Moscou suspend ses exportations de blé
En suspendant ses exportations de blé jusqu'au 1 er juillet, la Russie, l'un des plus gros producteurs de la planète, a bousculé les marchés mondiaux. Alors que la crise sociale menace, le gouvernement veut montrer qu'il privilégie le marché intérieur et agit pour limiter l'inflation.
Temporairement, le grenier à blé se referme. La Russie, dont la production de blé en 2019-2020 a atteint 73,5 millions de tonnes avec plus de 33 millions exportés, a décidé de suspendre ses ventes à l'international jusqu'au 1er juillet. Pour le premier exportateur au monde de blé, mais aussi l'un des principaux producteurs et exportateurs de céréales, c'est de facto la fin de la saison. Avec deux mois d'avance.
Début avril, Moscou avait déjà annoncé limiter ses exportations de céréales (blé, seigle, orge et maïs) à 7 millions de tonnes jusqu'au 30 juin. Les quotas ont été vite atteints. Les grands monopoles russes se sont dépêchés de dédouaner temporairement le week-end dernier, laissant les plus petits producteurs à la peine. Les pays d'Afrique du Nord et du Moyen Orient ont acheté massivement et, en moins d'un mois, la limite a été atteinte.
Crise du coronavirus
Les exportations devraient reprendre en juillet pour la nouvelle saison. D'ici là, le ministère de l'Agriculture a justifié la suspension par la nécessité de stabiliser et sécuriser son marché national en pleine crise du coronavirus. Craignant des pénuries alimentaires dans les pays pauvres , l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation (FAO) et l'Organisation mondiale du Commerce (OMC) ont critiqué cette mesure qui a fait monter les prix du blé déjà élevés.
La décision de la Russie a surpris, car le pays est loin d'être en manque de blé. Même avec la flambée d'achats de céréales, traditionnelle réaction de précaution des Russes en période de crise, le pays a largement de quoi couvrir la demande nationale. Il produit près du double de ce qu'il consomme. Mais le gouvernement doit montrer à sa population qu'il privilégie le marché intérieur et agit pour limiter l'inflation. En cessant d'exporter, il accroît les stocks et s'assure de contrôler la hausse des prix alors que la production alimentaire augmente fortement (+9,3 % en mars). C'est un rare moteur de croissance dans une économie gagnée par la récession où la production industrielle a commencé à chuter.
Pression à la hausse sur les prix
La Russie devrait rester le premier exportateur de blé en 2019-2020. Passant de 35,7 millions de tonnes à 33,5 millions, les ventes ont certes diminué, loin du total 2017-2018 (41,4 millions de tonnes). La production de blé a elle aussi baissé, de 7 millions en trois ans, mais celles d'orge et de maïs sont en hausse. Le total devrait, en 2019-2020, dépasser les 120 millions de tonnes (contre 113 millions l'année précédente) grâce à l'expansion de la superficie récoltée (record de 18 millions d'hectares pour les céréales), l'amélioration des semences et la modernisation des technologies.
Cependant, la récolte 2020-2021 s'annonce moins bonne à cause de températures volatiles et d'une pluviométrie inférieure de 15 % à 40 % aux moyennes selon les régions, notamment dans le Sud. Le gouvernement et certains analystes tablent sur une production de 75-77 millions de tonnes de blé. Mais, en fait, elle risque d'être inférieure à celle de cette année. Une pression de plus pour pousser les prix mondiaux à la hausse.
Benjamin Quenelle (Correspondant à Moscou)