Le colloque « L’Occident contre l’Europe » chante la Russie de Poutine sous l’ombre discrète d’Alexandre Douguine et Konstantin Malofeev

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Marine Le Pen et Vladimir Poutine, le 24 mars à Moscou.

 
C’est peu de dire que la Russie exerce une réelle fascination sur les mouvements de droite non libérale ou populistes, de droite comme de gauche, en France et ailleurs. Proches ou moins proches entre eux, catholiques ou non, les publications et groupements identitaires, souverainistes, anti-immigrationnistes français ne cachent pas leur admiration pour Poutine présenté tour à tour comme le rempart face au libéralisme américain, le défenseur de la famille, le seul homme fort contre l’islamisme… Un exemple ? Lorsque que Marine Le Pen est allée chercher il y a une semaine et demi, une forme d’adoubement à Moscou auprès de Vladimir Poutine, leur rencontre a été saluée comme un acte « courageux et bienvenu » de leur part par Philippe de Villiers. Pourtant, une idéologie qui n’a rien de catholique est clairement présente chez les penseurs et mécènes proches de l’homme fort russe – tels Alexandre Douguine, le « Raspoutine de Poutine », et l’oligarque Konstantin Malofeev. Elle apparaît essentiellement comme pro-russe et « traditionaliste » mais avec d’évidents relents gnostiques, païens, francs-maçons, tout cela derrière une façade nationaliste et pro-européenne, voire chrétienne et provie, capable de tromper bien des gens de bonne volonté.
 
On trouve pléthore de mises en lumière de ces liaisons dangereuses dans les grands médias français et occidentaux. Mais pour les admirateurs de Vladimir Poutine, il est facile de les balayer d’un revers de main. Après tout, ces médias sont si évidemment à la solde de la culture de mort, de l’idéologie de l’indifférenciation sexuelle et nationale, de la mondialisation et du mélange des cultures que leurs recherches en ce domaine semblent pouvoir être légitimement écartées comme inspirées par « l’atlantisme », la soumission à l’hyperlibéralisme américain, les mensonges « post-modernistes », le « consumérisme », le « matérialisme ». Vocabulaire récurrent, précisément, chez les tenants d’un nouveau monde « multipolaire » où l’hégémonie étatsunienne ne serait plus qu’un mauvais rêve, supplanté par la reconnaissance d’autres grands ensembles puissants.
 

Le monde multipolaire d’Alexandre Douguine à l’honneur à Paris

 
On peut résumer le sens du monde multipolaire d’après cet exposé succinct d’Alexandre Douguine : c’est « une alternative radicale au monde unipolaire (…) en raison du fait qu’il défend l’existence d’un nombre restreint de centres indépendants et souverains de prise de décision stratégique global au niveau mondial ». Ces ensembles de pays – il y une « circonspection » à l’égard de souverainetés nationales insuffisamment fortes pour « résister à l’hégémonie matérielle et spirituelle de l’Occident moderne et à son chef : les Etats-Unis » – ou « centres de décision » ne devraient pas avoir à accepter comme condition sine qua non l’universalisme des normes et des valeurs et des standards occidentaux (démocratie, libéralisme, libre marché, parlementarisme, droits de l’homme, individualisme, cosmopolitisme, etc.) et devraient pouvoir être totalement indépendants de l’hégémonie intellectuelle et spirituelle de l’Occident ».
 
Ici, il faut préciser les choses. Qu’est-ce que cet Occident ? L’Occident chrétien qui a porté l’Evangile aux confins du monde ? Non, évidemment… Quoique. Autour de ces idées de la multipolarité il y a un évident attachement à une forme de christianisme, mais orthodoxe, où Moscou devient la « Troisième Rome » pour lutter contre le pourrissement de l’Europe par le libéralisme américain, autrement dit « l’Occident ». Cette multipolarité donne évidemment une place de choix à la Russie, « la Grande Russie » redevenue « puissance souveraine et autonome », en tant qu’empire. C’est ce que Douguine appelle de ses vœux, lui qui déclarait en janvier 2015 : « Il n’y aura pas de grande Russie sans grands chocs. Une prospérité de petit-bourgeois ne conduit jamais à la grandeur. La grandeur, c’est une tout autre catégorie. Je m’attends à une grande Russie, à travers de grands ébranlements ».
 

