L’ANNÉE MARIALE par la Mère de Chaugy

Ne pouvant entrer dans l’occupation intérieure de Jésus, Marie, Joseph durant les dix-huit ans de leur vie cachée à Nazareth, donnez aujourd’hui la douce récréation à votre âme de penser à quoi le bon Jésus s’occupait, et à chercher ce que la Sainte Vierge et saint Joseph lui commandaient. Hélas ! c’étaient des choses conformes à son âge et à la condition extérieure de saint Joseph ! Que peut faire le fils d’un charpentier, déjà grand, que d’aider à son père et de faire tout le pénible du métier ? Ah ! divin Jésus ! quand vous tiriez la scie avec saint Joseph, que votre bras tout-puissant soulageait bien les bras affaiblis de ce cher père ! Que de pensées sur votre future Croix ne faisait point votre sainte Mère, quand elle vous voyait si souvent manier ce bois ? Ô Jésus, Marie, Joseph ! qu’y aura-t-il désormais de trop petit, de trop bas pour moi, voyant ce qui se passe entre vos divines personnes dans cette boutique de charpentier ?

Consacrez votre attention intérieure aujourd’hui à honorer le travail manuel de la Sainte Vierge : elle était la lingère et la robière de Jésus et de Joseph ; et ceux qui ont peint Jésus, déjà grandelet, qui tient sur ses bras un écheveau de laine ou de fil que la Sainte Vierge dévide, ont une douce pensée ; car cette Femme forte travaillait de ses mains au lin et à la laine, sans que ce travail manuel interrompît quelquefois sa divine contemplation.

Ah ! Sainte Vierge, si le cher Jésus vous aida à dévider la laine dont vous lui fîtes sa robe sans couture, vous en cacha-t-il le mystère, et ne disposa-t-il point votre Cœur maternel à le voir dépouillé de ce précieux vêtement qui devait être joué et tiré au sort sur le Calvaire, le jour de sa mort douloureuse ? Ah ! que je veux aujourd’hui apprendre à aimer les petits offices en la maison de Dieu !

Hier, vous honorâtes la Sainte Vierge dans le travail, honorez-la aujourd’hui dans le repos ; et, pour cette application, vous n’aurez besoin que de la douce pensée de notre Père saint François de Sales. « Oui, Théotime, dit-il, la Sainte Vierge Marie, Mère de Dieu, dormait, et, quand elle mettait son corps angélique sur son lit de repos : Sus, disait-elle, reposez-vous, tabernacle de l’Alliance, arche de la Sainteté, trône de la Divinité ; allégez-vous un peu de votre lassitude et réparez vos forces par cette douce tranquillité. Ne voyez-vous pas, Théotime, que ce sommeil est un sommeil d’amour ; de sorte que son Époux même dit : Gardez-vous bien d’éveiller ma Bien-Aimée, jusqu’à ce qu’elle le veuille. » (Traité de l’Amour de Dieu, L. III, ch. VIII) Oui, Reine céleste, vous ne donnâtes jamais de repos à votre corps précieux que pour le ravigoter, afin qu’il servît mieux la souveraine Majesté. Faites-moi la grâce que mon repos et mon mouvement soient unis au vôtre pour le service et la gloire de Notre-Seigneur Jésus-Christ.

Honorez aujourd’hui en la Sainte Vierge cette parole de l’Épouse : Je dors, mais mon Cœur veille. Notre Père saint François de Sales dit que la Sainte Vierge ne dormait que d’amour et par cette douce nécessité que Dieu imposa dans le Paradis terrestre à l’innocent Adam. Ce dévot Père veut que les songes de cette Vierge Sainte n’aient été que de son cher Jésus, parce qu’elle n’avait que Jésus au Cœur, dans l’imagination et dans la pensée.

Cette Sainte Vierge est souvent nommée l’Aurore dans la sainte Écriture, pour nous apprendre qu’elle était matinière ; que, si elle ne passait pas toutes les nuits en contemplation, au moins elle retournait dès le grand matin à l’actuelle méditation des merveilles de son Jésus ! Ah ! Vierge Sainte, veillante et vigilante, chassez de moi la paresse ; unissez l’emploi de mes matinées aux vôtres !

La Sainte Vierge n’a été sujette ni au péché, ni aux maladies corporelles qui en sont l’apanage, mais elle l’a été aux innocentes nécessités de la vie humaine, comme de se chauffer, de se reposer, de se vêtir, de boire et de manger. Nous avons vu cette Sainte Vierge travaillant, se reposant et priant ; voyons-la aujourd’hui prenant ses repas. Ah ! que la petite table de Jésus, Marie et Joseph était modeste ! Que les mets apprêtés par Marie et bénis par Jésus étaient délicieux ! Je mettrai souvent ce divin exemple devant mes yeux en prenant les nécessités du boire et du manger ; je remercierai Jésus, Marie et Joseph, et tâcherai que l’image de leur sainte Famille me soit présente dans toutes les actions domestiques et dans celles de la nécessité humaine du boire et du manger, ne les prenant que devant elle et avec sa bénédiction.

