Avec saint Louis, les Assasins n’en menaient pas large…

Son fidèle ami le sire de Joinville narre dans ses Chroniques un épi­sode qui montre que le saint roi ne se lais­sait pas mar­cher sur les pieds par les voyous ! 

Le roi saint Louis demeu­ra à Saint Jean d’Acre après l’é­chec de la sep­tième croi­sade en Egypte (1248–1254). C’est de là qu’il pré­pa­ra avec foi et zèle la croi­sade sui­vante afin de déli­vrer la Terre Sainte du joug des musul­mans. Il y avait alors dans les mon­tagnes de Syrie et d’Iran une secte isla­mique, les Assassins, diri­gée par un chef nom­mé le « Vieux de la Montagne ». Ceux-​ci fai­saient régner la ter­reur dans tout le Moyen-​Orient en assas­si­nant par la main de dis­ciples fana­ti­sés les sou­ve­rains ou les chefs qu’ils vou­laient éli­mi­ner. Certains ten­taient de neu­tra­li­ser cette menace ter­ro­riste par des ver­se­ment régu­liers. Un jour, le Vieux de la Montagne déci­da d’en­voyer des mes­sa­gers à saint Louis.

Qui s’y frotte…

Quand le roi revint de sa messe, rap­porte Joinville, il les fit venir devant lui. Le roi les fit asseoir. Il avait devant lui un émir bien habillé et bien équi­pé. et der­rière cet émir un jeune homme qui tenait dans sa main fer­mée trois cou­teaux, dont l’un entrait dans le manche de l’autre. Si l’é­mir n’a­vait pas obte­nu de réponse favo­rable, le jeune homme aurait pré­sen­té ces trois cou­teaux au roi pour le défier. Derrière celui qui tenait les trois cou­teaux, il y en avait un autre qui tenait un tis­su fin entor­tillé autour de son bras, qu’il eût aus­si pré­sen­té au roi pour l’en­se­ve­lir s’il avait répon­du défa­vo­ra­ble­ment à la requête du Vieux de la Montagne. Autant dire que cette char­mante délé­ga­tion n’a­vait pas froid aux yeux pour mena­cer ain­si le roi ! Allait-​il se lais­ser impres­sion­ner par ces pro­fes­sion­nels des assas­si­nats dans l’ombre ? Que nenni !

Le roi dit à l’é­mir de lui pré­sen­ter ce qu’il vou­lait. L’émir lui remit une lettre de créance et par­la ain­si : « Mon maître m’en­voie vous deman­der si vous le connais­sez. » Connaître le Vieux de la Montagne signi­fiait ordi­nai­re­ment le craindre et lui céder en tout…

Le roi, pla­cide, lui répon­dit qu’il ne le connais­sait pas car il ne l’a­vait jamais vu, mais qu’il avait bien enten­du par­ler de lui. Et l’é­mir, un peu sur­pris de cette réponse altière, com­men­ça son habile chan­tage : « Puisque vous avez enten­du par­ler de mon maître, je m’é­tonne beau­coup que vous ne lui ayez pas envoyé tant du vôtre et que vous ne vous en soyez pas fait un ami, comme l’empereur d’Allemagne, le roi de Hongrie, le sul­tan du Caire et les autres le font envers lui tous les ans, parce qu’ils sont cer­tains qu’ils ne peuvent vivre que dans la mesure où il plai­ra à mon maître. S’il ne vous plaît pas de faire cela, faites qu’il soit quitte du tri­but envers les Ordres de l’Hôpital et du Temple, il se consi­dé­re­ra satis­fait de vous. » Le Vieux de la Montagne, si ter­rible soit-​il, était réduit en effet à payer le tri­but aux Ordres reli­gieux de che­va­le­rie du Temple et de l’Hôpital parce qu’ils étaient les seuls à ne redou­ter en rien les Assassins. Le Vieux n’y gagnait rien s’il fai­sait éli­mi­ner le maître d’un de ces Ordres car on en remet­tait aus­si­tôt un autre aus­si bon à sa place. Trop rusé, il ne vou­lait pas gas­piller ses Assassins là où il n’y avait rien à gagner.