Le colloque de la Sofrade, « l’Occident contre l’Europe »

 
Pour mieux comprendre, on pouvait assister samedi à Paris au colloque organisé à Paris par la Sofrade (Société française de démographie, présidée, depuis Moscou, par Fabrice Sorlin), sous le titre « L’Occident contre l’Europe », largement annoncé par les blogs de la mouvance catholique provie comme par les sites soraliens ou poutinistes. Je l’ai fait et ma curiosité a été amplement récompensée. A côté d’orateurs pro-famille comme Brian Brown qui préside la « National Organization for Marriage » ou Guillaume de Thieulloy, vice-président de la Sofrade, les assistants ont pu écouter, pour la modique somme de 5 euros, de nombreux orateurs venus de nombreux coins d’Europe mais surtout de la « Grande Russie ». Le petit amphithéâtre de la prestigieuse Maison de la Chimie était plein, mais avec une capacité affichée de 220 personnes on doute que le colloque soit rentré dans ses frais – lieu de conférence confortable, salons de prestige pour le service du café et des jus de fruits, traduction simultanée doivent coûter un peu plus de 1.000 euros…
 
Soit dit en passant, et contrairement à ce que l’on pourrait croire, cette Sofrade qui regrette bien des hivers démographiques n’en est pas moins très hostile à l’expansion démographique africaine qu’elle n’hésite pas à rendre responsable du « réchauffement climatique » (pourtant arrêté depuis près de vingt ans…). Son site republie sans réserves un article d’Yves-Marie Laulan pour Polemia commentant l’adoption de l’accord de la COP 21 : « On voit bien que les résultats obtenus à l’issue de la COP21 sont illusoires et les sonneries de trompe qui ont salué la fin de cette rencontre sont parfaitement dérisoires. Car elles négligent l’essentiel : l’explosion démographie de l’Afrique. Dès lors, vouloir limiter le réchauffement climatique à 2 degrés d’ici la fin de ce siècle est un objectif parfaitement irréalisable. Le facteur crucial serait de prendre les moyens d’amener l’Afrique à contrôler les naissances ». L’ONU et les climatologues comme Paul Ehrlich ne parlent en réalité pas autrement.
 
Le colloque a permis de constater « sur le terrain » les lignes de force du discours qui se veut – schématisons – pour l’Europe et contre l’Occident. Un discours tout entier appuyé sur l’héritage « helléno-romain et chrétien » de l’Europe – ici on n’entend jamais parler d’héritage judéo-chrétien ni de Dix commandements…
 
D’emblée, le trésorier de la Sofrade, Louis de Sivry, a salué la présence dans la salle du conseiller de l’ambassade de Russie à Paris, mais aussi celle du conseiller de l’ambassade d’Iran. Quel rapport ? On peut simplement signaler que Sivry est le directeur général de Tsar Consulting, présidé par Fabrice Sorlin. Cette société de conseil en stratégie d’internationalisation accompagne les projets commerciaux dans les « zones géographiques dites non-conventionnelles » – la Russie, bien sûr, mais aussi le Proche et le Moyen-Orient, Iran en tête.
 

La Russie de Poutine, comme un leit-motiv

 
L’après-midi, faite d’une succession de courtes interventions, a commencé par une réflexion de Philippe Migault, ancien chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques, l’IRIS, « think tank de référence » qui affiche à sa une des personnalités peu marginales : elles vont de Pascal Lamy à Alain Bauer en passant par Roselyne Bachelot et Hubert Védrine. On trouve une poignée de ses articles sur le site de l’IRIS. Il a ouvert le feu en dénonçant les injustices et la pauvreté dans les sociétés occidentales : l’UE, les Etats-Unis, l’Australie, le Japon « forment un ensemble aujourd’hui haï », assure-t-il.
 