Quoique la Sainte Vierge ait été le modèle accompli de la retraite, du silence, de la vie particulière, des saintes veilles, de la prière sans interruption, du travail manuel et de l’abstinence même, si faut-il avouer aussi qu’elle a été le parfait modèle de la sainte conversation, non-seulement chez sa cousine sainte Élisabeth (comme nous avons vu en détail au mois de juillet), mais en toutes les rencontres où elle a été obligée de paraître, ou par nécessité ou par civilité. Voyez aujourd’hui comme d’honnêtes gens de Galilée l’invitant aux noces, cette Vierge toute pure ne refuse point cette innocente condescendance à son prochain ; elle ne fait point la renchérie ; elle y va tout simplement ; elle y paraît, comme partout, très-saintement ; elle y est avec Jésus et ses disciples, dit l’Évangéliste, ce qui fait voir que Jésus ne se sépara point totalement de sa sainte Mère dans les commencements de sa vie publique, puisqu’il se trouva aux noces avec elle et ses disciples ! Ah ! saint François de Sales, que vous avez heureusement compris l’esprit de Jésus et de Marie dans la très-parfaite condescendance de se rendre tout à tous, pourvu qu’en tout Jésus nous soit présent !

Trouvez-vous aujourd’hui aux noces de Cana en Galilée, et considérez qu’encore que Jésus, Marie et les disciples soient présents, l’humiliation et la peine ne laissent pas de se trouver au milieu de la joie et de la gloire de ce monde. Mais voyez comment ces bonnes gens s’adressent à Marie pour lui représenter leurs nécessités et le manque de vin ; regardez aussi comment cette Vierge dit doucement, respectueusement, et sans doute bassement, à son cher Jésus, qui était à table proche d’elle : Ils n’ont point de vin.

Ô Vierge Sainte ! faites la même représentation pour moi ; dites à Jésus ce qui me manque. Hélas ! que mes besoins sont en grand nombre ! Je n’ai ni le vin de charité, ni l’eau de la pénitence, ni le lait de la consolation ; mais je suis assez pourvue, ô Sainte Vierge ! si je vous ai pour Mère, pour Protectrice et pour Avocate.

Vous visitiez hier la Sainte Vierge pitoyable et suppliante aux noces de Cana en Galilée ; voyez-la aujourd’hui dans une intelligence d’amour avec son Fils, et dans une action de souveraine autorité et confiance. Le cher Jésus, qui dans ce festin ne paraissait qu’un homme modeste et vertueux, fit à sa Mère une réponse en apparence assez sévère, dit saint François de Sales ; mais cette sainte Mère entendit bien ce langage de l’amour, et ne laissa pas de faire ce grand et doux commandement : « Faites ce que mon Fils vous dira. »

Ô Vierge Sainte ! la grande parole ! Le Père éternel dit de Jésus : Voilà mon Fils bien-aimé, écoutez-le ; et la Mère de ce doux Jésus ajoute : Faites ce qu’il vous dira, sachant bien que l’écouter sans lui obéir, ce n’est rien faire pour notre salut. Ô mon âme ! mettons-nous aujourd’hui aux écoutes pour ouïr le Verbe, et prenons une invariable résolution de faire ce qu’il nous ordonnera ; quoique son précepte choque la raison humaine, la puissance divine agira.

Voyez aujourd’hui avec joie la complaisance qu’eut la Sainte Vierge en Cana, lorsqu’elle vit que son adorable Fils commandait qu’on remplit d’eau les cruches vides, qu’elle s’aperçut que cette eau était convertie en vin très-excellent et qu’elle avait tiré de confusion ceux qui les avaient invités aux noces, et qu’elle entendit chacun s’étonner et louer Dieu de ce miracle. Elle ne doutait pas de la puissance de son Jésus ; mais elle avait une sainte complaisance de voir la Divinité glorifiée, ce qui lui donnait sujet de recommencer son Cantique : Mon âme magnifie le Seigneur ! Hé ! très-sainte Mère de Dieu, que vous auriez de joie en moi, si je n’étais point résistante à la grâce, et que, par la simplicité de mon obéissance, l’eau de ma tiédeur fût convertie en vin d’une sainte ferveur !

Honorez aujourd’hui la Sainte Vierge dans le temps de la vie publique de Jésus-Christ. Elle le suit, soit pour le servir avec les autres femmes dévotes, soit pour lui parler en faveur de quelques nécessiteux et affligés ; mais, surtout, regardez-la bien en cette remarque du saint Évangile, attendant humblement à la porte du lieu où Jésus prêchait et ne pouvant entrer que lorsqu’on alla dire à ce divin Prédicateur : Votre Mère et vos frères vous attendent, lui donnant ainsi l’occasion de répondre cette admirable parole : « Ceux qui font la Volonté de mon Père céleste sont ma mère, mon frère et ma sœur. » Ô mon âme ! que d’instructions dans cette circonstance de l’Évangile ! mais quelle admirable humilité dans cette Vierge et Reine-Mère d’attendre humblement à la porte la fin du sermon sans vouloir interrompre la sainte parole ! La vie de la Sainte Vierge a été tellement unie et cachée en Jésus-Christ, qu’elle a souffert avec lui la pauvreté de sa naissance, l’état persécuté et fugitif de son enfance, la vie reculée, solitaire et inconnue de son adolescence, et enfin tous les travaux, abjections et douleurs de sa vie publique et laborieuse de Rédempteur.