Symphytum
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L'histoire ecclésiastique connaît-elle des cas où un Pontife a soutenu une hérésie ? Des fables calomnieuses, cent fois réfutées ! La thèse de l'infaillibilité permanente du pape est solidement …Plus
L'histoire ecclésiastique connaît-elle des cas où un Pontife a soutenu une hérésie ?

Des fables calomnieuses, cent fois réfutées !

La thèse de l'infaillibilité permanente du pape est solidement établie par des arguments de raison et d'autorité. De plus, cette thèse est confirmée par les faits: jamais aucun pape n'a dévié de la foi.
Que des papes aient erré dans la foi est une fable calomnieuse, inventée au XVIe siècle par un groupe d'historiens protestants appelés "centuriateurs de Magdebourg". Leurs mensonges furent repris par les gallicans, puis par les anti-infaillibilistes du XIXe siècle. "C'est le genre d'attaque adopté, il y a trois siècles, par les centuriateurs de Magdebourg. Comme, en effet, les auteurs et fauteurs des opinions nouvelles n'avaient pu abattre les remparts de la doctrine catholique, par une nouvelle stratégie, ils poussèrent l'Église dans les discussions historiques. L'exemple des centuriateurs fut renouvelé par la plupart des écoles en révolte contre l'ancienne doctrine, et suivi, ce qui est d'autant plus malheureux, par plusieurs catholiques [...]. On se mit à scruter les moindres vestiges d'antiquités; à fouiller partout les recoins des archives; à remettre en lumière des fables futiles, à répéter cent fois des impostures cent fois réfutées. [...] Parmi les plus grands pontifes, même ceux d'une vertu éminente ont été accusés et flétris [...]. Les mêmes trames ont cours aujourd'hui; et certes, plus que jamais, on peut dire en ce temps-ci que l'art de l'historien paraît être une conspiration contre la vérité" (Léon XIII: bref Saepenumero considerantes, 18 août 1883).
De 1868 à 1870 eut lieu une véritable bataille journalistique autour des "cas historiques" de papes qui auraient failli dans la foi. Les anti-infaillibilistes anglais, français et allemands s'attaquèrent en première ligne au pape Honorius 1er. Nous assistons "aujourd'hui à ces malheureux débats qui tendent à accuser sa mémoire et à flétrir indirectement le Siège de Pierre", se lamentait le Père Chéry, directeur de la Revue œcuménique du Vatican (in: Guérin: Concile œcuménique du Vatican. Son histoire, ses décisions en latin et enfrançais, Bar-le-duc et Paris 1877, p. 116).
Le Père Gratry, estimant qu'Honorius avait été hérétique, voulut empêcher la prononciation du dogme de l'infaillibilité pontificale. Il vouait à la géhenne ceux qui feraient fi de son interdiction: "Tous ceux qui, malgré ces raisons et ces faits, oseraient passer outre et prononcer dans les ténèbres, ceux-là rendront compte au tribunal de Dieu" (L'Univers, 19 janvier 1870).
Le bénédictin Dom Prosper Guéranger (érudit célèbre pour ses travaux sur la liturgie: Institutions liturgiques + L'année liturgique) réduisit à néant les accusations de Gratry (Défense de l'Église romaine contre les accusations du R.P. Gratry, Paris 1870). Une année auparavant, Dom Guéranger avait publié une étude solide sur les "cas historiques" des papes calomniés (La monarchie pontificale, Paris et Le Mans 1869). Le pape Pie IX l'en avait félicité chaleureusement, tout en déplorant la campagne de presse déclenchée par les anti-infaillibilistes: "Cette folie monte à cet excès qu'ils entreprennent de refaire jusqu'à la divine constitution de l'Église et de l'adapter aux formes modernes des gouvernements civils, afin d'abaisser plus aisément l'autorité du chef suprême que le Christ lui a préposé et dont ils redoutent les prérogatives [= l'infaillibilité et l'autorité]. On les voit donc mettre en avant avec audace, comme indubitables ou du moins complètement libres, certaines doctrines maintes fois réprouvées, ressasser d'après les anciens défenseurs de ces mêmes doctrines des CHICANES HISTORIQUES, DES PASSAGES MUTILÉS, DES CALOMNIES lancées contre les pontifes romains, des sophismes de tout genre. Ils remettent avec impudence toutes ces choses sur le tapis, sans tenir aucun compte des arguments par lesquels ON LES A CENT FOIS RÉFUTÉES.
Leur but est d'agiter les esprits, et d'exciter les gens de leur faction et le vulgaire ignorant contre le sentiment communément professé. Outre le mal qu'ils font en jetant ainsi le trouble parmi les fidèles et en livrant aux discussions de la rue les plus graves questions, ils nous réduisent à déplorer dans leur conduite une déraison égale à leur audace" (Pie IX: bref Dolendum profecto, 12 mars 1870, adressé à Dom Guéranger pour le féliciter pour son livre La monarchie pontificale, livre dans lequel le célèbre bénédictin prône l'infaillibilité permanente du pape, citation de ce bref: "S'ils croyaient fermement avec les autres catholiques que le Concile œcuménique est gouverné par le Saint-Esprit, que c'est uniquement par le souffle de cet Esprit divin qu'il définit et propose ce qui doit être cru, il ne leur serait jamais venu en pensée que des choses, ou non révélées ou nuisibles à l'Eglise, pourraient y être définies et imposées à la foi, et ils ne s'imagineraient pas que des manœuvres humaines pourront arrêter la puissance de du Saint-Esprit et empêcher la définition de choses révélées et utiles à l'Eglise.").
Le pape déplora cette campagne de presse mensongère dans un autre bref encore: "Il est souverainement à propos qu'on ait dans son ensemble et bien coordonné ce que la raison théologique nous démontre, ce que les Saintes Lettres nous enseignent, ce qu'ont toujours tenu et nous ont transmis de la manière la plus constante ce Siège apostolique, les conciles, les docteurs et les Pères, par rapport à la primauté, au pouvoir, aux prérogatives du pontife romain, et en même temps les très graves raisons par lesquelles ont été RÉFUTÉS DEPUIS LONGTEMPS LES SOPHISMES qui, se couvrant des dehors trompeurs de la nouveauté, sont jetés dans le public à l'aide de brochures et de journaux, et cela avec une telle assurance, que l'on dirait que ce sont des découvertes faites par la sagesse moderne et inconnues jusqu'ici" (Pie IX: bref Cum ad sacrae, 5 janvier 1870, adressé au Père Jules Jacques, qui avait publié une traduction des écrits de St. Alphonse de Liguori sous le titre Du pape et du concile).
Les Pères du premier concile du Vatican, connaissant mieux l'histoire ecclésiastique que les pseudo-historiens anti-infaillibilistes, ne se laissèrent nullement impressionner par le battage médiatique. Le concile, faisant fi de ces calomnies, définit l'infaillibilité et affirma clairement que la théorie de l'infaillibilité était confirmée par les faits: "Ce qui a été dit est prouvé par les FAITS; car la religion catholique a toujours été gardée sans tache auprès du Siège apostolique [...]. Nos prédécesseurs ont travaillé infatigablement à la propagation de la doctrine salutaire du Christ parmi tous les peuples de la terre et ils ont veillé avec un soin égal à sa conservation authentique et pure, là où elle avait été reçue" (constitution dogmatique Pastor aeternus, 18 juillet 1870, ch. 4).
De surcroît, lors des travaux préparatoires de Pastor aeternus, les Pères firent même une déclaration spéciale sur le schéma préparatoire de Pastor aeternus, déclaration accompagnée d'une bibliographie scientifique destinée à couper court à l'objection des "cas historiques" de papes qui auraient failli!!! Voici des extraits de leur déclaration capitale, malheureusement totalement inconnue de nos jours:
Les Pères constatèrent que certains étaient opposés à la proclamation du dogme de l'infaillibilité, en raison de prétendues "exceptions tirées de l'histoire ecclésiastique". Or, d'après les Pères, "l'infaillibilité du pontife romain est une vérité divinement révélée; donc il ne sera jamais possible que l'on puisse arriver à démontrer, par des faits tirés de l'histoire, que ceci soit faux; bien au contraire, si on opposait à cette vérité lesdits faits historiques, ces faits doivent être tenus pour faux, vu qu'ils sont en opposition avec une vérité absolument certaine". Les Pères citèrent alors un passage du chapitre 4 de la constitution conciliaire Dei Filius, (citation: "Or, on doit croire d'une foi divine et catholique tout ce qui est contenu dans les saintes Écritures et dans la tradition, et tout ce qui est proposé par l'Église comme vérité divinement révélée, soit par un jugement solennel, soit par son magistère ordinaire et universel.") qui venait d'être votée (ce passage de Dei Filius était d'ailleurs une reprise d'une définition faite par le Ve concile du Latran): "Nous définissons donc comme étant complètement fausse toute assertion contraire à la vérité de la foi éclairée". Les Pères du Vatican en tirèrent la conséquence suivante (dans leur déclaration sur le schéma préparatoire de Pastor aeternus): "Par conséquent, il s'ensuit que toutes les conclusions de la science, ou encore de l'histoire ecclésiastique, opposées à l'infaillibilité du pontife romain (qui manifestement découle des sources de la Révélation) doivent être tenues comme étant certainement autant d'erreurs",
Un peu plus loin, les Pères écrivirent: "La réfutation de ces difficultés [historiques], soulevées pour s'opposer à cette vérité, est l'affaire non pas tant des Pères du concile, mais plutôt celle de l'école des théologiens, qui, en ce qui concerne cette cause, ont fait leur travail déjà depuis longtemps. En effet, ces exceptions historiques - question agitée à l'heure présente - ne sont pas nouvelles, mais sont depuis longtemps très répandues et communes. Lesdites difficultés historiques ont été fréquemment et entièrement et même élégamment résolues par ceux qui traitaient des choses de la théologie (dans leurs dissertations sur la primauté du Saint-Siège, l'infaillibilité de l'Église catholique et d'autres vérités catholiques), lors de leurs controverses variées contre les protestants, jansénistes, fébroniens et autres [hérétiques].
Il paraît moins beau et moins convenable aux Pères de revenir sur la question en réexaminant une nouvelle fois une par une chacune de ces difficultés, comme si des objections faites contre les vérités catholiques avaient un fond de réalité et comme si elles avaient conservé jusqu'à ce jour une vraie valeur et force; ou bien ce qui reviendrait au même - comme si cette vérité révélée et la doctrine de l'Église catholique n'étaient pas assez protégées et défendues" (Relatio de observationibus Reverendissimorum concilii Patrum in schema de romani pontificis primatu, in: Schneemann (ed.): Acta..., col. 287 - 288).
C'est pourquoi les Pères refusèrent d'examiner l'histoire ecclésiastique et se contentèrent simplement de renvoyer à une bibliographie scientifique, où les prétendues chutes des papes étaient réfutées: "Que l'on consulte donc des auteurs sérieux et éprouvés, qui ont écrit sur les principales exceptions que l'on oppose [au dogme]".
A priori, si le magistère dit qu'un pape ne peut jamais défaillir dans la foi, le croyant jugera inutile d'aller vérifier cette assertion en épluchant l'histoire de tous les pontificats depuis saint Pierre. Toutefois, étant donné que les ariens, gallicans, protestants et jansénistes se sont efforcés de prouver que tel ou tel pape serait tombé dans l 'hérésie, et que leurs arguments sont constamment repris et ressassés par les milieux catholiques à l'heure actuelle, il semble quand même incontournable d'étudier ces cas controversés.

