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COVID-19 : pourquoi l’hypothèse de l’accident de laboratoire revient-elle en force?

La thèse de la fuite d’un laboratoire pour expliquer l’origine de la pandémie, vue comme relevant des théories du complot dès le début de 2020, a gagné du terrain ces dernières semaines. Qu’est-ce qui a changé? Comment y voir clair? Voici des clés de compréhension avec deux virologues.

Vue aérienne de l'Institut de virologie de Wuhan, en Chine.

L'Institut de virologie de Wuhan, dans la province de Hubei, près de l'épicentre de la pandémie de COVID-19.

Photo : Getty Images / Hector Retamal

La majorité des scientifiques penchent toujours en faveur d’une transmission naturelle du coronavirus de l’animal à l’humain pour expliquer l’apparition de la COVID-19.

Néanmoins, en mai dernier, 18 scientifiques écrivaient dans la revue Science (Nouvelle fenêtre) pour réclamer une enquête approfondie sur les origines de la pandémie, y compris la possibilité que le virus ait pu sortir d’un laboratoire où il aurait fait l’objet d’études.

Deux semaines plus tard, l’administration Biden, aux États-Unis, demandait aux services de renseignement de lui fournir un rapport dans les 90 jours pour expliquer l’origine de la maladie, tout en appelant la Chine à faire preuve de plus de transparence, une demande répétée par d’autres pays.

Depuis, les enquêtes médiatiques (Nouvelle fenêtre), les tribunes d’observateurs (Nouvelle fenêtre) du monde scientifique de même que les avis de chercheurs se multiplient au sujet de cette possible fuite d’un laboratoire.

L’Institut de virologie de Wuhan, situé dans la même ville où les premiers cas sont apparus en décembre 2019, se retrouve sous les feux des projecteurs en raison de ses travaux sur les coronavirus.

COVID-19 : tout sur la pandémie

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Une représentation du coronavirus.

Quels sont les nouveaux éléments sur le plan scientifique?

Essentiellement, le rapport des experts dépêchés début 2021 en Chine par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour enquêter sur les circonstances de l’apparition du virus en a laissé beaucoup sur leur appétit.

L’accès à certaines données et à certains échantillons était limité, ainsi que la capacité de faire des entrevues moins "contrôlées" par les officiels chinois, aux dires des experts du comité de l’OMS. Donc, il y avait des manques, rappelle Benoît Barbeau, professeur de virologie au Département des sciences biologiques à l'UQAM.

Par la suite, il y a eu beaucoup de voix dans la communauté scientifique, et évidemment chez les dirigeants politiques, qui ont voulu qu'une investigation plus indépendante, plus détaillée et qui va plus au fond des choses puisse être relancée pour clairement établir si cette théorie de la fuite de laboratoire tient la route, poursuit-il.

Deux éléments font consensus actuellement : le bassin d’origine du coronavirus se trouve chez les populations de chauves-souris du sud de la Chine et des pays limitrophes. Ce sont des espèces qui ne sont pas présentes dans la ville de Wuhan ou sa province, une région située quelque 1500 km plus au nord, rappelle le virologue Étienne Decroly, directeur de recherche au CNRS, à Marseille.

Gros plan sur la tête d'une chauve-souris.

Une chauve-souris rhinolophe du sud de la Chine.

Photo : Libiao Zhang/Guangdong Institute of Applied Biological Resource

L’autre élément consensuel est que l'épicentre de la première épidémie est dans la ville de Wuhan, poursuit-il.

Donc, finalement, ce qu'on a, c'est une chaîne qui est brisée entre les deux, et ce qu'il faut, c'est retrouver les maillons manquants en explorant différentes hypothèses, résume-t-il.

Bien qu'ils aient passé au crible quelque 80 000 échantillons de la faune, les chercheurs n’ont pas pu trouver comment le virus est passé d’une population de chauves-souris à l’humain, comme cela avait pourtant été le cas avec le coronavirus du SRAS en 2003 (l’espèce intermédiaire était très probablement la civette) et celui du MERS en 2012 (l’espèce était le dromadaire).

Malgré tout, le rapport de l’OMS concluait que l’hypothèse de la zoonose (le passage naturel du virus de l’animal à l’humain) restait la plus solide et que celle de l’accident de laboratoire était extrêmement improbable.

Dans la même journée où la commission conjointe a présenté son rapport, le directeur général de l'OMS a fait une conférence de presse [...] et concluait que toutes les hypothèses restaient envisageables et qu'il était disposé à dépêcher une nouvelle commission pour pouvoir investiguer davantage l'hypothèse de la zoonose, mais également celle de l'accident de laboratoire, rappelle Étienne Decroly.

Les mineurs du Yunnan

Un autre élément important qu’on ne connaissait pas au début de la pandémie et qui change probablement la vision, c'est la découverte d'un accident dans une mine dans la province du Yunnan en 2012, où six travailleurs (Nouvelle fenêtre) qui nettoyaient les déjections de chauves-souris ont été contaminés par une maladie que l'on pense être apparentée à une maladie à coronavirus. Et trois sont décédés, rappelle M. Decroly.

