De la fenêtre de l’hôtel, on voit le métro aérien parisien franchir la Seine sur le pont de Bercy. Grâce aux wagons illuminés, on distingue même les passagers. Sur l’autre rive se dessinent les formes imposantes du Palais omnisports. Il est bientôt 17 h 30, ce 19 janvier 2010, et la nuit est déjà là. Mais les personnes présentes dans cette chambre transformée en « QG » opérationnel, avec écrans d’ordinateur et téléphones cryptés, ne sont pas d’humeur à contempler la ville : leur attention est tout entière concentrée sur un autre hôtel, à 7 000 kilomètres de là, l’Al Bustan Rotana de Dubaï, où se joue un scénario digne d’un film d’espionnage.
Les tueurs attendent le feu vert pour franchir le couloir, pénétrer dans sa chambre et lui injecter un produit mortel
Là-bas, dans la chambre 237, leurs collègues du Mossad, le service secret israélien, se tiennent prêts à passer à l’action. Deux équipes de deux tueurs sont mobilisées, soutenues par trois autres agents, dont une femme, chargés de la sécurisation des lieux et de la logistique. Dans la chambre 230, située juste en face, leur cible vient de rentrer de son shopping. Enregistré à son arrivée à Dubaï sous le nom de Mahmoud Abdul Raouf, il s’agit en réalité de Mahmoud Al-Mabhouh, responsable de l’achat des armes pour le Hamas, mouvement islamiste palestinien. Les tueurs attendent le feu vert pour franchir le couloir, pénétrer dans sa chambre et lui injecter un produit mortel.
Leur tâche accomplie, ils quittent l’Hôtel Al Bustan Rotana à 17 h 46, heure de Paris. Le cadavre de la chambre 230 ne sera découvert que dix-sept heures plus tard. Même si les premières conclusions évoquent une mort naturelle, le doute s’installe. Grâce à l’intense réseau de surveillance du pays, les autorités émiraties parviennent à repérer les membres du commando, au total une trentaine de personnes. Juste après l’assassinat, on voit ainsi, sur les images de vidéosurveillance de l’hôtel, deux des tueurs patienter devant l’ascenseur. Par rapport aux images de leur arrivée, le premier a remonté les manches de sa chemise, désormais froissée. Le second a le poignet et la moitié de la main gauche entourés d’un bandage ; sans doute le signe du recours à la force.
Agents identifiés à Dubaï
Aucun agent israélien n’est arrêté – ils ont tous eu le temps de quitter Dubaï –, mais les enquêteurs établissent qu’ils ont appelé à plusieurs reprises un même standard en Autriche. En réalité, selon une information inédite révélée ici par Le Monde, l’essentiel des appels avait pour destination finale Paris, et la fameuse chambre d’hôtel du quartier du pont de Bercy. C’est de ce centre opérationnel qu’a été coordonnée l’exécution. D’après le contre-espionnage français, des agents identifiés à Dubaï étaient venus dans la capitale préparer l’opération.
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