Saint Pierre

Commençons donc par une accusation visant le premier pape, saint Pierre lui-même. Saint Pierre ne fut-il pas tancé par saint. Paul pour avoir mis en péril la saine doctrine (Galates II, 11)?
Dès le début du christianisme, certains faux frères tentèrent de judaïser l'Église. "Des faux frères s'étaient introduits par surprise [dans l'Église], et s'étaient furtivement glissés parmi nous, pour observer la liberté que nous avons en Jésus-Christ, et pour nous réduire en servitude", en nous assujettissant de nouveau au joug des prescriptions légales judaïques (Galates II, 4). Ces faux frères exigèrent des païens convertis au christianisme d'observer aussi les prescriptions de la loi de l'Ancien Testament. Au concile de Jérusalem, saint Pierre dit qu'il ne fallait pas obliger les païens à cette observance. Les participants du concile se rangèrent de l'avis du premier pape (Actes des apôtres XV, 1 - 29; Galates II, 1 - 6).
Saint Pierre quitta Jérusalem pour aller à Antioche. Il n'observait plus les prescriptions légales du judaïsme. Mais, quelque temps après, arrivèrent à Antioche des chrétiens d'origine juive venant de Jérusalem, qui pratiquaient encore l'ancienne loi. Du coup, Saint Pierre mangea avec eux à la manière juive, pour ne pas les blesser. Cela lui valut un blâme de la part de St. Paul.
Saint Paul lui-même raconte, dans son épître aux Galates, comment se déroula l'incident d'Antioche. Nous citons cette épître, en y ajoutant [entre parenthèses rectangulaires] quelques explications.
"Quand Képhas [Saint Pierre] vint à Antioche", raconte saint Paul, "je lui résistai en face, parce qu'il était répréhensible. Car, avant que quelques gens [= des chrétiens d'origine juive qui pratiquaient encore les prescriptions judaïques] de l'entourage de Jacques [évêque de Jérusalem] fussent arrivés, il mangeait [indifféremment toutes sortes de viandes] avec les gentils [convertis]; mais, après leur arrivée, il se retira et se sépara [d'avec ces gentils]; craignant [de scandaliser] les circoncis, [auxquels cet usage des viandes défendues par la loi paraissait un grand crime]. Et les autres juifs l'imitèrent dans sa dissimulation, au point d'entraîner Barnabé lui-même à dissimuler avec eux.
Mais quand je vis qu'ils ne marchaient pas droit selon la vérité de l'Évangile, [qui était offensée par cette feinte observation des cérémonies de la loi], je dis à Képhas devant tout le monde: «Si toi, alors que tu es juif, tu vis comme les gentils, et non selon la loi juive, comment peux-tu [par ton exemple] pousser les gentils à judaïser? [..,] L'homme n'est pas justifié par les œuvres de la loi [ancienne], mais seulement par la foi en Jésus-Christ»" (Galates II, II - 16).
Faisons remarquer d'abord que saint Pierre n'enseigna pas qu'il fallait judaïser, mais qu'il eut simplement un comportement allant en ce sens ("ne marchait pas" selon l'Évangile, mais non: "n'enseignait pas" selon l'Évangile). C'est ce que soulignait déjà au IIIe siècle l'écrivain ecclésiastique Tertullien (De la prescription contre les hérétiques, ch. 23): Saint. Pierre commit là "une erreur de procédé, et non de doctrine".
En outre, ce fut par peur de scandaliser les chrétiens d'origine juive qu'il agit ainsi, comme le prouve l'expression "par peur". Le mot "dissimulation" indique lui aussi qu'il n'affichait pas sa véritable conviction, qui était orthodoxe. Enfin, en écoutant sans mot dire les durs reproches de saint Paul et en modifiant ensuite son attitude, il donna à tous une grande leçon d'humilité.
* * *
Afin de bien comprendre l'incident d'Antioche, il faut connaître le contexte historique et géographique de l'époque. Il y avait, en effet, une différence de taille entre la communauté chrétienne à Jérusalem et celle d'Antioche.
Les prescriptions de la loi judaïque sur les aliments, la circoncision, les rites de purification etc. n'étaient pas obligatoires pour les gentils (décision de saint Pierre lors du concile de Jérusalem), et elles ne l'étaient pas non plus pour les juifs convertis au christianisme.
À Jérusalem, les chrétiens d'origine juive observaient encore les prescriptions légales, tandis qu'à Antioche, les chrétiens d'origine juive les avaient déjà abandonnées. Pourquoi? Parce qu'à Jérusalem, les habitants étaient tous juifs, tandis qu'à Antioche, la population était mixte: voyant que les chrétiens gentils d'Antioche ne pratiquaient point la loi judaïque, les chrétiens juifs d'Antioche s'étaient laissés entraîner eux-mêmes à abandonner leurs anciennes habitudes judaïques.
Afin de ménager la sensibilité de la communauté chrétienne de Jérusalem, fait remarquer Saint Jean Chrysostome, "Pierre n'osait pas dire clairement et ouvertement à ses disciples qu'il fallait les abolir entièrement. Il craignait, en effet, que s'il cherchait prématurément à supprimer ces habitudes, il ne détruisît en même temps chez eux la foi du Christ, car l'esprit des juifs, depuis longtemps imbu des préjugés de leur loi, n'était point préparé à entendre de tels conseils. Aussi saint. Pierre les laissait suivre les traditions judaïques" (Saint. Jean Chrysostome: Commentaire sur l'épître aux Galates).
C'est pourquoi Saint Pierre, par condescendance pour les chrétiens juifs de Palestine, observait les prescriptions judaïques pendant qu'il séjournait à Jérusalem. Par contre, arrivé à Antioche, il pouvait se permettre de vivre à la manière des gentils sans craindre de choquer les chrétiens juifs d'Antioche. Les fidèles d'Antioche avaient, en effet, renoncé depuis longtemps à l'observation des prescriptions légales du judaïsme.
Mais lorsque quelques chrétiens judaïsants de Jérusalem arrivèrent à Antioche, Saint Pierre changea à nouveau de conduite, et se mit observer la loi judaïque, afin de ne pas scandaliser les nouveaux arrivants, comme l'explique Saint Jean Chrysostome:
"Pendant que Pierre vivait ainsi [à Antioche], arrivèrent quelques juifs envoyés par Jacques, c'est-à-dire venant de Jérusalem, lesquels étant toujours restés dans cette ville, et n'ayant jamais connu d'autres mœurs, conservaient les préjugés judaïques et gardaient beaucoup de ces pratiques. Pierre voyant donc ces disciples qui venaient de quitter Jacques et Jérusalem, et qui n'étaient pas encore affermis [dans la foi], craignit que s'ils éprouvaient un scandale ils ne rejetassent la foi. Il changea donc encore de conduite, et cessant de vivre à la manière des gentils, il revint à sa première condescendance et observa les prescriptions relatives à la nourriture" (81. Jean Chrysostome: Homélie sur ce texte: "Je lui ai résisté en face ").
Toutefois, quand il se rendit compte (grâce à la réprimande de Saint Paul) que son attitude condescendante à l'égard des judaïsants arrivés de Jérusalem risquait de tourner au détriment de la foi, Saint Pierre changea immédiatement et définitivement d'attitude.
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En résumé, le reproche de Saint Paul était justifié, parce que l'attitude trop condescendante de Saint Pierre à l'égard des judaïsants arrivés de Jérusalem tournait au détriment des fidèles d'Antioche.
Toutefois, il faut dire à la décharge de Saint Pierre que sa conduite était inspirée par un motif noble, car il s'était mis à judaïser uniquement pour éviter de scandaliser les chrétiens arrivés de Jérusalem: "Il craignit que s'ils éprouvaient un scandale ils ne rejetassent la foi" dit Saint Chrysostome. Saint Pierre agit ainsi par charité, et non pas parce qu'il aurait dévié lui-même de la foi!
Le prince des théologiens, Saint Thomas d'Aquin, ne dit pas autre chose dans son commentaire sur l'attitude de Saint Pierre à Antioche. "Il agissait ainsi, «parce qu'il craignait ceux qui venaient d'entre les circoncis" (Galates II, 12), c'est-à-dire, des juifs, non si l'on veut d'une crainte humaine ou mondaine, mais d'UNE CRAINTE INSPIRÉE PAR LA CHARITÉ, c'est-à-dire pour qu'ils ne fussent point scandalisés, dit la Glose. Pierre est donc devenu par cette conduite comme juif avec les juifs, feignant avec ceux qui étaient faibles de penser comme eux. Toutefois, cette crainte de sa part était opposée à l'ordre, parce que l'on ne doit jamais abandonner la vérité par crainte du scandale" (Saint Thomas: Commentaire sur toutes les épîtres de saint Paul; leçon 3 sur le chapitre II de l'épître aux Galates).
En guise de conclusion, nous citerons encore saint Jérôme: "Il s'en retirait et s'en séparait, craignant les reproches des circoncis. Il appréhendait que les juifs, dont il était l'apôtre, ne s'éloignassent de la foi du Christ à l'occasion des gentils; IMITATEUR DU BON PASTEUR, il tremblait de perdre le troupeau confié à ses soins" (St. Jérôme: Lettre adressée à saint Augustin en 404).