Nicola Mirkovic, président de l’association « Est-Ouest », collaborateur de Sputnik et de RT.com prend la balle au bond – c’est un « monde unipolaire, avec Washington au centre de la mondialisation », dont il faut sortir. « Cette Europe à bout de souffle, soumise aux oligarques, il faut la repenser différemment, de Brest à Vladivostok, sur le fondement de ses racines helléno-chrétiennes », explique ce Serbe pour qui Serbie et Russie sont plus que frères.
 
On reste dans la même veine avec le colonel Jacques Hogard dénonçant l’OTAN, une « organisation obsolète et dangereuse » devenue « bras armé des Etats-Unis ». Discours évidemment intéressant quand on pense à toutes les batailles absurdes menées par l’OTAN ces dernières années, et qui ont eu pour seul effet de déstabiliser le monde. Mais nous ajouterons quant à nous que cette déstabilisation est indispensable, cependant, à tout bouleversement, en bonne dialectique marxiste… Pour le colonel Hogard, Poutine dit vrai lorsqu’il affirme : « C’est l’OTAN qui se presse à nos frontières et non nous qui allons quelque part ». Pas même en Ukraine ou en Syrie ? Ce qui est sûr, c’est que la Russie d’aujourd’hui maintient et renforce ses liens avec une partie l’ancien bloc communiste et ses alliés traditionnels mais aussi nouveaux, depuis Cuba jusqu’à la Chine et même dans une certaine mesure la Corée du Nord en passant par l’Iran et des pays comme le Venezuela.
 
« La Russie n’a plus rien de commun avec l’URSS. La Sainte Russie est de retour sur la scène internationale », martèle pourtant le colonel Hogard malgré de multiples signes donnés par la fédération de Russie qui cherche à glorifier jusqu’au souvenir de Staline.
 
L’assistance était en tout cas une nouvelle fois invitée à considérer la Russie « comme un partenaire et un allié » en imaginant une « Europe confédérale de Brest à Vladivostok ». Dotée, bien sûr, d’un « nouvel organisme de défense ». D’une supranationalité l’autre !
 

John Laughland : le communisme s’est réfugié en Occident

 
A John Laughland, directeur d’études de l’Institut de la Démocratie et de la Coopération – organisme présidé par Natalia Narotchnitskaïa, et dont la création avait été évoquée en son temps par Poutine lui-même – revenait l’analyse de la chute du communisme. Sa théorie tient en quelques : le communisme s’est effondré en Russie mais pas en Occident, le marxisme ayant été « totalement discrédité en Russie par son échec économique ». Sa version gramscienne, au contraire, sévit toujours en Occident, selon Laughland, tout en maintenant sept principes ouvertement marxistes, les aspects économiques étant mis de côté. Il a ainsi énuméré la croyance en la Révolution – les révolutions de couleur par exemple – ainsi que l’internationalisme, l’exploitation du droit pénal contre les ennemis, la peur du complot international : en URSS c’est cette peur qui aurait causé la répression totalitaire, dit-il. Mais quid alors de la Terreur qui encore et toujours cherche d’abord à régénérer l’homme, comme l’ont si bien montré Reynald Secher et Stéphane Courtois lors d’un récent colloque à l’ICES ? Laughland a encore nommé « le culte de l’horizontalité par le refus de l’État autoritaire et de l’autorité » qui serait à l’origine de « l’obsession minoritaire » et le culte de l’indéterminisme qui passe par l’idéologie du genre et le « culte du métissage ». « C’est le culte de l’évolutionnisme qui est au fond de la conception marxiste », explique-t-il. Et de conclure : « Deux cents ans après le Manifeste, un spectre hante l’Europe, le spectre du communisme ».
 
Ce sont des mots qui frappent, et qui semblent frapper juste. Mais on ne peut manquer d’être frappé – là encore – par l’idée avancée selon laquelle la Russie serait débarrassée définitivement du marxisme-léninisme qui aurait trouvé un autre lieu d’épanouissement. Voilà une réflexion qui mérite d’être analysée plus loin…
 
Sans doute l’une des interventions les plus révélatrices de la journée a été celle de Levan Vasadze, oligarque géorgien, à la tête d’un fonds d’investissement, Prometheus Capital Partners, au nom pour le moins intéressant. Prométhée, c’est celui qui vole la connaissance aux dieux… Vasadze est également l’un des dirigeants du World Congress of Families (WCF) et il soutient financièrement l’Eglise orthodoxe par la construction d’églises et de monastères.
 

