF a décidé de passer en revue l’ensemble des éléments soumis par des internautes plus que sceptiques depuis 48 heures.

1. L’origine de la vidéo et l’attitude de la mère

La vidéo date de jeudi. L’auteure de la séquence, qui dure cinq minutes, est sa mère, Yarraka Bayles, 39 ans, originaire de Brisbane en Australie. Dans la séquence partagée sur Facebook et rapidement devenue virale, elle explique avoir retrouvé son fils après un nouvel épisode de harcèlement dans son école. Mais ce qui surprend certains internautes, c’est l’attitude de la mère. "Je trouve ça dégueulasse que sa propre mère mette la douleur de son fils en scène. Qd ton fils souffre comme ça tu ne le filmes pas comme si ct une story instagram en parlant par dessus ses sanglots. Chais pas y’a que moi que ça choque ?", écrit ce Twitto. En d’autres termes, au lieu de prendre son fils dans ses bras et le consoler, pourquoi filme-t-elle son fils pendant plus de cinq longues minutes, même lorsqu’il demande de mourir ? Le comportement de la mère surprend. Mais selon celle-ci, ce n’est pas la première fois que son fils subit des actes de harcèlement à l’école. Ici, celle-ci, dit-elle, souhaitait partager sa douleur et celle de son fils atteint d’achondroplasie, une forme de nanisme, au plus grand nombre.

A plusieurs moments, notamment lorsque son fils tient les propos les plus déchirants, sa mère semble vaciller, si l’on en croit les trémolos dans sa voix.

Donc, à ce stade, cet élément ne prouve pas que la vidéo est un vaste canular.

2. L’âge de Quaden : 9 ans ou 18 ans ?

Scepticisme, aussi, quant à l’âge de Quaden. Ici aussi, rapidement, des internautes exhument des photos de Quaden de son propre compte Instagram, Quadosss (rebaptisé depuis Lilqgee). On y voit Quaden, entouré de proches, lors d’une fête d’anniversaire. Derrière, un grand "18" éclairé en rouge. La preuve, selon certains, que Quaden n’a pas 9 ans mais 18 ans, que c’est un jeune homme qui se fait passer pour un enfant. Un acteur en quelque sorte. Faux ! Ces photos sont tirées de l’anniversaire de son grand frère. Sur les réseaux de ses proches, les preuves sont faciles à trouver. Sur le compte Facebook de sa mère (dont plusieurs publications ont été retirées depuis), on retrouve des photos de Quaden enfant.

Pour @Trashnaldo, "'ne croyez pas tout ce que vous lisez sur Internet', disent les gens qui pensent que #QuadenBayles a 18 ans en raison de post Facebook sans preuves. Cherchez juste un peu en profondeur et vous trouverez la vérité. Arrêtez de dire que c’est un mensonge. Il a 9 ans."

Pour Mariana Lopez Ortiz, naine également, qui s’exprime sur le compte Facebook, "Stand Tall 4 Dwarfism" (Levez vous pour le nanisme), l’âge de Quaden n’a pas à être remis en cause. "Je vais le dire une fois pour toutes. Je connais l’histoire de Quaden avant que ce truc n’explose. Oui, il a 9 ans. Le nanisme n’est pas une blague."

Sur Youtube, depuis plusieurs heures, on ne compte pas les montages tentant de prouver que l’enfant est plus âgé.

3. Le compte Instagram de Quaden

Quaden, neuf ans, possède un compte Instagram alors que seuls les personnes âgées de 13 ans et plus peuvent adhérer au réseau social. On le sait : Quaden est loin d’être le seul enfant dans le monde à avoir un compte sur Instagram. Ceci étant, ce sont ses publications qui mettent en doute son histoire, selon plusieurs internautes. Quaden en training Gucci, Quaden en baskets Yeezy, Quaden en sweat à capuche Tommy, Quaden en Burberry… Mais surtout, Quaden qui fait des doigts d’honneur et Quaden qui tient en main des billets de banque à la manière d’un gangster. "Voilà ce qu’on a quand on bosse, tu vois", dit l’enfant dans cette vidéo postée il y a moins d’une semaine, soit avant la vidéo témoignant de son harcèlement. Le visionnage de cette vidéo a explosé depuis : plus de deux millions de vues.

"Tout cela semble être une opération de marketing. Je suis contre le harcèlement mais pourquoi cet enfant se pavane avec des billets comme un rappeur après un épisode de harcèlement aussi horrible", écrit Michael.d.turnbull, un instagrameur qui compte 118.000 abonnés.

Quaden Bayles a obtenu du soutien du monde entier, d’anonymes comme de personnalités. La rappeuse Cardi B sera l’une des dernières à poster une longue vidéo. Elle y dit, les larmes aux yeux : "Je ne crois vraiment pas qu’il ment sur son âge. Et ce n’est pas parce qu’il joue avec de l’argent et qu’il se la joue gangster et cool, que des enfants ne l’ont pas maltraité. Réveillez-vous !"