Saint Libère

Ouvrages sur Saint Libère:

Abbé J-E. Darras: La prétendue chute du Pape Libère

Abbé Louis Nazaire Béguin:
La primauté et l'infaillibilité des SOUVERAINS PONTIFES [L'arianisme et le pape Libère pp 147-185]

Le Pape Saint Libère

Certains écrivains prétendent que le pape saint Libère (352 - 366) aurait pris le parti des hérétiques ariens et excommunié l'évêque catholique Saint Athanase.
Cette accusation est totalement injuste, car Saint Libère se distingua au contraire par sa lutte contre l'arianisme, ce qui lui valut même d'être exilé de Rome par l'empereur arien. Loin d'excommunier Athanase, il le défendit au contraire contre ses adversaires!
L'attaque contre saint Libère tient si peu la route qu'un anti-infaillibiliste de premier rang tel que Mgr Bossuet ne put s'en servir. "En 1684, Bossuet fut prié par Louis XIV de composer la Défense de la déclaration de l'Église de France [défense de l'hérésie gallicane]. Il entreprit aussitôt cet ouvrage, qui devait lui coûter tant de travaux et lui donner si peu de satisfaction. À la recherche de tout ce qui pouvait infirmer l'infaillibilité des papes, il rencontra vite la chute de Libère. Quel fut le résultat du long examen qu'il fit de ce fait? Son secrétaire, l'abbé Ledieu, nous l'apprend: après avoir fait et refait vingt fois le chapitre sur Libère, il finit par le retrancher tout à fait, comme ne prouvant pas ce qu'il voulait (abbé Benjamin Marcellin Constant: L'histoire de l'infaillibilité des papes ou recherches critiques et historiques sur les actes et les décisions pontificales que divers écrivains ont cru contraires à la foi, deuxième édition, Lyon et Paris 1869, t. J, p. 357, s'appuyant sur Histoire de Bossuet, Pièces justificatives, V, 1, t. II).
"Libère monta sur le trône pontifical le 22 mai 352. Quelques mois après arrivaient à Rome deux députations: l'une, envoyée par les évêques d'Orient, venait remettre au pape un réquisitoire contre l'évêque d'Alexandrie [...]; l'autre venait faire, au nom de tous les évêques d'Égypte, l'apologie complète du même personnage. Que fait Libère? Il convoque un concile à Rome, fait lire les lettres des évêques d'Orient et celles des évêques d'Égypte, écoute les dires des deux parties, et, suffisamment édifié sur la cause, il clôt les débats et déclare l'accusation portée contre Athanase dénuée de tout fondement.
Dans le concile tenu à Arles en 353, le légat Vincent de Capoue croit que le bien de l'Église exige qu'on fasse à la paix générale le sacrifice d'un homme. La foi de Nicée est respectée, mais Athanase est condamné. Libère, à cette nouvelle est pénétré de douleur; il appelle son légat un prévaricateur, il jure de mourir plutôt que d'abandonner l'innocent. [...]
Un an après, [l'empereur arien] Constance reproche de nouveau à Libère son attachement pour l'évêque d'Alexandrie [... mais le pape tient bon].
En 355, l'officier Eusèbe d'abord, l'empereur lui-même ensuite, pressent Libère de condamner celui qu'ils regardent comme leur ennemi personnel. «Comment, je vous prie», répond Libère, «en user ainsi envers Athanase? Comment pouvons-nous condamner celui que deux conciles assemblés de toute la terre ont déclaré pur et innocent, celui qu'un concile de Rome a renvoyé en paix? Qui nous persuadera de séparer de nous, en son absence, celui que, en sa présence, nous avons admis à la communion et reçu avec tendresse? [...]». Point de place pour l'excommunication; tout est plein, au contraire, de preuves du plus sincère attachement" (Constant, t. 1, p. 329-331).
L'empereur essaya de faire céder saint Libère par des présents et par la menace, mais en vain. L'empereur ordonna alors de le reléguer à Bérée en Thrace et fit mettre un antipape en place à Rome, nommé "Félix II''.
Suite à une pétition des dames romaines, l'empereur rappela saint Libère. Saint Libère aurait-il fait des concessions doctrinales à l'arianisme, afin de pouvoir revenir de son exil à Rome?
L'antipape "Félix II'', tout en étant attaché à la foi de Nicée, entretenait des relations avec les ariens. Pour cette raison il était détesté par les fidèles à Rome et son église était vide. Quand saint Libère revint, l'accueil fait par le peuple fut triomphal. Si saint Libère avait fait une quelconque concession aux ariens, les paroissiens lui auraient témoigné la même hostilité qu'à "Félix II''.
L'évêque Osius garda la foi jusqu'à l'âge de 90 ans, puis il souscrivit une formule arienne sous la contrainte. Sa chute fit grand bruit. Si saint Libère avait fait une chute pareille, le scandale aurait été encore bien plus grand et sa mémoire aurait été flétrie à jamais. Or bien au contraire, ce pontife jouit d'une renommée exceptionnelle, incompatible avec une prétendue chute. "Faut-il s'étonner que Siricius le regarde comme un de ses plus illustres prédécesseurs; que saint Basile l'appelle «bienheureux, très bienheureux», saint Épiphane «pontife d'heureuse mémoire», Cassiodore «le grand Libère, le très saint évêque qui surpasse tous les autres en mérite et se trouve en tout un des plus célèbres»; Théodoret «l'illustre et victorieux athlète de la vérité»; Sozomène «homme rare sous quelque rapport qu'on le considère»; Lucius Dexter «saint Libère»; saint Ambroise «saint, très saint évêque»?".
"On objectera que saint Athanase parle de la chute de Libère, et dans son Apologie contre les ariens, et dans son Histoire des ariens adressée aux solitaires; mais tout le monde convient que l'Apologie a été écrite au plus tard en 350, c'est-à-dire deux ans avant que Libère fût pape. L'endroit où il y est parlé de sa chute est donc évidemment une addition postérieure, faite par une main étrangère et malhabile; car bien loin de donner de la force à l'Apologie, elle la rend inepte et ridicule. L'Histoire des ariens a été également écrite avant l'époque où l'on suppose la chute de Libère, ou du moins avant l'époque où saint Athanase ait pu l'apprendre, non plus que celle d'Osius; car il y est parlé plusieurs fois de Léonce d'Antioche comme encore vivant. Et nous avons vu qu'on apprit sa mort à Rome, à l'époque où les dames romaines y supplièrent Constance d'accorder le retour du pape, qui certainement alors n'avait pas encore prévariqué. Le passage où il est parlé de sa chute est donc encore une addition faite après coup, et qui ne jure pas moins avec ce qui précède qu'avec ce qui suit. Mais par qui ces interpolations ont-elles pu se faire? Nous avons vu que dès son vivant les ariens supposèrent une lettre de saint Athanase à Constance. Ce qu'ils ont pu pendant sa vie, ils l'ont pu encore plus aisément après sa mort" (abbé René François Rohrbacher: Histoire universelle de l'Église catholique, 1842 - 1849, t. III, p. 167).
On objectera encore que saint Hilaire, en plusieurs endroits de ses écrits, aurait anathématisé saint Libère comme étant hérétique. Mais là encore, il s'agit d'interpolations de copistes ariens. L'historien Ruffin écrivit en effet cinquante ans après la mort de saint Libère: "Les livres si instructifs, composés par saint Hilaire pour contribuer à la conversion des signataires de Rimini [conciliabule arien], ont été dans la suite tellement falsifiés par les hérétiques, qu 'Hilaire lui-même ne les reconnaîtrait pas" (in: Constant, t. 1, p. 328).
Les ariens trafiquèrent des écrits de saint Athanase, de saint Jérôme, de saint. Hilaire et de saint Libère lui-même (analyse détaillée dans Constant, t. 1, p. 294 - 349).
Que saint Libère soit tombé dans l'hérésie arienne et qu'il ait excommunié Athanase est une invention forgée par des faussaires ariens. "L'histoire des ariens présente une collection de faux à tous les degrés: Ils insèrent subrepticement une lettre dans un mot, pour en altérer le sens. […] Ils raturent des signatures [...]. Ils ajoutent secrètement des articles aux décisions prises en public. [...] Ils supposent des lettres: nous venons de voir celles attribuées à Libère. Athanase aussi se vit en butte à ce genre d'épreuve: «Quand j'eus appris que les ariens avançaient que j'avais écrit une lettre au tyran Magnence, et qu'ils disaient même avoir une copie de cette lettre, je fus hors de moi-même; je passai les nuits sans dormir; j'attaquai mes dénonciateurs présents; je jetai d'abord de hauts cris, et je priai Dieu avec des larmes et des sanglots que vous voulussiez écouter favorablement ma justification» (Saint Athanase: Apol. ad Const.). D'autres fois ils forgent des pétitions et simulent des signatures. [...] Enfin ils donnent le nom d'un concile catholique à leurs réunions, et sous cette livrée ils publient leurs propres actes comme s'ils avaient été canoniquement rédigés et approuvés; et cette ruse leur réussit au point que saint Augustin lui-même confond longtemps le concile arien de Philippopolis avec le concile respectable de Sardique. Il nous semble, après cela, qu'on ne trouvera pas surprenant que quelques-uns de leurs écrivains aient accusé Libère d'avoir partagé leurs sentiments, que quelques catholiques aient ajouté foi à des calomnies si adroitement fabriquées et si audacieusement soutenues" (Constant, 1. l, p. 359 - 361).
Saint Libère condamna les conciliabules hérétiques de Tyr, d'Arles, de Milan et de Rimini. Nouvelle preuve de son orthodoxie.
Autre preuve: il ne fut pas invité au conciliabule de Rimini organisé par les ariens. En 359, l'empereur arien Constance convoqua le conciliabule de Rimini, mais se garda bien d'y inviter saint Libère, Athanase et les cinquante évêques exilés d'Égypte!
Saint Jérôme commenta les effets du conciliabule de Rimini par une phrase devenue célèbre: "L'univers gémit et s'étonna d'être arien". Saint Libère SEUL eut le mérite de redresser la situation: il cassa le conciliabule de Rimini et amena les évêques signataires à rejeter l'interprétation hérétique. "Les termes d' «hypostase»et de «consubstantiel» sont comme un fort inexpugnable, qui défiera toujours les efforts des ariens. C'est en vain qu'à Rimini ils ont eu l'adresse de réunir les évêques pour les contraindre par ruses ou par menaces à condamner des mots insérés prudemment dans le symbole, cet artifice n'a servi de rien [...]. Nous recevons à notre communion les évêques trompés à Rimini, pourvu qu'ils renoncent publiquement à leurs erreurs et condamnent Arius" (in: Constant, 1. l, p. 401 - 403).
La situation devint encore plus dramatique l'année suivante. Au conciliabule de Constantinople (359 ou 360), les acaciens et les ariens reprirent la formule de Rimini et l'hérésie du concile arien de Nice en Thrace (359), qui rejetait le mot de "substance" (toujours dans le but de saper la foi définie au concile catholique de Nicée de 325). "Le concile fit signer cette formule à tous les évêques, et l'envoya dans toutes les provinces de l'empire, avec un or dre de l'empereur d'exiler tous ceux qui refuseraient de la signer. Le grand nombre des évêques signa" (Paul Guérin: Les conciles généraux et particuliers, Bar-le-duc 1872, 1. l, p. 141). Parmi les rarissimes défenseurs de la foi qui refusèrent de signer, on compte le pape saint Libère.
Il est attristant de lire, sous certaines plumes, que saint Libère aurait été arien. Il eut l'immense mérite de sauver, à lui seul, l'univers catholique tout entier, qui avait sombré dans l'arianisme, lorsque des centaines d'évêques réunis au conciliabule de Rimini signèrent des textes susceptibles d'une interprétation arienne. Il amena les évêques de Rimini à se rétracter. Lorsque ces évêques se furent rétractés, saint Libère en informa les évêques de la Macédoine. Sa lettre mérite d'être citée, car, en la lisant, on ne voit vraiment pas comment ce pape canonisé pourrait être taxé d'arien! Bien au contraire, il est d'une sainte intransigeance, ce qui est tout à son honneur et à l'honneur de la papauté.
"Nous vous signalons, afin que vous ne l'ignoriez point, que tous les blasphèmes de Rimini ont été anathématisés par ceux qui ont été trompés par la fraude", à savoir les évêques circonvenus par quelques ariens lors de la tenue du conciliabule, mais qui s'étaient ressaisis ensuite grâce au pape. "Mais vous devez indiquer cela à tous, afin que ceux qui, par la force ou la fraude, ont souffert un dommage dans leur foi, puissent maintenant sortir de la ruse hérétique pour accéder à la lumière divine de la liberté catholique. Si quelqu'un refuse [...) de chasser le virus de la doctrine perverse, de rejeter tous les blasphèmes d'Arius et de les condamner par l'anathème: qu'il sache que - tout comme Arius, ses disciples et autres serpents, à savoir les sabelliens, les patropassiens ou n'importe quels autres hérétiques - il est étranger et hors de la communion de l'Église, qui n'admet point les fils adultères" (Saint Libère: lettre Optatissimum nobis, 366).
En guise de conclusion, voici une citation de l'ancien historien Théodoret (Histoire ecclésiastique, livre II, ch. 37): Saint Libère fut vraiment "l'illustre et victorieux athlète de la VÉRITÉ"!