Levan Vasadze, l’oligarque qui aime René Guénon

 
« Le marxisme est l’une des formes de totalitarisme inventées par l’Occident : le libéralisme, le marxisme et les fascismes occidentaux qui ont été vaincus dans l’ordre inverse de leur apparition » : telle était la ligne de force de son discours – le communisme serait donc un fléau imposé par l’Occident à la Russie et non l’inverse. (Et la Russie qui allait « répandre ses erreurs sur le monde » ?) Ces trois totalitarismes ont selon Vasadze pour « centres », l’individu, la classe ou la race, l’individualisme occidental étant celui à l’œuvre aujourd’hui.
 
« Mais que voulons-nous réellement ? », a-t-il poursuivi. Réponse : « Le discours affirmatif de la tradition » à la manière de « René Guénon » (connu également sous le nom d’Abd al-Wâhid Yahyâ), fasciné par l’Orient, gnostique, ésotériste, maçon et apostat. Ce même Guénon qui est une référence pour Alexandre Douguine, premier traducteur en russe de son œuvre. On a ainsi pu entendre Vasadze parler de la « civilisation occidentale » qui convient aux « sots et aux cyniques », tandis que pour les Européens contre l’Occident, « il est temps d’être des molécules du discours affirmatif de la tradition ». On dirait du Macron, mais le sens profond est là, bien suggéré : nos racines ne sont pas celles de l’Occident mais remontent bien plus loin dans les sagesses des âges. Elles ne sont certes pas catholiques !
 
Après les trois totalitarismes susnommés, Levan Vasadze en annonce un autre, dont le fondateur sera « celui dont on ne doit pas dire le nom », le « Quatrième cavalier de l’Apocalypse qui enchantera des millions de gens ». Le cavalier de la mort, l’attend-il ? Qui est-il ? Il ne l’a pas dit, mais Vasadze pense que « le libéralisme est en train de mourir… Il commence à se dévorer lui-même ».
 
« Au centre de la société », a-t-il poursuivi, « il n’y a ni la classe, ni la race, ni –Dieu nous en garde – l’individu. Je suis un fils, un père, un mari, c’est la seule chose qui fait de moi un humain ».
 
La seule ? On croit rêver. L’homme doit sa dignité à son caractère irremplaçable, être unique fait d’un corps et d’une âme immortelle, créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, non une molécule dans un flot de conscience ou un maillon qui ne vaudrait que par ses relations, mais une personne, capable de Dieu et appelée à jouir de Dieu éternellement et individuellement.
 
Pour Lavadze il n’en va pas ainsi. « En tant que très vieux Caucasien, je crois que le centre de la société doit être la famille qui est au-dessus de l’Etat et au-dessus de la religion. » Un nouveau totalitarisme avec la famille pour centre ? Avec cette fascination de la « mémoire longue » qui dilue et avale la tradition chrétienne pour affirmer une connaissance… prométhéenne ?
 
Quoi qu’il en soit, il a achevé son intervention en présentant son pays, la Géorgie, comme un « bastion historique de la chrétienté face à l’islam ». Mais : « Au cours de ces deux ou trois cents dernières années, nous avons été un bouclier face aux totalitarismes mortels venus de l’Occident ».
 

De la Russie de Poutine à la Syrie de Bachar el-Assad

 
Fabrice Sorlin, en tant que directeur de la Sofrade, a parlé à son tour de l’héritage helléno-chrétien qui est le seul héritage chrétien (plus ou moins) assumé par la nébuleuse de la nouvelle droite, héritage qui constitue, dit-il, le « juste équilibre entre le pouvoir de Dieu et le pouvoir de l’homme », ce qui pris littéralement est pour le moins curieux. Pour Sorlin aussi, « le temps long reprend ses droits » grâce à Russie… et à Bachar el-Assad qui a stoppé l’avancée des valeurs occidentales.
 
