Le cardinal brésilien (d’origine allemande) Hummes, adversaire inlassable de Benoît XVI (qui l’avait pourtant nommé préfet pour le clergé), « saint-gallien » de fer, faiseur de Pape et grand ami de François, grand maître d’œuvre du Synode amazonien, est mort à l’âge de 87 ans [nombreux articles sur ce site]. Le flash back très documenté de Giuseppe Nardi apporte un éclairage passionnant sur les vraies amitiés de François. Qui ne sont pas vraiment celles de Benoît XVI!

Mort d’un Papstflüsterers

Giuseppe Nardi
https://katholisches.info/2022/07/05/tod-eines-papstfluesterers
5 juillet 2022

L’archevêché de São Paulo a annoncé le décès du cardinal Cláudio Hummes à l’âge de 87 ans. Le cardinal Hummes était le lieutenant du pape François au Brésil et l’un des grands promoteurs du Synode sur l’Amazonie qui, avec le Synode sur la famille, était jusqu’à présent le plus grand projet de l’actuel pontificat. Dans l’ensemble, Hummes a été l’une des voix les plus influentes pour le changement de paradigme progressiste sous François. Le pape l’a qualifié de « très, très bon ami ».

Le cardinal Odilo Scherer, archevêque par intérim de São Paulo, a publié hier (4 juillet, donc) un « communiqué de tristesse et d’espoir » et a annoncé que les funérailles auraient lieu dans la cathédrale de São Paulo :

« C’est avec une grande tristesse que je vous annonce le décès du cardinal Cláudio Hummes, (…) aujourd’hui, après une longue maladie qu’il a supportée avec patience et confiance en Dieu ».

C’est Hummes qui a dit à François, comme celui-ci l’a raconté lui-même, juste après son élection en 2013 : « N’oublie pas les pauvres ». C’est également lui qui a recommandé au nouvel élu de s’appeler François. Nous ne ferons qu’esquisser brièvement la longue histoire qui l’a précédé.

L’ascension de Hummes

Le pape Benoît XVI avait nommé l’archevêque de São Paulo à la Curie romaine malgré ses convictions progressistes. Il s’agissait d’une tentative fréquente, mais pas toujours couronnée de succès, d’éloigner de leurs diocèses les détracteurs d’un pontificat tout en les intégrant à Rome. Jean-Paul II avait échoué avec le cardinal Walter Kasper, Benoît XVI a échoué avec le cardinal Hummes.

Cláudio Hummes, né Auri Alfonso Hummes en 1934 à Montenegro dans l’État du Rio Grande do Sul, était d’origine allemande et a grandi dans une région du sud du Brésil marquée par l’immigration allemande. Ses ancêtres avaient émigré de Hunsrück au Brésil en 1857. C’est peut-être pour cette raison qu’il lui a été si facile de contribuer à forger un axe progressiste germano-brésilien.

Himmes et Lula en 1989

Il étudie chez les jésuites, mais entre en 1952 dans l’ordre franciscain, où il reçoit le nom de Claudio. Grâce à son intelligence, il peut poursuivre ses études à l’Antonianum, l’école supérieure pontificale de l’ordre franciscain à Rome. En 1958, il est ordonné prêtre et, dès 1965, conseiller de la Conférence épiscopale brésilienne pour les questions œcuméniques.

En 1975, Paul VI le nomme évêque et son confrère, l’archevêque Aloisio Lorscheider OFM [ordre des frères mineurs], l’un des signataires du Pacte des catacombes, le consacre évêque. La même année, il devint évêque de Santo André. A cette époque, Hummes entretenait déjà depuis des années des contacts étroits avec la gauche politique, en particulier avec le futur chef d’Etat et de gouvernement brésilien Luiz Inácio Lula da Silva.

Mais en même temps, il était précédé par la réputation, qui n’était que partiellement exacte, de ne pas être un tenant de la théologie marxiste de la libération qui sévissait surtout au Brésil. C’est pourquoi Jean-Paul II l’a nommé successeur de Lorscheider comme archevêque de Fortaleza et, en 1998, archevêque de São Paulo, l’un des plus grands diocèses du monde. En 2001, il a été créé cardinal.

La tentative d’intégration par Benoît XVI.

En 2006, Benoît XVI a appelé Hummes à la Curie romaine en tant que préfet de la Congrégation pour le clergé, une nomination qui a provoqué un tollé avant même l’arrivée de Hummes à Rome. Alors qu’il était encore au Brésil, le nouveau préfet du clergé s’était prononcé dans une interview pour l’abolition du célibat sacerdotal. Le scandale fut total. Le Saint-Siège, fortement snobé, est intervenu et Hummes a fait marche arrière. Il a corrigé sa déclaration et a pu prendre son poste de préfet à Rome.

Le cardinal brésilien avait ainsi révélé deux choses au monde entier : Hummes n’était pas un marxiste, mais un progressiste qui n’avait pas peur d’entrer en contact avec les marxistes. Et il savait faire preuve de tactique, au besoin en cachant ses convictions.