Honorius 1er

Certains écrivains prétendent que le pape Honorius 1er (625 - 638) aurait été anathématisé par le VIe concile œcuménique (680 - 681) pour avoir suivi les hérétiques monothélites.
Que ce pape ait été monothélite est une désinformation forgée de toutes pièces par les monothélites eux-mêmes, dans le dessein de se prévaloir de l'autorité d'un pape pour donner plus de crédit à leur hérésie. Les monothélites furent convaincus de calomnie par saint Maxime le confesseur (contemporain d'Honorius), par l'ancien secrétaire du pape défunt et par le pape Jean IV (deuxième successeur d'Honorius). Quelques décennies après, des Grecs falsifièrent les actes du VIe concile œcuménique, en ajoutant subrepticement Honorius sur la liste des hérétiques monothélites anathématisés. Mais deux siècles plus tard, le VIIIe concile œcuménique, tenu à Constantinople (!) condamna ceux qui "répandaient des bruits injurieux contre le Saint-Siège" et ordonna: "Que personne ne rédige ni ne compose des écrits et des discours contre le très saint pape de l'ancienne Rome, sous prétexte de PRÉTENDUES fautes qu'il aurait commises". De plus, tous les clercs d'Orient et d'Occident signèrent une profession de foi, d'après laquelle jamais aucun pape n'avait cessé de servir la sainte doctrine.
L'affaire d'Honorius semblait classée; or voilà que six siècles plus tard, elle rebondit! Les centuriateurs de Magdebourg (historiens protestants) exhumèrent la vieille fable d'Honorius. Ils furent bientôt secondés par les gallicans, évidemment à l'affût de tout ce qui permettrait de battre en brèche l'infaillibilité de Rome, avec laquelle ils étaient en guerre par servilité à l'égard du roi de France.
Bien entendu, les apologistes catholiques ne restèrent pas sans voix, bien au contraire! Le brillant théologien et historien Pighius défendit les papes contre leurs calomniateurs dans son Hierarchiae ecc/esiasticae assertio (Cologne 1538). Lors d'un colloque entre savants allemands à Ratisbonne en 1541, Pighius fut violemment attaqué par l'un de ses confrères, qui brandit triomphalement le cas d'Honorius et intima à Pighius l'ordre de se rétracter, faute de quoi il ne pourrait pas faire son salut! Pighius ne se laissa pas démonter: il fixa un délai de trois jours. Pendant ce délai, chacun des deux adversaires devait rassembler des documents pour prouver sa thèse. Passé le délai prescrit, Pighius présenta à ses collègues un volumineux dossier bourré de documents innocentant Honorius. L'adversaire de Pighius, par contre, arriva les mains vides!
Puis le savant cardinal Baronius (dont Léon XIII admirait l"'incroyable érudition" dans son bref Saepenumero considerantes), sans oublier le docteur de l'Église saint Robert Bellarmin (dont le traité De romano pontifiee figure dans la bibliographie scientifique des Pères du Vatican susmentionnée) démontrèrent l'imposture des pseudo-scientifiques protestants.
La controverse se transforma en véritable bataille journalistique au moment de la convocation du concile du Vatican, qui devait définir l'infaillibilité. L'Église trancha en faveur de l'innocence, en recommandant la lecture de certains historiens favorables à Honorius, et en mettant à l'Index certains livres écrits par des pseudo-historiens opposés à Honorius.
Affaire classée? Pas du tout, hélas! Des écrivains actuels, désireux de défendre coûte que coûte la légitimité des pontificats de Roncalli, Montini, Luciani et Wojtyla, se servent constamment de la cause d'Honorius pour affirmer qu'un pape peut tomber dans l'hérésie, mais rester pape quand même. Ils véhiculent une calomnie atroce, forgée par les hérétiques anciens, puis relayée par les hérétiques modernes, contre celui que saint Maxime appelait "le divin Honorius"!
Le cas d'Honorius a fait couler plus d'encre que tous les pontificats des autres papes réunis. Aussi lui avons-nous consacré une étude scientifique particulièrement fouillée, basée sur:

1. les sources: textes des conciles, des papes, des contemporains;

2. la littérature scientifique: trois thèses universitaires spécialisées sur Honorius, plus de nombreux ouvrages historiques sur cette cause-là (voir notre condensé en annexe A).
Nota bene: en lisant les documents accumulés en annexe A, le lecteur aura seulement un résumé de la défense. Comme disait déjà Anastase le bibliothécaire: "Si nous voulons accumuler tout ce que nous pouvons recueillir pour la défense d'Honorius, le papier nous manquera plutôt que le discours"! Anastase le bibliothécaire (800 - 879) vécut à Rome, où il travaillait pour les papes. Il était leur archiviste et leur traducteur. Célèbre pour sa connaissance du grec, il traduisit les actes des conciles. Il compara les actes originaux des conciles conservés à Rome avec les copies faites par les Grecs à Constantinople et découvrit que les Grecs étaient des faussaires. Notre conclusion sera celle d'Anastase le bibliothécaire: Honorius a été "accusé calomnieusement" par des faussaires!