Et ce qui a été découvert en aval, c'est que l'Institut de virologie de Wuhan a récupéré des échantillons de ces malades et, à partir de ce moment-là, a échantillonné de manière très régulière la mine du Yunnan pour y collecter des virus et essayer d'identifier, probablement, le virus qui était responsable du décès de ces mineurs, poursuit-il.

On voit trois personnes en combinaison blanche et munies de lampes-torches qui explorent une grotte. Elles tiennent un sac dans la main.

Des chercheurs dans une grotte du sud de la Chine prennent des échantillons biologiques de chauves-souris.

Photo : Sciencemag/Ecohealth Alliance

Entretemps, le marché de Wuhan, considéré jusqu’alors comme point de départ de la pandémie, a été écarté comme lieu d’origine – ou du patient zéro – même si cet endroit a agi comme un site de superpropagation qui a accéléré la transmission à Wuhan en décembre 2019, rappelle Benoît Barbeau.

Par ailleurs, des données indiquent aussi que le virus circulait déjà dans les semaines précédant l’infection du premier patient confirmé par la Chine le 8 décembre 2019.

Ces éléments commandent une poursuite des recherches pour trouver l’origine de la pandémie, selon les experts.

Les expériences à l’Institut de virologie de Wuhan

Beaucoup d’attention se porte désormais sur les expériences menées à ce centre de recherche. Il possède, à l’instar d’autres centres du même calibre dans le monde, des installations de très haute sécurité, de niveau 4, qui permettent de faire des expériences sur des pathogènes extrêmement dangereux, comme les virus Ebola et l’anthrax.

Certains craignent toutefois que malgré les mesures en place à cet endroit, un coronavirus ait pu infecter un travailleur de l’Institut.

Depuis quelques années, l’Institut effectue, entre autres, des expériences dites de gain de fonction, rappellent les experts. Le but est de raccourcir en laboratoire le temps nécessaire à un virus issu d'une espèce animale, comme la chauve-souris, pour infecter une autre espèce. On accélère donc le processus d'évolution qui pourrait lui donner une capacité d'infecter des cellules [d’autres] mammifères et, évidemment, d'infecter l'humain, explique Benoît Barbeau.

Ces expériences peuvent être faites en manipulant le génome du virus ou encore en effectuant des passages répétés du virus sur des cellules en culture ou encore sur des animaux de laboratoire.

Certaines de ces expériences consistent à insérer dans un virus le gène qui code pour la protéine S d'un autre virus, précise M. Decroly. C'est la protéine S qui est l'acteur le plus important pour permettre aux coronavirus de franchir la barrière d'espèce. En faisant ce genre d'expérience, on va pouvoir évaluer si un virus qui a été identifié a des risques ou non de transfert ou d'infection de cellules humaines.

Structure en trois dimensions du virus.

Les protéines S (pour spicule), en rouge ici, sont présentes sur les coronavirus. Dans le cas du SRAS-CoV-2, les protéines S se lient aux récepteurs ACE2 des cellules humaines pour les infecter.

Photo : via reuters / Centers for Disease Control

Ces expériences servent donc à voir si des virus qui circulent chez les chauves-souris ont un potentiel pandémique chez l’humain.

On peut ensuite tenter de trouver des traitements, des agents thérapeutiques ou encore des vaccins qui pourraient venir à bout d’une pandémie hypothétique, explique M. Barbeau.

Lorsqu’on effectue de telles expériences, rappelle Benoît Barbeau, il se peut que le virus que l’on étudie n’ait aucun potentiel pandémique, comme il peut s’avérer extrêmement virulent et transmissible. Vous ne savez jamais, en partant, avec un virus initial, quelles seront les caractéristiques du virus qui résultera de ce type d'expérience, précise le virologue.

Il reste à déterminer si, en tout temps, les protocoles et les infrastructures en place permettent de prévenir un accident de laboratoire – une transmission au personnel, par aérosol ou lors d’une blessure avec du matériel contaminé, par exemple.

Les risques pris par de telles expériences valent-ils les bénéfices récoltés? La communauté scientifique est divisée sur la question. Les appels de cette dernière ont mené le gouvernement américain à décréter un moratoire sur le financement des expériences de gain de fonction en 2014, rappelle M. Decroly. Ce moratoire a ensuite été levé en 2017 sous la nouvelle administration.

Des infections issues d’accidents de laboratoire se sont par ailleurs déjà produites. Au milieu des années 2000, des chercheurs travaillant en laboratoire sur le SRAS à Pékin, à Taïwan et à Singapour se sont infectés et ont parfois transmis la maladie à leur entourage.

La responsable des études sur les coronavirus à l’Institut de virologie de Wuhan Shi Zhengli (surnommée la Batwoman chinoise pour ses recherches chez les chauves-souris) rejette quant à elle catégoriquement l’hypothèse d’une fuite de laboratoire. Elle affirme que l’Institut n’hébergeait aucun virus et ne possédait aucune séquence génétique équivalant au SRAS-CoV-2.