Pourtant, son séjour à Rome ne devait pas durer longtemps. Il s’est fait discret à l’extérieur, mais a saboté le pontificat de Benoît XVI. En 2010, le boycott par Hummes de la nomination de Saint Jean-Marie Vianney comme patron des prêtres a fait déborder le vase.

Le spectre progressiste s’est déchaîné en coulisses contre l’intention de Benoît XVI de faire du Curé d’Ars le modèle de la prochaine génération de prêtres. Selon les indignés, il s’agirait d’un retour en arrière à l’époque « préconciliaire » et serait « contraire » au Concile Vatican II. Hummes, en tant que cardinal préfet responsable à la Curie, a joué un rôle central dans la révolte contre Benoît XVI. Comme celle-ci prenait la forme d’intrigues et que Benoît XVI était un régent très indulgent, la nomination de Vianney a échoué. Toutefois, le pape allemand a montré dans sa réaction qu’il pouvait – même si ce n’était que rarement – prendre des mesures tout à fait décisives. Il renvoya le Brésilien la même année et avant la fin du mandat de Hummes. Benoît XVI a ainsi fait savoir sans équivoque à toute l’Eglise qu’il désapprouvait la gestion de Hummes.

Le cardinal Hummes retourna au Brésil à l’âge de 76 ans, devenant désormais un adversaire implacable de Benoît, mais sur un plan purement personnel. Début 2014, il aurait atteint l’âge de 80 ans et aurait cessé d’être électeur du pape. La fin de son influence. Mais Benoît XVI a surpris tout le monde en annonçant en février 2013 qu’il renonçait à sa fonction, offrant ainsi à la fronde progressiste une chance inespérée de pouvoir renverser la vapeur au « dernier moment ».

Hummes, l’homme qui murmure à l’oreille du pape

Hummes est devenu un personnage clé du conclave de mars 2013. C’est lui qui a soutenu l’archevêque de Buenos Aires dès le préconclave et qui, selon ses propres dires, a encouragé Jorge Mario Bergoglio lors du conclave, « lorsque les choses sont devenues un peu plus dangereuses ».

La préoccupation majeure du groupe secret de Saint-Gall et de la Team Bergoglio était que leur candidat argentin puisse, comme en 2005, retirer sa candidature. Le cardinal Kasper avait obtenu l’assurance de Bergoglio que cela ne se reproduirait pas.

Mais c’est à Hummes que revint la tâche de ne pas quitter Bergoglio dans la chapelle Sixtine. Lorsque ce dernier s’est présenté au monde en tant que nouveau pape, le « faiseur de papes » Hummes se tenait lui aussi à ses côtés sur la loggia de la basilique Saint-Pierre. C’est lui, comme François l’a raconté à plusieurs reprises par la suite, qui lui avait soufflé de prendre le nom de François.

Le lien étroit entre François et Hummes s’est encore manifesté l’année de l’élection, lorsque le nouveau pape a offert au Brésilien la satisfaction de la revanche. Le 21 septembre 2013, François a renvoyé le cardinal Mauro Piacenza, avec lequel Benoît XVI avait remplacé Hummes comme préfet de la Congrégation pour le clergé trois ans plus tôt seulement.

En février 2014 encore, premier anniversaire de l’annonce de la démission de Benoît XVI, on pouvait lire sur le visage de Hummes toute la joie que cela lui procurait. Sous Benoît XVI, l’ambiance parmi les catholiques du monde entier était « déprimée et triste ». Les gens auraient « baissé la tête ». Mais grâce à la renonciation du pape allemand, tant de choses ont changé d’un seul coup « de manière si rapide et si belle ». Avec l’élection de François, la perte de confiance des gens sous Benoît XVI s’est évaporée, car « désormais, les gens ont à nouveau confiance ».

Dans le climat modifié du nouveau pontificat, Hummes a accordé en juillet 2014 au journal brésilien Zero Hora un aperçu plus profond de l’univers mental d’un « faiseur de papes », où le « mariage homosexuel », l’abolition du célibat et le sacerdoce des femmes ne constituent pas des problèmes, mais jouent un rôle essentiel.

Le projet le plus important de Humme : le synode sur l’Amazonie

Cela explique pourquoi l’évêque missionnaire révolutionnaire autrichien Erwin Kräutler a trouvé en Hummes le compagnon de route déterminant pour le projet « Atelier amazonien », dont l’objectif principal était l’élimination du « célibat forcé ». C’est Hummes qui a ouvert la porte de Santa Marta et du Synode amazonien. Hummes et Kräutler ont ensuite contrôlé le réseau REPAM [Red Eclesial Pan Amazónica], créée spécialement pour le synode : Kräutler en tant que président pour le Brésil, Hummes en tant que président général.

C’est Hummes qui, avant le Synode sur l’Amazonie, annonçait tour à tour, sur un ton énigmatique, que le Synode « pourrait être historique » ou déclarait ouvertement que le Synode « déciderait des prêtres mariés ». Enfin, le synode sur l’Amazonie « ne sera pas convoqué pour répéter ce que l’Église dit déjà, mais pour aller de l’avant », déclarait Hummes à l’été 2018.