Jean XXII

Le pape Jean XXII (1316 - 1334) aurait enseigné une hérésie sur la vision béatifique pendant des années et ne se serait rétracté que sur son lit de mort. On reproche à Jean XXII d'avoir prêché que les âmes des justes, séparées de leur corps, ne verront l'essence et les personnes divines qu'après la résurrection générale; et, qu'en attendant, elles ne jouissent que de la vue de l'humanité sainte du Sauveur.
En vérité, ce pape croyait exactement l'opposé de l'opinion qu'on lui reprochait! Voici sa profession de foi: "Nous déclarons comme suit la pensée qui EST et qui ÉTAIT la nôtre. [...] Nous croyons que les âmes purifiées séparées des corps sont rassemblées au ciel [...] et que, suivant la loi commune, elles voient Dieu et l'essence divine face à face" (Jean XXII: bulle Ne super his du 3 décembre 1334, rédigée peu avant sa mort). L'expression "qui est et qui était" prouve qu'il a cru cela durant toute sa vie.
Ce pape fut un défenseur intrépide de la foi, car il réfuta sans relâche des hérétiques de divers pays, sans crainte de s'en faire les pires ennemis. Parmi eux figurait le monarque bavarois Louis IV, qui avait même mis en place un antipape à Rome. Le monarque fut excommunié par Jean XXII. Les schismatiques de Bavière se vengèrent alors de façon ignoble: ils prêtèrent au pape des propos qu'il n'avait jamais tenus et se répandirent partout qu'il aurait dévié de la foi. Cela amena le roi de France, Philippe VI de Valois, à ordonner une enquête. Les théologiens de la Sorbonne, mandatés par le roi, examinèrent cette affaire avec le plus grand soin. Ils conclurent à l'innocence de Jean XXII.
***
Pour bien comprendre l'origine des calomnies proférées contre Jean XXII, il importe de mieux connaître ses ennemis: les "fraticelles" et leur protecteur, Louis de Bavière.
Les fraticelles étaient des moines franciscains hérétiques et schismatiques. En 1294, les franciscains s'étaient scindés en deux ordres: les "conventuels" admettaient la propriété commune, à savoir des revenus et des biens immobiliers; les "fraticelles" (ou "ermites pauvres" ou "spirituels") la récusaient.
Les fraticelles s'enthousiasmaient pour les rêveries apocalyptiques d'Olieu et de Casale, issues elles-mêmes des hérésies de Joachim de Flore. Selon Joachim de Flore, repris par les fraticelles, l'ère de l'Église était finie. Avec la fin de l'Église commençait (enfin) l'ère du Saint-Esprit. L'Église était la grande prostituée, livrée aux plaisirs de la chair, à l'orgueil, à l'avarice; les fraticelles, eux, représentaient la nouvelle Église, chaste, humble et, surtout, absolument pauvre. Jean XXII les reprit vertement: "La première erreur donc qui sort de leur officine remplie de ténèbres invente deux Églises, l'une charnelle, écrasée par les richesses, débordant de richesses et souillée de méfaits, et sur laquelle règnent, disent-ils, le pontife romain et les autres prélats inférieurs; l'autre spirituelle, pure de par sa frugalité, ornée de vertus, ceinte par la pauvreté, dans laquelle ils se trouvent seuls avec leurs pareils, et à laquelle ils président également eux-mêmes de par le mérite d'une vie spirituelle, si du moins l'on peut faire crédit à leurs mensonges" (constitution Gloriosam Ecclesiam, 23 janvier 1318).
Identifiant leur règle et leur interprétation avec l'Évangile lui-même, les fraticelles refusèrent la réunification de leur ordre avec les conventuels (exigée par Clément V et par Jean XXII). Quand Jean XXII demanda quelques changements à leur règle monastique, ils le déclarèrent ennemi de l'Évangile et privé de toute autorité. Le pape condamna plusieurs propositions absurdes des fraticelles (constitution Gloriosam Ecclesiam, 23 janvier 1318), ce qui lui valut une haine tenace de leur part. Par sa bulle Cum inter nonnul/os du 12 novembre 1323, le pape condamna notamment comme hérétique l'opinion d'après laquelle le Christ et les apôtres n'auraient rien possédé soit en propre, soit en commun. Bon nombre de franciscains se révoltèrent ouvertement. Ils se réfugièrent à la cour de Louis de Bavière, qui était en lutte avec le Saint-Siège. De là, ils inondèrent l'Europe de pamphlets contre celui qu'ils appelaient dédaigneusement "Jean de Cahors", parce qu'ils le considéraient comme déchu du souverain pontificat en raison de sa (soi-disant!) "hérésie".
Le monarque Louis IV de Bavière (I287 - 1347) voulut se mettre au-dessus de la papauté, être en quelque sorte le supérieur du pape. Sa folle prétention correspondait assez bien à une thèse proférée par un philosophe de l'époque, mais taxée d'hérétique par Jean XXII. Le maître parisien Marsile de Padoue fut, en effet, condamné par le pape (constitution Licet iuxta doctrinam, 23 octobre 1327) pour avoir soutenu plusieurs hérésies, dont celle-ci: "Il revient à l'empereur de corriger le pape et de le punir, de l'instituer et de le destituer".
Lors de l'élection de l'empereur du Saint empire romain germanique en 1314, les princes électeurs ne purent se mettre d'accord. Les uns désignèrent l'Autrichien Frédéric le Bel, les autres Louis le Bavarois. Louis gagna la bataille de Mühldorf (28 septembre 1322) et incarcéra Frédéric le Bel. Mais le pape refusa la couronne impériale à Louis le Bavarois, car il voulait garder la neutralité entre les deux rivaux. Le pape se réserva la gérance des territoires italiens de l'Empire, conformément à la décrétale Pastoralis cura de Clément V, qui disait: "Le recours au pouvoir séculier n'étant plus possible, le gouvernement, l'administration et la juridiction suprême de l'Empire reviennent au souverain pontife, à qui Dieu, en la personne de saint Pierre, a remis le droit de commander tout à la fois dans le ciel et sur la terre".
Malgré cela, Louis n'hésita pas à exercer sa (prétendue) souveraineté impériale en Italie et, de surcroît, il accueillit chez lui les fraticelles hérétiques. Il fut excommunié le 23 mars 1324. Il riposta, en faisant rédiger, par les fraticelles, l'appel de Sachsenhausen (22 mai 1324), qui déclarait Jean XXII hérétique et déchu du souverain pontificat. Le pape à son tour décréta, le 11 juillet 1324, que Louis avait perdu tout droit à la couronne.
Louis entreprit alors une expédition militaire en Italie (1327 - 1330). Il trouva des appuis auprès des hérétiques italiens et put prendre Rome. Il se fit couronner dans la ville éternelle le 17 janvier 1328, par quatre Romains (en violation flagrante du droit: seul le pape pouvait couronner un empereur!). Le 18 avril 1328, il déclara la déchéance de Jean XXII et le 12 mai, il imposa l'antipape Pietro Rainallucci, qui prit pour pseudonyme d'artiste le nom de "Nicolas V" (1328 - 1330). L'antipape était originaire de Corvara, village situé dans la région d'Aquila, la patrie du chef des fraticelles Pierre de Morrone.
Le pape légitime, Jean XXII, résidait en Avignon. Le "conclave" des schismatiques eut lieu à Rome. Le candidat désigné par Louis de Bavière était l'un de ses courtisans. "Cet antipape ajoutait l'hérésie à son schisme, en soutenant que Jésus-Christ et ses disciples n'avaient rien possédé en propre, ni en commun, ni en particulier" (Mgr Paul Guérin: Les conciles généraux et particuliers, Bar-le-duc 1872, t. III, p. 5). De même, il avait une conception exagérée de la pauvreté monastique.
Le "conclave" viola toutes les règles les plus élémentaires du droit: "Le peuple de Rome s'assembla devant Saint-Pierre, hommes et femmes, tous ceux qui voulurent. C'était le sacré collège qui entrait en conclave. Le soi-disant empereur Louis parut sur l'échafaud, qui était au haut des degrés de l'église. [...] Il appela un certain moine, et, s'étant levé de son siège, il le fit asseoir sous le dais. C'était un franciscain schismatique, Pierre, natif de Corbière dans l' Abbruze, qui soutenait que les religieux mendiants ne pouvaient pas même avoir la propriété de la soupe qu'ils mangeaient, et que, soutenir le contraire, était une hérésie. Et c'était pour cela que" Louis de Bavière le fit asseoir à ses côtés", pour le créer antipape (abbé René François Rohrbacher: Histoire universelle de l'Église catholique, 1842 - 1849, t. VIII, p. 483). Car Pierre de Corvara et Louis de Bavière avaient tous deux la même conception fausse de la pauvreté évangélique.