Saint Louis, habi­le­ment, se déga­gea du tra­que­nard en répon­dant à l’é­mir de reve­nir dans l’après-midi.

S’y pique !

Quand l’é­mir fut reve­nu, il trou­va une petite sur­prise : le roi sié­geait avec d’un côté le maître de l’Hôpital et de l’autre le maître du Temple aux­quels il ne valait mieux pas se frot­ter… Le roi lui dit alors de répé­ter ce qu’il avait dit le matin ; et l’é­mir, tout d’un coup bien moins sûr de lui, répon­dit qu’il ne se sen­tait pas dis­po­sé à le répé­ter, si ce n’est devant ceux qui étaient le matin avec le roi. Alors les deux maîtres prirent la parole : « Nous vous don­nons l’ordre de le dire ». L’émir, dans ses petits sou­liers, ou plu­tôt dans ses petites babouches, s’exé­cu­tât aus­si­tôt. Alors, dit Joinville, les deux maîtres lui firent dire en sar­ra­sin qu’il vienne le len­de­main par­ler avec eux à l’Hôpital. On ne fait pas d’es­clandre devant le roi. Saint Louis devait sou­rire devant la situa­tion qu’il avait amé­na­gé. La décon­ve­nue des Assassins ne man­quait pas de piments, eux devant qui d’ha­bi­tude tout s’inclinait !

Le len­de­main, Joinville narre sobre­ment qu’au siège de l’Ordre de l’Hôpital les deux grand-​maîtres dirent à l’é­mir que le Vieux était bien har­di quand il avait osé faire dire au roi des paroles aus­si bru­tales ; et, si ce n’a­vait été pour l’hon­neur du roi, auprès de qui ils étaient venus comme mes­sa­gers, ils les auraient fait noyer dans la sale mer d’Acre, au mépris de leur maître. Cependant l’in­ci­dent n’al­lait pas être clos à si bon compte : « Nous vous com­man­dons, ajoutèrent-​ils, que vous retour­niez près de votre maître et que vous appor­tiez au roi, de sa part, des lettres et des joyaux tels que le roi se consi­dère comme satis­fait et qu’il vous en sache bon gré. »

Dans la quin­zaine les mes­sa­gers du Vieux revinrent à Acre et ils appor­tèrent au roi saint Louis la che­mise du Vieux et ils dirent de la part du Vieux, que cela signi­fiait que, comme la che­mise est plus près du corps qu’au­cun autre vête­ment, de même le Vieux veut tenir le roi dans son amour plus proche qu’au­cun autre roi. Et il lui envoya son anneau, qui était d’or très fin, où son nom était écrit. C’est dire la ter­reur que lui ins­pi­ra saint Louis, dont il espé­rait faire, il y a encore si peu de temps, l’une de ses vic­times ! La démons­tra­tion de force calme les ardeurs des voyous, tan­dis que la fai­blesse, les ater­moie­ments, a pour effet de les enhar­dir dans leurs for­faits. Une mul­ti­tude d’autres cadeaux de très grande valeur ser­vait à répa­rer l’of­fense, Joinville décrit cette pro­fu­sion dans le détail tant il est impressionné.

Le roi saint Louis envoya à son tour des mes­sa­gers au Vieux, et lui fit par­ve­nir en retour une grande quan­ti­té de joyaux, pièces d’é­car­late, coupes d’or, etc afin de lui mon­trer qu’il lui accor­dait son par­don. Avec les mes­sa­gers il lui envoya aus­si un mis­sion­naire, frère Yves le Breton, qui savait le sar­ra­sin, afin d’es­sayer de le conver­tir à la seule vraie reli­gion, la foi catholique.

Mon Dieu, donnez-​nous des gou­ver­nants comme le roi saint Louis !

Source : Vie de saint Louis (ou Chroniques), Sire de Joinville, début du XIVe siècle.