Le grand objectif du porporato brésilien était l’abolition du « célibat forcé », comme il avait déjà appelé avec mépris le célibat sacerdotal en 2010. D’autres solutions n’entraient pas en ligne de compte pour lui. Il en a rejeté une énergiquement à la fin de l’été 2016, lorsqu’il a été proposé, lors d’une réunion, de résoudre le problème du manque de prêtres dans la jungle amazonienne en demandant à chaque ordre missionnaire d’envoyer deux prêtres. Hummes a réagi de manière allergique : « Non, non, le pape ne veut pas cela ». De fait, il ne le voulait certainement pas.

Tout avait été préparé par le synode amazonien pour renverser le célibat sacerdotal. Hummes a écrit en janvier 2020 une lettre à tous les évêques du monde, dans laquelle il annonçait l’exhortation post-synodale de François et insistait pour qu’elle soit « acceptée ». On s’attendait en générale à ce que l’exhortation contienne un assouplissement du célibat sacerdotal. Lors d’une réunion secrète en juin 2019, les opérateurs du synode avaient déjà trouvé un nom pour le nouveau ministère ordonné à créer : Il devait s’appeler « presbyter ». Les évêques autrichiens ont déclaré – prématurément – trois mois avant le début du synode qu’ils allaient « appliquer » les décisions prises pour l’Amazonie en Autriche. En Autriche ? Il n’a vraiment pas fallu plus de signaux pour saisir l’agenda profond du Synode sur l’Amazonie.

Le synode des « indigénistes, modernistes, anti-natalistes et écologistes » a eu lieu comme prévu.

Hummes a célébré en marge du synode une réédition du pacte des catacombes de 1965. La veille de l’ouverture du synode sur l’Amazonie, le 4 octobre 2019, a eu lieu ce qui est connu sous le nom de « danse des sorcières au Vatican » en raison de l’introduction scandaleuse de la pachamama.

Mais ensuite, tout a quand même changé.

Benoît XVI a publié début 2020, avec le cardinal Robert Sarah, alors préfet de la Congrégation pour le culte divin, un plaidoyer en faveur du sacerdoce et du célibat sacerdotal. Des explosions de colère retentirent à Santa Marta, mais le surprenant revirement sur la question du célibat fut complet. Le sujet avait été évacué à la dernière minute.

Hummes, François et les socialistes brésiliens

C’est également à Hummes que l’on doit l’engagement remarqué de François en faveur de Lula da Silva. Le pape a soutenu la campagne « Liberté pour Lula » lorsque l’ancien président de la République était en prison, soupçonné de corruption, lui a envoyé des messages de solidarité dans sa cellule de prison et s’est indigné d’un prétendu « coup d’État en gants blancs » lorsque la défaite électorale des socialistes de Lula s’est profilée en 2018.

Après sa défaite inattendue sur la question du célibat, le cardinal Hummes s’était fait plus discret, du moins au niveau international. Au Brésil, il a travaillé jusqu’à la fin sur le projet d’une « Eglise aux racines amazoniennes ». L’exhortation post-synodale Querida Amazonia n’a certes pas apporté l’abolition du célibat qu’il espérait aussi en Occident, mais elle a tout de même apporté un instrument bergoglien qui, dans les « bonnes » conditions et avec la couverture nécessaire, offre une grande marge de manœuvre – aussi à l’avenir. C’est ainsi que Hummes a encore récemment soutenu avec zèle la création de la Conferencia Eclesial de la Amazonia en tant que structure ecclésiastique parallèle. Katholisches.info a écrit le 10 juillet 2020 sur cette « révolution par la petite porte » :

La création d’institutions entièrement nouvelles ouvre la voie à l’élimination des considérations les plus ‘gênantes’ possibles et à la poursuite plus conséquente et directe des objectifs visés. (…) Avec la nouvelle institution, on renoue sans transition avec l’agenda révolutionnaire que certains voyaient, ou en tout cas voulaient voir, déjà mis au placard. La nouvelle institution aurait pour mission de présenter au Vatican « un document important » sur la question de savoir comment ordonner des hommes mariés dans les « régions sans prêtres ».
Depuis, il est clair que les objectifs sont restés inchangés et continuent d’être les suivants : création d’un nouveau rite amazonien, abolition du célibat, admission d’hommes mariés à la prêtrise, admission de femmes au sacrement de l’ordre, en tant que diaconesses – pour l’instant -, et d’autres héritages progressistes.

Et c’erst le cardinal Hummes qui est devenu président de la nouvelle structure parallèle.

Hummes soutenait encore à l’été 2020 l’attaque sans précédent de 152 évêques brésiliens contre le président de la République Jair Bolsonaro. L’ « Église au visage amazonien » est trop importante pour Santa Marta pour qu’une telle attaque frontale contre un gouvernement légitime, démocratiquement élu puisse être menée par une partie de l’épiscopat en solo. Le cardinal Hummes, l’ami personnel de François, s’en portait garant.

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