4. Le compte Instagram de la mère et les cagnottes

Il y a un mois, la mère de Quaden publie un post dans le cadre de l’organisation d’une tombola. L’argent récolté est destiné, dit la mère, à financer les funérailles de Garry Reilly, surnommé "Poppy Garry" ou encore "Uncle Gaz". C’est un membre de la famille de Quaden qui vient de décéder. "Nous avons pris le vol de 18h de Brisbane à Sydney la nuit dernière quand nous avons appris la nouvelle qu’Uncle Gaz était malade (et à l’hôpital), écrit la maman. Nous n’avons malheureusement pas pu arriver à temps quand tu as rendu ton dernier souffle, puisque nous étions dans l’avion à ce moment-là."

Dans une publication, Quaden est sollicité pour cette tombola avec à la clé, un maillot dédicacé de James Roberts, un joueur de football australien.

L’argent doit être envoyé sur le compte de mère, à la banque St George, comme mentionné dans un post. "Tout le monde maintenant se rend compte que la vidéo de l’enfant harcelé est un mensonge", écrit une followeuse en commentaire. Aucune publication ne mentionne le montant récolté pour cette cagnotte.

D’autres internautes affirment qu’il s’agit là de "la deuxième cagnotte organisée en deux mois". Mais nous n’avons pas trouvé trace de la première.

5. La cagnotte pour Disneyland

Une certitude : la mère de Quaden n’a jamais explicitement demandé l’organisation d’une cagnotte pour son fils à la suite de la vidéo où l’on voit Quaden réclamer la mort. La cagnotte "Disneyland" est une initiative de Brad Williams qui se présente comme "père, mari, comédien et nain à mi-temps". Le 20 février, il poste deux tweets. Dans le premier, il explique avoir vu la vidéo de Quaden et avoir été "malade". Dans le second, cet acteur américain peu connu en Europe explique : "J’ai parlé avec la mère de Quaden et je lui ai envoyé un message vidéo. Je vais lancer très vite une cagnotte sur GoFundMe pour offrir un voyage à Disneyland à Quaden et sa mère. […]. Montrons à Quaden à quel point il est extraordinaire !"

Dans une vidéo postée sur Youtube, Brad Williams explique son émotion concernant le cas du petit Quaden. La cagnotte devait atteindre 10.000 dollars. Aujourd’hui, on l’a dit, elle a dépassé les 400.000 dollars. Brad Williams s’en est réjoui à plusieurs reprises sur Twitter. Dans un dernier tweet, il précise le but de la somme récoltée, qui dépasse toutes les espérances : "Le but ici est d’offrir à Quaden le voyage de sa vie et de dépenser chaque dollar de manière responsable. Mes espoirs sont de mettre l’accent sur les effets négatifs du harcèlement, pour qu’enfants et parents puissent en tirer des enseignements." Une manière de couper court à la rumeur d’enrichissement personnel de la famille de Quaden ?

Il n’empêche, depuis 24 heures, de nombreux faux comptes et fausses cagnottes ont été ouverts. Quaden et sa maman multiplient les alertes sur leurs différents réseaux sociaux.

6. Quaden était-il connu avant la vidéo ?

Oui, Quaden a déjà fait l’objet d’un reportage à la télévision australienne. Nous sommes en 2015 et le talk-show "Studio 10" interviewe sa maman qui déjà à l’époque organise une campagne de sensibilisation "impressionnante" – ce sont les mots de la présentatrice – autour du nanisme. Quaden a 4 ans et vient de subir une opération des voies respiratoires. A l’époque, des célébrités locales se pressent pour le soutenir.

Cette séquence a refait surface ces dernières heures semant le doute dans l’esprit des internautes. "Tout le monde vient à son secours parce que sa mère ne cesse de l’afficher dans les médias ou bien parce que le petit passe dans des reportages ou dans des vidéos virales. C’est triste pour ce pauvre enfant", écrit l’une d’entre elles.

En avril 2015, Quaden apparaît également dans un reportage de la chaîne SBS, dans le cadre de l’émission "Living Black", présentée par Karla Grant. Un show fait de confessions autour de la communauté aborigène d’Australie qui décide ce jour-là de s’attarder, pendant 25 minutes, sur une opération chirurgicale risquée que doit subir Quaden. Le reportage est poignant puisqu’il montre l’enfant sur son lit d’hôpital, entouré d’appareils, physiquement très faible. "Tout ce que je veux c’est qu’il ait un jour 50, 60, 70, 80 ans et qu’il soit en pleine forme et qu’il ait des petits enfants", confie alors sa maman. Le sujet se termine de cette manière : "Quaden est sorti de l’hôpital. Il continue de recevoir du soutien de personnes qui ont entendu parler de son histoire."

Les commentaires de la vidéo visible sur Youtube ont été désactivés. Mais cette vidéo a également été exhumée. Pour beaucoup, c’est la preuve que la famille Bayles ne recherche que la lumière des caméras. Mais une fois encore, rien ne prouve que la complainte de Quaden est un coup monté.

