Oise : l’Église sous le choc après le meurtre du curé accusé de pédophilie

Des fidèles se sont rassemblés ce mercredi soir à Froissy, où l’ancien abbé accusé d’agressions sexuelles a officié pendant plus de 40 ans. Son meurtrier présumé, Alexandre, 19 ans, est toujours hospitalisé.

 Une veillée de prière était organisée ce mercredi pour rendre hommage au père Matassoli, tué à son domicile. L’homme était accusé d’agressions sexuelles sur mineur.
Une veillée de prière était organisée ce mercredi pour rendre hommage au père Matassoli, tué à son domicile. L’homme était accusé d’agressions sexuelles sur mineur. LP/Julien Barbare

    Il est un peu avant 20 heures, ce mercredi, lorsque les premiers fidèles de la paroisse Anne-Marie-Javouhey arrivent pour une veillée de prière à l'Assomption de Notre-Dame, l'église de Froissy. C'est ici qu'entre 1988 et 2009, l'abbé Roger Matassoli, dont le corps a été découvert lundi à son domicile d'Agnetz, a dit la messe. Avant 1988, déjà, il y officiait en tant que vicaire, depuis 1967. Soit 42 ans de présence.

    Cette semaine, un double choc a frappé les fidèles. L'annonce, tout d'abord, de la mort violente de leur ancien abbé. « Quelle histoire, c'est horrible », frissonne un homme. L'autopsie, réalisée mardi, a révélé des traces de coups et une mort par asphyxie. Un crucifix aurait été enfoncé dans sa gorge, selon des sources concordantes, ce que n'infirme ni ne confirme le parquet de Beauvais.

    Interdit de tout ministère après une procédure canonique

    Second séisme, surtout, pour cette communauté du Plateau picard : l'annonce, mardi, des plaintes pour agressions sexuelles dont faisait l'objet Roger Matassoli. Dans la nuit de mardi à mercredi, un communiqué de l'évêque de l'Oise, Jacques Benoit-Gonnin, a livré une sombre vérité.

    « En 2009, ayant entendu une victime, j'ai pris à l'encontre du P. Matassoli des mesures l'éloignant de l'exercice public du ministère, indique le responsable diocésain. Après le dépôt d'une plainte au civil, une procédure canonique a été engagée qui a permis d'entendre les victimes connues. Le P. Matassoli a été alors interdit de tout ministère, même privé. »

    Le parquet de Beauvais fait lui état de deux plaintes en 2018 « concernant des faits d'agressions sexuelles commis sur deux jeunes garçons alors que, âgés de 10 à 14 ans, ils étaient enfants de chœur auprès dans la paroisse du père Matassoli ». Des faits classés sans suite à cause de leur prescription, puisqu'ils ont été commis en 1962 pour l'une des victimes, et entre 1976 et 1980 pour l'autre.

    Un hommage adapté après les révélations

    « On n'était pas du tout au courant », souffle une paroissienne. Ce mercredi, devant une soixantaine de personnes, la cérémonie se veut donc élogieuse. « Nous ne voulons nous souvenirs que de vos bons mots et des bons moments partagés avec vous », débute le curé de la paroisse, Jean-René Kiedi Kionga. Les hommages s'enchaînent.

    « Les textes ont été adaptés, indique toutefois une fidèle. Pour qu'il n'y ait pas d'allusions, notamment, aux camps de vacances qu'il organisait. » Un autre, une fois informé des faits, comprend mieux l'un des passages choisis par le prêtre : « Nous sommes là, avec notre peine, nos questions, nos révoltes, nos condamnations. »

    L'Eglise demande « pardon »

    S'ajoutent les mots très forts de l'évêque de l'Oise. « Aujourd'hui encore, je pense d'abord aux victimes de l'abbé Matassoli », a-t-il déclaré mardi soir, dans son communiqué. À ces dernières, Jacques Benoit-Gonnin demande « pardon » et les assure de sa « disponibilité » et de sa « prière ».

    Une douce musique aux oreilles de Jean-Paul L., 67 ans, l'un des deux plaignants. Ces excuses, il les a également obtenues « de vive voix », au cours de longs échanges avec l'évêque. « Même si je ne suis plus croyant, je sens une empathie de sa part, en tant qu'homme », souligne celui qui avait 10 ans à l'époque des faits.

    Sans son témoignage spontané, le passé du prêtre n'aurait peut-être jamais été révélé. « Nous ignorions si la famille du père Matassoli était informée des plaintes pour agressions sexuelles, affirme toutefois le diocèse, pour s'expliquer sur son silence, lundi, à la mort du prêtre. Nous avons donc prévenu ses proches avant de communiquer sur le sujet. »

    Un nombre de victimes incertain

    Abandonné par l'Église pendant des années, et s'il constate que « la société a vraiment changé », Jean-Paul L. s'interroge maintenant sur le nombre de victimes. Il s'appuie, entre autres, sur un courrier de Roger Matassoli reçu en 2015, dans lequel le curé lui demande « humblement pardon » et évoque ses « torts » envers lui.

    Impossible, toutefois, d'en savoir plus sur le contenu de l'enquête canonique menée au sein de l'Église. « Depuis 2001, tout dossier concernant un mineur est pris en charge à Rome », indique le père Raphaël Willot, responsable de l'official inter-diocésain de Lille - le tribunal ecclésiastique dont dépend l'Oise. Sans pouvoir donner plus de détails.

    À Froissy, les paroissiens vont maintenant devoir apprendre à concilier « l'amour » pour leur ancien abbé et « la compassion certaine que nous ressentons pour ses victimes ». « Qui sommes-nous pour juger ? poursuit une dame. C'était un homme, avec ses péchés et tout ce qu'il a pu apporter aux malades et aux familles de la paroisse au fil des années. » En conclusion de la cérémonie, le curé a prévenu les fidèles : l'enquête en cours peut retarder les obsèques.

    Le suspect ne peut être entendu par les gendarmes

    Le suspect, Alexandre, 19 ans, a en effet été hospitalisé de force. Dans « un état délirant et sans s'être exprimé », précise Florent Boura, procureur de Beauvais. Si « les investigations se poursuivent », les enquêteurs doivent attendre l'aval des médecins pour l'interroger à nouveau. Il n'a toutefois « jamais indiqué avoir lui-même été victime de faits similaires » de la part du prêtre, « lequel était un proche de sa famille ».

    L'entourage du jeune homme serait également entendu pour savoir si un membre de son entourage aurait pu s'ouvrir à lui concernant d'éventuels abus sexuels. Récemment ? Les problèmes psychiatriques du suspect auraient débuté il y a quelques semaines. Ce dernier, « dans un état second », s'en serait aussi pris violemment à son père, il y a une quinzaine de jours.