Et d’appeler les « sans-dents de tous les pays européens » à suivre la Russie qui est « contre les contre-valeurs européennes ».
 
Un jeune Ukrainien orthodoxe, Olexandr Skoruskov, est monté un peu plus tard à la tribune pour assurer un équilibre après la prise de parole par une psychologue grecque-catholique du même pays. Ayant affirmé que « l’Ukraine est divisée à cause d’une politique européenne à la petite semaine », il eut cette phrase mémorable : « Sous les Soviets on avait une morale, le sens de la personne humaine ; aujourd’hui les églises sont ouvertes mais il y a les droits homos… »
 

Alexeï Komov, un collaborateur de l’oligarque Konstantin Malofeev

 
C’est un peu court. L’intervention d’Alexeï Komov, représentant du patriarcat russe orthodoxe auprès du Congrès mondial des familles, jadis principalement animé par des Américains mais dont le centre de gravité s’est déplacé vers les pays de l’Est ces dernières années, fut plus riche d’enseignements. Pour lui, la révolution bolchevique d’il y a cent ans aura été avant tout une « expérimentation communiste » dont la Russie a fais les frais douloureux alors qu’elle n’avait rien de russe : « C’était le produit intellectuel d’une pensée occidentale plus large ». Encore une « révolution de couleur » – « rouge », bien sûr.
 
Les attaques contre la famille lui sont directement imputables, a expliqué l’homme que l’on retrouve comme rédacteur occasionnel auprès du think tank Katehon – dont nous reparlerons. Il explique : la destruction de la famille est une idée d’Engels, qui la perçoit comme facteur d’« oppression institutionnelle ». Et c’est dans cette logique que dès 1917, la révolution russe proclame l’amour libre, glorifie le nudisme, légalise le divorce. « Bien des choses testées alors, il y a cent ans, forment aujourd’hui le discours de l’ONU, et leurs ennemis principaux étaient le mariage traditionnel et l’Eglise ».
 
Mais, note Komov, il y a eu un « miracle ». Après toutes ces persécutions, « la Russie contemporaine connaît un réveil des valeurs familiales traditionnelles et de la religion et la Russie est devenue l’avocate des valeurs traditionnelles sur la scène internationale ». Paradoxe – si l’avortement a fortement chuté en Russie après avoir atteint le taux d’1,3 avortement pour 1 naissance, on en compte officiellement encore 700.000 par an, un taux plus élevé qu’en Europe occidentale, et la gestation pour autrui est légale. Komov a signalé qu’on « travaille » à revenir là-dessus. Mais ce n’est pas fait. Et le taux de divorce en Russie est parmi les pires au monde, dépassant les 50 % – c’est presqu’au niveau de la France. Les naissances hors mariage, en baisse à moins de 30 %, tournent néanmoins autour des moyennes dans les pays développés (où c’est la France qui détient une triste place sur le podium avec plus de 57 %).
 
Alexeï Komov, grand défenseur de la famille volontiers mis en avant dans les rencontres pro-famille avec des groupes occidentaux, a un discours qui s’inscrit sans effort dans l’axe général de ce colloque. Il explique : « Staline a réussi à mettre dehors la révolution radicale. Avec lui la situation s’est normalisée, elle est devenue plus favorable à la famille. La révolution radicale a émigrée vers l’Occident et s’y est perpétuée dans le cadre des nouvelles conditions historiques ». Retour à l’envoyeur, en quelque sorte, et non plus la Russie qui répand ses erreurs à travers le monde… En même temps, c’est le nouveau discours du Kremlin qui 100 ans après la Révolution d’octobre est disposé à critiquer Lénine – sans toutefois ôter son mausolée de la Place Rouge – mais pour qui Staline est devenu une figure patriotique intouchable. Malgré ses millions de victimes…
 
Pour la petite histoire, ou peut-être pour la grande, Komov est le directeur des affaires internationales de la Fondation Basile-le-Grand dont le président n’est autre que Konstantin Malofeev, fondateur du fonds d’investissement international Marshall Capital Partners et philanthrope aux idées politiques bien arrêtées.
 