On posa au prétendu sacré collège, composé d'hommes, de femmes et d'enfants (!), la question rituelle: "Voulez-vous pour pape frère Pierre de Corvara?". Les pauvres gens eurent si peur de l'empereur et de ses soldats qu'ils acquiescèrent.
Jean XXII renouvela l'excommunication de l'empereur. Ce dernier guettait sa revanche. En attendant, il accueillit à sa cour des philosophes tristement célèbres pour leurs hérésies: Marsile de Padoue, Ockham, Cesena et Bonagratia.
Marsile de Padoue (1290 - 1343(?)) devint recteur de l'université de Paris en 1312. En 1324, il publia son livre Defensor pacis, ce qui lui valut, en 1326, une citation à comparaître devant l'inquisiteur de l'archevêché de Paris. Marsile préféra s'enfuir en Bavière. Plusieurs propositions tirées du Defensor pacis furent qualifiées d'hérétiques par Jean XXII. Marsile avait soutenu que l'empereur était au-dessus du pape; la séparation de l'Église et de l'État était contenue en germe dans son livre. Louis de Bavière le nomma son directeur spirituel ("vicarills in spiritualibus"). On pense que ce fut Marsile qui poussa Louis à se faire couronner à Rome sans le consentement du pape.
Guillaume Ockham (1285 - 1347) est considéré comme l'un des plus importants philosophes (hérétiques!) du Moyen Âge. Ce franciscain anglais ébranla la philosophie médiévale et influença la doctrine de Luther. Son enseignement naturaliste l'amena à mettre en doute la transsubstantiation. Il fut alors convoqué en Avignon, où résidait le pape. De 1324 à 1328, Ockham séjournait dans un couvent avignonnais, pendant que l'Inquisition examinait ses écrits. Il y fit connaissance avec les fraticelles Cesena et Bonagratia, et adopta leurs idées.
Michel de Cesena (mort en 1342) était l'ancien supérieur général des fraticelles. Il avait été convoqué en Avignon en raison de son hérésie.
Bonagratia de Bergame (1265 - 1340) avait été, lui aussi, cité devant le tribunal avignonnais.
Dans la nuit du 26 au 27 mai 1328, les trois compères s'enfuirent et rejoignirent Louis le Bavarois à Pise. Ils l'accompagnèrent ensuite en Bavière et y restèrent jusqu'à leur mort. Tous trois excommuniés, schismatiques et hérétiques, ils menèrent une guerre de plume perfide contre le Saint-Siège, déblatérant contre l'autorité du pape, les richesses de l'Église officielle etc. etc.
* * *
Du temps de Jean XXII, la question de la nature de la "vision béatifique" n'avait pas encore été tranchée par l'Église. Les théologiens étaient donc libres de discuter à ce sujet. Un courant majoritaire soutenait que les âmes des défunts au ciel voyaient l'essence de Dieu, tandis qu'une minorité de théologiens pensait qu'elles verraient l'essence de Dieu seulement après le jugement dernier, et qu'elles devaient se contenter, en attendant, de la vue de la seule humanité de Notre Seigneur.
Dans cette dispute entre théologiens, Jean XXII pensait fort bien que l'opinion majoritaire était juste (comme l'attestent sa bulle citée supra et le témoignage de son successeur Benoît XII cité infra), mais il voulut examiner également les arguments contraires. Il réunit, à cet effet, des témoignages variés des Pères de l'Église et invita les docteurs à discuter le pour et le contre.
Or ses ennemis saisirent l'occasion propice pour déformer ses intentions. "À ce moment-là, [en 1331], par malveillance, les Bavarois qui avaient assurément suivi le schisme [de Louis IV de Bavière] et les pseudo-frères mineurs condamnés pour hérésie [= les fraticelles], dont les meneurs étaient Michel de Cesena, Guillaume d'Ockham et Bonagratia [...], déchirèrent par des calomnies la réputation pontificale, en affirmant que Jean aurait prononcé une définition [ex cathedra] comme quoi les âmes ne voyaient pas l'essence divine avant le jugement dernier. C'est pourquoi, peu de temps après, mus par un zèle pervers, ils commencèrent à formuler des demandes de convocation d'un concile œcuménique contre lui en tant qu'hérétique" (Odoric Raynald: Annales ecc/esiastici ab anno MCXVIII ubi desinit cardinalis Baronius, annoté et édité par Jean Dominique Mansi, Lucae 1750, anno 1331, nO 44).
"Les ennemis calomnièrent le pontife. Un insigne docteur allemand, Ulrich, les réfuta. [...] Il démontra, juste à la fin de son ouvrage (livre IV, dernier ch., manuscrit No 4005 de la Bibliothèque du Vatican, p. 136), à l'encontre des calomniateurs du pontife, que les propos critiqués par les ennemis, le pape les avait tenus en tant que modérateur d'un débat scolastique" (Raynald, anno 1331, n° 44).
Que faut-il entendre par un "débat scolastique"? Il faut le comprendre comme une "disputatio", c'est-à-dire un débat contradictoire où les adversaires font valoir les arguments pour et contre tel ou tel point de la doctrine. Saint Thomas d'Aquin, dans la Summa theologiae, procède de même: il énumère systématiquement toute une ribambelle d'arguments en faveur de la thèse erronée, et ensuite il la réfute par des arguments opposés. Il serait malhonnête de dire que Saint Thomas est hérétique, sous prétexte qu'il cite aussi des arguments faux. Et pourtant, c'est exactement ce que firent les schismatiques bavarois à l'égard du pape: ils l'accusèrent d'hérésie, alors que Jean XXII avait simplement cité, sans aucunement y adhérer, quelques textes des Pères allant à l'encontre de l'opinion prédominante. Le pape dit lui-même avoir évoqué ces paroles patristiques "en citant et en rapportant, mais nullement en déterminant ou en adhérant" (Jean XXII: bulle Ne super his du 3 décembre 1334).
L "'insigne docteur" en théologie Ulrich explique: "Si vraiment on comprend pieusement et sainement le style pontifical, on découvrira, en pesant soigneusement les choses, qu'il ne s'agit pas, à proprement parIer, d'un sermon, ni d'une définition, ni d'une détermination, ni d'une prédication, mais plutôt d'un débat contradictoire (scholastica disputatio) ou d'une confrontation des opinions disputées" (Ulrich, in: Raynald, anno 1333, no 44).
Le pape, poursuit Ulrich, "évite la forme et le mode et la coutume de la prédication d'un sermon; il assume la forme et le mode et la coutume des disputes scolastiques: citations d'autorités, raisonnements, analogies, arguments, gloses, syllogismes et beaucoup d'autres subtilités verbales, montrant par là qu'il parle non pas en tant que prédicateur, mais en tant que disputeur" (ibidem).
L'intervention d'Ulrich calma les esprits pour un temps. Mais la question de la vision béatifique n'était pas encore tranchée.
La controverse reprit de plus belle deux ans plus tard, en 1333. "Désirant ardemment clore ce débat, Jean [XXII] mit devant les yeux des cardinaux ses recueils des oracles de la Sainte Écriture et des sentences des Pères de l'Église, qui pouvaient être invoquées soit par l'un, soit par l'autre parti. Ordre fut donné aux cardinaux, aux supérieurs et aux autres docteurs [...] d'examiner avec soin et empressement la controverse, et d'apporter de tous côtés les paroles prononcées par les saints Pères qu'ils auraient encore repérées. Le pontife réunit ces données en un livre, qu'il transmit à Pierre, archevêque de Rouen [futur Clément VI]. Dans ce livre, rien n'était de lui-même, mais toutes les paroles étaient tirées de la Sainte Écriture et des Pères" (Raynald, anno 1333, No 45).