On voit des laborantins vêtus de combinaisons dans un laboratoire qui étudie les pathogènes. Debout, Mme Shi, concentrée sur son travail.

La chercheuse Shi Zhengli dans un laboratoire de niveau 4.

Photo : AP

Une caractéristique intrigante qui rend le SRAS-CoV-2 très transmissible

Depuis le début de la pandémie, des scientifiques s’interrogent au sujet du site de clivage par la furine, une partie de la protéine S du SRAS-CoV-2 qui lui procure un avantage énorme et le rend extrêmement transmissible entre humains.

On observe des sites analogues sur d’autres virus, notamment ceux de la grippe ou encore des cousins éloignés du SRAS-CoV-2, comme les coronavirus qui causent des rhumes. Mais ses proches parents, comme le SRAS-CoV-1, n’en possèdent pas.

De plus, la séquence génétique du site de clivage par la furine du SRAS-CoV-2 présente deux codons de suite dans une forme rarement vue chez les virus, soit CGG-CGG.

Cette caractéristique est un peu énigmatique, dit Benoît Barbeau, et a amené des chercheurs à avancer que c’était le signe d’une manipulation génétique en laboratoire.

Mais les deux virologues expliquent que cela pourrait très bien se produire dans la nature, par mutations et recombinaisons.

Les virus mutent tout le temps, c'est-à-dire qu’à mesure qu’ils sont reproduits, des parties de leur code génétique subissent de petits changements aléatoires qui parfois leur confèrent des avantages évolutifs et qui sont conservés chez les descendants. On le voit avec les nouveaux variants du coronavirus, par exemple.

Les recombinaisons, elles, se produisent lorsque deux virus de souche différente se trouvent à infecter un même individu, ce qui se produit constamment dans les populations de chauves-souris. De nouveaux virus chimériques émergent alors, faits de parties de deux virus préexistants. C'est très probablement le cas du SRAS-CoV-2.

Ces phénomènes-là arrivent constamment dans la nature, sont connus. Et chez la chauve-souris, en tant que réservoir de virus, les probabilités sont encore plus élevées. Alors, tout est possible, ou presque, explique M. Barbeau.

Mais le site de clivage par la furine n'a pas été décrit dans les premiers articles présentés par le laboratoire de Shi Zhengli [alors que c'est l'élément saillant du SRAS-CoV-2]. Tous les virologistes moléculaires connaissent le rôle de ce type de site dans les virus, et l'omission de cette description dans le premier papier de Nature (Nouvelle fenêtre) a fait couler beaucoup d'encre, relate M. Decroly.

Mais ces observations ne démontrent rien en soi, prévient toutefois M. Decroly. Elles ne permettent aucunement de trancher entre les différentes hypothèses.

Tirer des leçons pour mieux se prémunir

Peu importe le scénario qui s’avérera, les constats actuels forcent une réflexion sur nos modes d’exploitation de la nature, mais aussi sur l’encadrement des infrastructures où s’effectuent des recherches à haut risque.

On voit des policiers portant des masques chirurgicaux, devant un édifice où il est écrit Wuhan Institute of Virology.

Des policiers gardent l'entrée de l'Institut de virologie de Wuhan.

Photo : Ng Han Guan

La recherche se doit d'être transparente. On doit prendre connaissance des failles et des types de changements qui seraient nécessaires, dit Benoît Barbeau. Beaucoup d’améliorations ont tout de même été faites ces dernières années en matière de biosécurité pour encadrer adéquatement ces travaux, rappelle-t-il.

Il faudrait s'assurer qu'il y ait un comité international, indépendant des agences étatiques, qui puisse faire des évaluations, des visites des différents niveaux, et être capable de s'assurer que les labos respectent les mesures, poursuit-il. Et s'assurer que les correctifs sont faits lorsque nécessaire.

Il faut aussi faire des analyses régulières, que ce soit des échantillons du personnel, des eaux usées ou des filtres à air de ces centres de recherche, pour s'assurer qu'il n’y a pas d'indice d’infection, donne-t-il comme exemple.

D’autre part, il faut continuer à tester des échantillons de différentes espèces animales pour trouver un possible animal intermédiaire. Ceci peut prendre beaucoup de temps, ça peut être un coup de chance, rappelle M. Barbeau.

Finalement, on se heurte à une difficulté importante, c'est que les autorités politiques chinoises ne sont pas enclines à partager les résultats et permettre à l'OMS de faire l'enquête qui, selon moi, est nécessaire pour pouvoir résoudre cette question, résume Étienne Decroly.

C'est nécessaire, parce que si on ne la résout pas, le risque que collectivement on prend, au niveau international, c'est d'avoir une nouvelle épidémie qui prenne les mêmes chemins dans 5-10 ans, parce qu'on n'aurait pas fait le travail d'investigation sur l'origine de cette épidémie.

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