Autre indice pour les sceptiques quant au manque de sincérité de la mère, un profil créé il y a un an sur le site de l’agence de castings Starnow.com. Quaden y est présenté en tant que "mannequin, influenceur". "Je vis à Brisbane et je voyage beaucoup. […] J’ai une grande audience sur les réseaux sociaux qui suit ma personnalité lumineuse parce que j’aime faire rire les gens. […] Vous pouvez voir mon documentaire et mes autres apparitions TV dans les liens. N’hésitez pas non plus à me suivre sur mes réseaux sociaux", note le texte de présentation. "Quaden, une superstar en devenir. Un artiste né avec un grand avenir devant lui". Un besoin d’être constamment dans la lumière ?

Evidemment, cette annonce n’a certainement pas été écrite par l’enfant lui-même. Mais à nouveau, plusieurs internautes expriment des doutes quant à la sincérité de l’enfant et principalement de sa mère.

Yarraka Juel Bah Ngull Bayles est une militante aborigène. Elle tente de sensibiliser le public australien sur l’histoire de son peuple, ses douleurs, ses combats. A ce titre, Yarraka Bayles a déjà été interviewée. Sur son compte Instagram, elle multiplie les publications en faveur de la cause aborigène et des discriminations subies par sa communauté.

7. Une source unique

Pour l’instant, la seule version avançant les multiples cas de harcèlement subi par Quaden est celle de la mère. Aucune autorité de l’école concernée n’a encore pris la parole, à notre connaissance et sur base de nos recherches. Depuis la vidéo devenue virale, Yarraka Bayles, la mère de Quaden, s’est au moins exprimé à deux reprises à la télévision australienne pour remercier les personnes, partout dans le monde, qui ont soutenu son fils et son combat autour du nanisme et du harcèlement. "Mon fils est passé du pire jour de sa vie au plus beau jour de sa vie, dit-elle lors d’une conférence de presse improvisée. Nous avions déjà eu du soutien mais pas à ce point, ce délire médiatique. Nous avons été contactés de partout. C’est bien plus que ce que nous espérions. Le pire cauchemar d’un parent est de perdre son enfant. Et moi, c’est ce que je vis chaque jour. Je dois me préparer tous les jours à cela. Ces problèmes médicaux sont sérieux. Ses tentations suicidaires sont authentiques. Les gens doivent le comprendre. En plus, être d’origine aborigène, c’est une double discrimination pour lui. Il y a le racisme et la discrimination en raison de son handicap."

Ici, on sent la mère dépassée par le soutien reçu de toutes parts. De manière implicite, elle semble vouloir donner des réponses aux rumeurs de manipulation circulant sur la toile.

Dans la vidéo, Yarraka Bayles apparaît aux côtés de Cody Walker, un joueur de rugby à 13, indigène lui aussi. Peu après la vidéo de la mère, la NRL, la ligue nationale de rugby australien, a décidé d’inviter l’enfant lors du All stars game prévu ce samedi. L’enfant mènera l’équipe indigène sur le terrain.

Dans une autre interview, à NITV, c’est cette fois Quaden qui prend la parole : "Les parents doivent apprendre à leurs enfants à être plus sympas avec les personnes qui présentent un handicap", dit-il en regardant sa maman. Il ajoute, tout content : "Mes rappeurs préférés m’envoient des messages sur Instagram."

Cette interview a suscité des réactions contrastées. "Je veux faire du mal à tous ceux qui lui ont fait du mal", réagit une personne sur Twitter. Une autre écrit : "C’est un acteur" relayant la photo où l’on voit Quaden faire un doigt d’honneur.

8. Un précédent en France

La vidéo virale de Quaden n'est pas sans rappeler celle de Charlie, en novembre 2019. Dans une vidéo mise en ligne sur Twitter, Charlie, sept ans, est en pleurs. Il explique qu’un petit garçon le "tape tout le temps" et qu'il pense même au suicide. "J’ai dit à ma maman que j’ai envie de rejoindre le Bon dieu", lâche-t-il dans un nouveau sanglot. La vidéo est déchirante: c'est rare qu'un enfant de cet âge s'exprime au sujet du harcèlement qu'il subit à l'école.

La vidéo est vue des millions de fois, sur les réseaux sociaux et sur les sites d'informations. Mais ici aussi, beaucoup pensent à une mise en scène. Pourtant,  Sandrine, la mère de Charlie, a déjà déposé plainte auprès de la gendarmerie pour cinq scènes de violence visant Charlie et son petit frère, victime du même bourreau. Selon le journal régional français La Dépêche, même si les enquêteurs ne mettent pas en doute le mal-être de l’enfant, "ils s'interrogent justement sur l'opportunité de publier ce témoignage sur les réseaux sociaux, au lendemain du dépôt de la plainte." Ils mettent également en cause le profil psychologique de la maman, en conflit ouvert avec la famille de l'élève accusé de harcèlement.

A la radio, la maman s'explique. Sur Europe 1, la mère de Charlie, assure hier que son fils ne "s'invente pas une vie". "Ce qu'il a vécu, ça a été des coups, des violences, des affaires arrachées... On lui a craché dessus, on lui a dit qu'il était moche, con…" La maman a également été invitée dans "Balance ton post" chez Cyril Hanouna. En mai 2019, l'enfant et sa maman sont de retour chez le célèbre animateur afin de donner de leurs nouvelles: Charlie a changé d'école.