Les docteurs de Paris étaient partagés entre eux. Une minorité pensait que les âmes des défunts sauvés ne verraient l'essence divine qu'après le jugement dernier. "On répandit la calomnie que le pontife était l'auteur et le porte-enseigne [= chef] de leur opinion. [...] Mais le pontife, afin de contrecarrer cette calomnie, écrivit plusieurs lettres au roi et à la reine de France; il s'y plaignit que cette chose lui eût été attribué par des malveillants, qu'il n'avait jamais statué quoi que ce fût dans cette question, mais qu'il avait collectionné les paroles des Pères seulement pour qu'on se mît à l'étude en vue de chercher la vérité. [...] Il pria le roi de ne point bâillonner l'un ou l'autre parti, afin que de la discussion jaillît la vérité" (Raynald, anno 1333, n° 45).
"Nous n'avons proféré aucune parole de notre propre cru", écrivit Jean XXII au roi, "mais seulement les paroles de la Sainte Écriture et des saints (ceux dont les écrits sont reçus par l'Église). Beaucoup de personnes - des cardinaux aussi bien que d'autres prélats, proches ou loin de nous - ont parlé pour et contre sur cette matière dans leurs discours. Dans les discours, même publics, les prélats et maîtres en théologie disputent sur cette question de plusieurs façons, afin que la vérité puisse être trouvée plus complètement" (Jean XXII: lettre Regalem notitiam, 14 décembre 1333, adressée au roi de France Philippe VI de Valois, in: Raynald, anno 1333, No 46).
Les rumeurs dont fut inondée la France venaient des schismatiques bavarois. En Bavière, les fraticelles aiguisèrent leur plume contre le souverain pontife. Bonagratia publia un commentaire mensonger: en vrai faussaire, il faisait croire que Jean XXII entendait imposer l'opinion minoritaire. Ockham et Nicolas le minorite publièrent des sermons de Jean XXII entièrement fictifs. Michel de Cesena parcourut les royaumes et provinces en vue d'organiser un conciliabule en Allemagne contre "Jean de Cahors", ci-devant pape. Le chef d'orchestre du complot était, bien entendu, le soi-disant empereur Louis IV de Bavière.
Le 28 décembre 1333, Jean XXII réunit un consistoire et en informa la reine de France: "Nous ordonnâmes aux cardinaux, prélats, docteurs en théologie et canonistes présents dans la curie qu'ils fissent une étude avec empressement et nous exposassent leur sentiment; et pour qu'ils pussent le faire plus rapidement, nous avions fait une copie des collections des saints, des autorités et des canons pouvant être invoqués par l'une ou l'autre parti" (Jean XXII: lettre Quid circa, 1334, in: Raynald, an no 1334, No 27). Le pape ordonna la lecture des autorités qu'il avait recueillies. Cette lecture dura cinq jours (admirons l'érudition du pape, soit dit en passant!).
Un an plus tard, dans sa bulle, il déclara qu'il avait toujours cru l'opinion majoritaire et qu'il avait seulement exposé, à titre d'hypothèse contestable, l'opinion minoritaire: "Nous croyons que les âmes purifiées séparées des corps [...] voient Dieu et l'essence divine face à face [...]. Mais si de façon quelconque sur cette matière autre chose avait été dit par nous, [...] nous affirmons l'avoir dit ainsi en citant, en rapportant, mais nullement en déterminant ni même en y adhérant (recitando dicta sacrae scripturae et sanctorum et conferendo, et non determinando, nec etiam tenendo)" (Jean XXII: bulle Ne super his du 3 décembre 1334). Les termes "recitando et conferendo", employés par le pape, se traduisent ainsi:
- recitare signifie "lire à haute voix (une loi, un acte, une lettre), produire, citer" (Plaute: Persa 500 et 528; Cicéron: ln Verrem actio II, 23) : le pape ne fait que citer des opinions d'autrui;
- conferre veut dire "apporter ensemble, apporter de tous côtés, amasser" (Cicéron: ln Verrem actio IV, 121; César: De bel/o gallico VII, 18,4 etc.) : le pape ne fait que recueillir des documents sur cette matière. Conferre peut aussi avoir le sens de "mettre ensemble pour comparer" (Cicéron: De Oratore J, 197: "comparer nos lois à celles de Lycurgue et de Solon") : le pape fait une disputatio, qui consiste à comparer des arguments avant de se prononcer.
Les termes employés par le pape correspondent parfaitement avec les termes d'un jugement rendu par les docteurs de Paris, chargés d'examiner l'orthodoxie du pape. Le roi Philippe VI de Valois avait ordonné un examen, qui commença le 19 décembre 1333. Les théologiens de la Sorbonne, après enquête minutieuse, rendirent leur verdict, qui contenait cette phrase clef: "Nous d'ailleurs prenant garde à ce que nous avons ouï et appris par la relation de plusieurs témoins dignes de foi, que tout ce que Sa Sainteté a dit en cette matière, elle l'a dit non en l'assurant ou même en opinant, mais seulement en le citant" (in: Constant, t. II, p. 423; Constant traduit par "récitant").
* * *
Le pape Benoît XII, qui succéda à Jean XXII, procéda avec la même prudence que son prédécesseur. Bien qu'il fût persuadé du bien-fondé de l'opinion majoritaire, le nouveau pape continua néanmoins l'examen de la question, commencé sous son prédécesseur. Le 7 février 1335, il tint un consistoire où il convoqua ceux qui avaient prêché l'opinion minoritaire et les pria d'exposer leurs arguments. Le 17 mars, il désigna une commission d'une vingtaine d'experts chargés de préparer la définition ex cathedra. Or parmi les experts figurait Gérard Eudes, partisan de l'opinion minoritaire! Le pape se retira pendant quatre mois au château de Pont-de-Sorgues, près d'Avignon, étudiant longuement le dossier. Finalement, le 29 janvier 1336, il définit ex cathedra que l'opinion majoritaire devait désonnais être tenue comme étant un dogme (constitution Benedietus Deus).
Dans le préambule de cette constitution Benedictus Deus, Benoît XII prit grand soin de défendre son prédécesseur attaqué injustement par les calomniateurs bavarois. Sur la question de la vision béatifique, beaucoup de choses furent écrites et dites, et notamment "par notre prédécesseur d'HEUREUSE MÉMOIRE (felicis recordationis) le pape Jean XXII et par plusieurs autres en sa présence. [...] Voulant parer aux paroles et langues des MÉCHANTS (malignantium)", et désirant préciser "ses intentions",. Jean XXII avait préparé sa profession de foi, la bulle Ne super his, que Benoît XII cita dans son intégralité. Puis le nouveau pape poursuivit, en définissant ex cathedra la vérité.
Cette vérité définie solennellement par Benoît XII, Jean XXII l'avait crue depuis toujours. Nous en voulons pour preuves non seulement sa bulle de 1334, mais encore certains textes écrits antérieurement par le saint pape Jean XXII: les bulles de canonisation de saint Louis de Toulouse (1317), de saint Thomas de Hereford (1320) et de saint Thomas d'Aquin (1323). Notamment pour saint Louis de Toulouse, le pape Jean XXII avait, en effet, montré ce jeune saint entrant au ciel dans son innocence, pour contempler l'essence divine dans la joie et à découvert: "ad Deum suum contemplandum in gaudio. facie revelata" (bulle de canonisation, § 18).
* * *
Malheureusement, les impostures d'Ockham, Bonagratia et Cesena furent cependant exhumées par les hérétiques des siècles postérieurs, qui enjolivèrent leurs fables. L'un de ces "historiens" postérieurs fut 1'hérésiarque genevois Jean Calvin (Institution de la religion chrestienne, 1536, livre IV, ch. 7, § 28). Saint Robert Bellarmin, après avoir cité les paroles de Calvin contre Jean XXII, s'exclama: "Je dis à Calvin: tu as proféré, en très peu de mots, cinq mensonges impudentissimes" (De romano pontifice, livre IV, ch. 14). Ensuite, il réfuta avec beaucoup d'aisance le pseudo-historien genevois.
Les hérétiques de toutes les époques ont accusé encore bien d'autres papes, mais à quoi bon évoquer toutes leurs fraudes? Bien avant nous, le savant et saint cardinal Bellarmin a réhabilité, à lui seul, une quarantaine d'accusés, dont le 36e fut le pape Jean XXII.