Konstantin Malofeev, Katehon, Alexandre Douguine : un projet politique

 
Passons ici sur de multiples facettes de la personnalité de Malofeev pour nous arrêter sur le think tank dont il préside le conseil de surveillance : Katehon, qui possède des sites en six langues, dont l’arabe. L’un de ses principaux auteurs est Alexandre Douguine, qui a conceptualisé la « 4e théorie politique » et dont on retrouve les vidéos en différentes langues sur les sites du groupe.
 
Douguine en a dit beaucoup sur ses propres pensées et objectifs dans un texte publié sous le titre Le Gnostique – il mérite une lecture très attentive. Cela commence fort :
 
« Maintenant vient le temps de révéler la vérité, de dévoiler une essence spirituelle que les lèche-bottes ordinaires définissent comme de l’“extrémisme politique”. Nous les avons embrouillés, changeant les registres de nos sympathies politiques, la couleur de nos héros, passant du chaud au froid, du droitisme au gauchisme et inversement. Tout cela n’était qu’une préparation intellectuelle, une sorte de réchauffement idéologique.
 
« Nous avons effrayé et séduit à la fois l’extrême droite et l’extrême gauche, et maintenant toutes deux ont perdu leurs lignes directrices, toutes deux ont été attirées hors des sentiers battus. C’est merveilleux ».
 
Et cela finit, après des développements sur la « monstrueuse expérience » de ceux qui ont choisi la « Voie de la Main Gauche », reliés à leurs précurseurs gnostiques, « maillons d’une ancienne chaîne des élus, choisis par l’Horreur ».
 
Et cela se termine par des mots tout droit sortis du lexique maçonnique :
 
« Nous avons une très bonne mémoire, nous avons de très “longs bras”.
 
« Nous avons une très sévère tradition.
 
« Labyrinthes de vie, spirales d’idées, tourbillons de colère… »
 
Comme tout langage d’orgueil, celui-ci paraît passablement « allumé » – et donc insignifiant. Ne serait-il pas raisonnable de traiter cela par le mépris ? L’ennui, c’est que Douguine a longtemps eu l’oreille de Poutine, s’il ne l’a pas encore, et qu’il apparaît comme le théoricien d’un réseau aux multiples ramifications. Celui-ci, à tout le moins, a réussi à imposer ses concepts et ses mots, tandis que la droite de conviction, dûment horrifiée par l’« atlantisme », appelle de ses vœux un « monde multipolaire » et voit en Poutine un sauveur de la chrétienté. Voire…
 

Yannick Jaffré, un nietzschéen pour clore le colloque « L’Occident contre l’Europe »

 
Le dernier intervenant de cette fort instructive journée était Yannick Jaffré, ancien chevènementiste passée chez Marine Le Pen pour animer son « Collectif Racine » avant d’en repartir dépité parce qu’on n’y exploitait pas assez son talent. Gaulliste assumé – il admire Périclès, De Gaulle dont il se dit l’orphelin politique et… Poutine (nouveau papa ?) – Jaffré, comme les orateurs précédents, insiste : « Nous savons que nous venons de loin ». Et parle de cette Europe qui a « tendu l’arc de la connaissance » jadis, tandis qu’aujourd’hui « la volonté d’impuissance est injectée aux peuples ».
 
Vocabulaire révélateur. Pour clore ces conférences Jaffré invite l’assistance à retrouver « nos classiques, des Grecs à Nietzsche en passant par Machiavel » – d’où la répétition du thème de l’arc et des flèches cher au philosophe fou. Nietzche n’a-t-il pas écrit que le combat contre l’Eglise chrétienne a produit en Europe « une magnifique tension de l’esprit (…) ; avec un arc à ce point bandé on peut désormais viser les cibles les plus lointaines » ?
 
De manière plus significative encore, invitant une dernière fois l’auditoire à « retendre l’arc européen », Jaffré invoque Mahler : « La tradition n’est pas la vénération des cendres, elle est la passation du feu ».
 
Est-ce un hasard si le mot de la fin a été laissé à un « parfait panthéiste », un syncrétiste comme Mahler ?
 

Jeanne Smits