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Ce que les archives du Vatican disent sur Pie XII

L'historien allemand Hubert Wolf a consulté un fonds de documents inédits du Saint-Siège. Il publie «Le Pape et le Diable - Pie XII, le Vatican et Hitler : les révélations des archives», une synthèse de ses recherches.

Quand Pie XII mourut, en 1958, un concert de louanges salua sa disparition. Le grand rabbin Elio Toaff, qui bien plus tard devait accueillir Jean-Paul II à la synagogue de Rome, déclara : « Les juifs se souviendront toujours de ce que l'Église a fait pour eux sur l'ordre du pape au moment des persécutions raciales. » À partir de 1963, tout changea. Le dramaturge Rolf Hochhuth, dans sa pièce Le Vicaire, fit grief au pontife disparu de ne pas avoir assez vigoureusement condamné la Shoah et, la même année, l'historien Saul Friedlander reprit cette accusation en se fondant sur les archives allemandes. Depuis la controverse sur le rôle de Pie XII face au nazisme n'a cessé de faire rage.

Professeur d'histoire de l'Église à l'université libre de Münster, Hubert Wolf a été l'un des premiers à exploiter une documentation inédite. Autant prévenir : les amateurs de sensationnel risquent d'être déçus par cet ouvrage sérieux, évoquant parfois des problèmes de doctrine religieuse peu accessibles au profane. Dans les « archives secrètes du Vatican » - telle est leur dénomination officielle - Hubert Wolf n'a pas trouvé de « scoop » retentissant. Sa quête obstinée, alliée à une analyse méthodique et sereine, n'en apporte pas moins des éléments décisifs pour la compréhension de l'attitude de Pie XII face au national-socialisme.

Le premier mérite de l'ouvrage est de rendre intelligible et cohérent un pape dont la culture et la vision du monde apparaissent à des années-lumière de notre époque. Né en 1876 dans une famille de juristes liée de longue date au Vatican, Eugenio Pacelli, brillant sujet, polyglotte, était avant tout un homme de foi à l'ancienne, profondément étranger au monde de son temps, pénétré des principes du thomisme, adversaire déclaré des tendances modernistes qui avaient agité l'Église au début du XXe siècle.

À ses yeux, les dogmes et la tradition de l'Église ne souffraient pas la moindre discussion. À titre personnel, Eugenio Pacelli était capable d'éprouver de la sympathie pour un protestant ou pour un juif, cela ne l'empêchait pas de considérer que les deux étaient dans l'erreur. Aussi fin diplomate qu'il ait pu apparaître, seul comptait en définitive à ses yeux l'intérêt supérieur de l'Église romaine. Dans une situation politique donnée, le futur pontife avait pour premier réflexe de privilégier ce qui pouvait favoriser la capacité d'action du Saint-Siège dans le domaine pastoral, et les archives prouvent qu'il observa scrupuleusement cette ligne tant au cours de sa mission diplomatique en Allemagne que plus tard à la tête de la secrétairerie d'État.

La République de Weimar, où il exerça ses fonctions, constituait le cadre le plus déconcertant pour cet esprit réfractaire à la ­cul­ture laïque. Ayant récusé la plus infime référence à une vo­lonté divine, le régime l'inquiétait au plus haut point. Il évita pourtant de paraître entrer en conflit avec l'autorité po­litique légalement constituée. En contrepartie d'un accès des fi­dèles aux sacrements, il renonça à intervenir dans les affaires de l'État, et cette prise de position initiale explique sa conduite postérieure, objet de polémiques.

Quand les nazis prirent le pou­voir, en janvier 1933, Eugenio Pacelli, nommé entre-temps ­­se­cré­taire d'État, ne changea pas fondamentalement d'at­titude. Hos­­­­­tile jusque-là à une alliance entre le Zentrum, parti d'inspiration catholique, et les diverses formations de gauche, il déconseilla l'affrontement avec les nouveaux maîtres de l'État et, « le revolver sur la tempe » - son expression -, il accepta la signature d'un concordat, un pacte avec le diable qui garantissait la pastorale et la stabilité de l'Église dans le cadre de la dictature nationale-socialiste.

Stricte réserve

D'après les archives, Mgr Pa­celli semble avoir fait preuve d'une stricte réserve : rien ne permet notamment d'affirmer qu'il ait incité les députés du Zentrum à voter en 1933 les pleins pouvoirs à Hitler, ou qu'il ait poussé les prélats allemands à lever leurs mises en garde contre le nazisme. « Ces démarches sont à mettre sur le compte de l'Église allemande », souligne Hubert Wolf.

Ces points importants ainsi éclairés reste le problème de l'op­portunité d'une dénonciation solennelle par le Saint-Siège des persécutions antisémites dans le IIIe Reich. Une telle initiative aurait-t-elle pu éviter le pire ? Ou bien n'aurait-elle fait que déchaîner la fureur des hitlériens ? À cette question, Hubert Wolf apporte des réponses nuancées, toujours fondées sur des documents irrécusables. Des pièces mises à la disposition des historiens, il ressort que, si Eugenio Pacelli ­ré­prouvait l'anti­sé­mitisme hitlérien, et qu'il se montra toujours disposé à aider les personnes menacées, il resta en revanche opposé à une condamnation formelle par le Saint-Siège des théories hitlériennes. Sur ce point, les archives ­confirment une différence d'ap­préciation entre Pie XI, que la mort empêcha de rendre publique une dénonciation énergique du nazisme, et son successeur, manifestement plus prudent, soucieux du sort des catholiques à l'intérieur du Reich.

Quoi qu'il en soit, l'attitude du futur Pie XII ne peut être dissociée de celle des responsables politiques de l'époque, qui, pa­reil­lement avertis des agissements des nazis, refusèrent de prendre au tragique ces informations. La cécité des dirigeants des démocraties occidentales et, dans une large mesure, des intellectuels face au national-socialisme demeure l'une des grandes énigmes de ce temps. Seul, sans doute, Winston Churchill se montra très tôt clairvoyant et refusa de croire, comme tant d'autres, à l'éventualité d'un adoucissement de la tyrannie établie par Hitler en Allemagne.

Le Pape et le Diable - Pie XII, le Vatican et Hitler : les révélations des archives de Hubert Wolf, traduit de l'allemand par Marie Gravey. CNRS Éditions, 340 p., 25 €.

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