Conclusion


L'histoire ecclésiastique ne connaît AUCUN cas où un pape se serait trompé dans la foi ou aurait enseigné une erreur. Des écrivains faussaires ariens, monothélites, schismatiques grecs, protestants, gallicans, fébroniens, anti-infaillibilistes ont accusé des papes, parce qu'ils haïssaient la papauté qui les anathématisait. C'est d'eux que le pape Léon XIII disait: "L'art de l'historien paraît être une conspiration contre la vérité".
Martin Luther refusa d'obéir à la papauté (Appel contre le pape au concile, 28 novembre 1518). Sous le prétexte que saint Pierre aurait (soi-disant!) erré dans la foi lors de son séjour à Antioche, Luther affirma que le pape Léon X se trompait sur toute la ligne et qu'il était donc loisible à tout chrétien de suivre ses propres lumières plutôt que la voix de la papauté.
Le franc-maçon Voltaire, ennemi acharné du christianisme, se fit un malin plaisir de mettre en valeur les (soi-disant!) chutes d'Honorius et de Jean XXII, dans son Essai sur les mœurs (1756). Quelle valeur accorder à cet écrit? Aucune! Car ce même Voltaire avait écrit à son confident Thiriot, le 21 octobre 1736: "II faut mentir comme un diable, non pas timidement, non pas pour un temps, mais hardiment et toujours".
Les prétendues chutes de certains papes relèvent de la pseudo-science historique. Cette fausse science est directement opposée à la foi catholique. "Je réprouve de même l'erreur de ceux qui prétendent que la foi proposée par l'Église peut être en contradiction avec l'histoire [...]. Je condamne et rejette aussi l'opinion de ceux qui disent que le chrétien savant revêt une double personnalité, celle du croyant et celle de l'historien, comme s'il était permis à 1 'historien de tenir ce qui contredit la foi du croyant, ou de poser des prémisses d'où il suivra que les dogmes sont faux ou douteux, pourvu que ces dogmes ne soient pas niés directement" (Saint Pie X: serment antimoderniste).
"Canon 2: Si quelqu'un dit qu'on doit traiter les disciplines humaines avec une liberté telle que, même si leurs affirmations s'opposent à la doctrine révélée, elles peuvent être reconnues comme vraies et ne peuvent être interdites par l'Église, qu'il soit anathème.
Canon 3: Si quelqu'un dit qu'il est possible que les dogmes proposés par l'Église se voient donner parfois, par suite du progrès de la science, un sens différent de celui que l'Église a compris et comprend encore, qu'il soit anathème" (Vatican I: Dei Filius, ch. 4, intitulé "Defide et ratione").
"Toute théorie ou doctrine philosophique, morale, théologique ou scientifique, qui est en contradiction avec la foi chrétienne, est pour nous nécessairement fausse et menteuse. Un catholique qui la professe et s'y rattache [...] est un non-catholique, un apostat et un sectateur de l'Antéchrist" (Clément XII: lettre secrète contre les francs-maçons, annexée à sa bulle ln eminenti, 4 mai 1738)

En résumé: l'histoire ecclésiastique ne connaît aucun cas où un pape aurait dévié de la foi ou aurait enseigné une hérésie.

Source:

www.virgo-maria.org/…/table_glob.htm

Ch 2.4
Elie M.
« Résumons en guise de conclusion, l’explication que les meilleurs théologiens et canonistes ont donnée à cette difficulté (Bellarmin, De Romano Pontifice, l. II, c.30; Bouix, De papa, t. II, Paris, 1869, p. 653; Wernz-Vidal, Jus Decretalium, l. VI, Jus poenale ecclesiae catholicae, Prati, 1913, p. 129). Il ne peut être question de jugement et de déposition d’un pape dans le sens propre et …Plus
« Résumons en guise de conclusion, l’explication que les meilleurs théologiens et canonistes ont donnée à cette difficulté (Bellarmin, De Romano Pontifice, l. II, c.30; Bouix, De papa, t. II, Paris, 1869, p. 653; Wernz-Vidal, Jus Decretalium, l. VI, Jus poenale ecclesiae catholicae, Prati, 1913, p. 129). Il ne peut être question de jugement et de déposition d’un pape dans le sens propre et strict des mots. Le vicaire de Jésus-Christ n’est soumis à aucune juridiction humaine. Son juge direct et immédiat est Dieu seul. Si donc d’anciens textes conciliaires ou doctrinaux semblent admettre que le pape puisse être déposé, ils sont sujets à distinction et rectification. Dans l’hypothèse, invraisemblable d’ailleurs, où le pape tomberait dans l’hérésie publique et formelle, IL NE SERAIT PAS PRIVÉ DE SA CHARGE PAR UN JUGEMENT DES HOMMES, MAIS PAR SON PROPRE FAIT, PUISQUE L’ADHÉSION FORMELLE À UNE HÉRÉSIE L’EXCLURAIT DU SEIN DE L’ÉGLISE. »

Raoul Naz, Dictionnaire de Droit Canonique, t. IV, col. 1159

« De plus le pouvoir du pape cesserait par suite de démence perpétuelle ou d’hérésie formelle. Dans le premier cas, le pape, étant incapable de faire un acte humain, serait par conséquent incapable d’exercer sa juridiction. L’aide d’un vicaire ne pourrait y suppléer, puisque l’infaillibilité et la primauté de juridiction ne peuvent être déléguées. Le second cas, d’après la doctrine la plus commune, EST THÉORIQUEMENT POSSIBLE, en tant que le pape agirait comme docteur privé. Étant donné que le Siège suprême n’est jugé par personne (can. 1556), IL FAUDRAIT CONCLURE QUE PAR LE FAIT MÊME ET SANS SENTENCE DÉCLARATOIRE, LE PAPE SERAIT DÉCHU. Il n’est d’ailleurs pas d’exemple, dans l’histoire ecclésiastique, qu’un vrai pape soit tombé dans l’hérésie formelle, même en tant que docteur privé. »

Raoul Naz, Dictionnaire de Droit Canonique, t.I, p.376-377