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Education : le privé de plus en plus prisé

Education : le privé de plus en plus prisé
Le nombre d’élèves accueillis dans les établissements sous contrat a augmenté de manière significative, selon les statistiques de la rentrée 2016.
LE MONDE | 06.01.2017 à 06h38 • Mis à jour le 09.01.2017 à 11h43 | Par Mattea Battaglia

INFOGRAPHIE LE MONDE

« Faire fuir les familles vers le privé… » Voilà le procès fait à bon nombre de réformes entreprises par la gauche dans le champ éducatif, par un nombre tout aussi grand de leurs détracteurs. Des rythmes scolaires chamboulés aux sections bilangues en partie fermées, les mesures portées sous le quinquennat de François Hollande ont-elles pu jouer contre l’école publique ? C’est en tout cas la petite musique que font entendre les « antiréforme » sur les réseaux sociaux. Ce n’est pas la répartition des effectifs d’élèves scolarisés en 2016-2017, telle que vient de la détailler le ministère de l’éducation dans deux « Notes d’information » datées de décembre, qui pourra freiner cette rhétorique. Car on assiste bel et bien, en cette rentrée marquée par la mise en œuvre du « nouveau collège » promu par Najat Vallaud-Belkacem, à une augmentation du nombre d’élèves accueillis dans les établissements privés, en grande majorité catholiques.

Equilibres historiques

Ce n’est pas une explosion, mais une hausse significative : ils sont 6 400 élèves de plus à s’asseoir sur les bancs des collèges privés (+ 0,9 %), et 9 900 de moins sur ceux du public (– 0,4 %), ont calculé les statisticiens du ministère. Le secrétariat général de l’enseignement catholique (SGEC) avance, lui, des estimations arrondies à partir d’une comptabilité un peu différente : + 5 500 jeunes dans les collèges privés catholiques, + 4 500 élèves dans les lycées catholiques d’enseignement général.

Cette « évolution contrastée » n’est pas nouvelle : elle avait déjà été observée au collège. Elle ne modifie pas fondamentalement les équilibres « historiques » – quelque 80 % de collégiens dans le public, 20 % dans le privé. Reste que la tendance est nette, en particulier en classe de 6e et dans des académies où les deux secteurs se font concurrence – Rennes, Nantes, Lyon, Versailles…
Dans le premier degré, la hausse, après plusieurs années de chute des effectifs (2008-2014), surprend plus la communauté éducative. A ce niveau, le chiffrage du ministère et celui du SGEC diffèrent davantage : le premier avance 13 700 écoliers de plus dans le privé (+ 1,5 %), le second un peu moins de 6 500. L’écart recoupe-t-il les enfants scolarisés dans le « hors contrat », les écoles régionales, les établissements juifs, musulmans, etc. ? A voir.
« La hausse est répartie sur toutes les académies ; ça représente la plupart du temps quelques centaines d’élèves à absorber dans chacune, explique Yann Diraison, adjoint au secrétaire général de l’enseignement catholique. Il y a eu, bien sûr, des ouvertures de classe… et une optimisation de la scolarisation. » Façon de dire que des classes à 25-26 élèves ont pu passer à 28-30. Rue de Grenelle, on se refuse à parler de « tendance ».
Effet démographique
L’effet de surprise est à relativiser : interrogé dans nos colonnes en septembre 2016, le « patron » du privé, Pascal Balmand, avait déjà annoncé une « progression sensible » des effectifs, en appelant à raison garder quant aux liens de cause à effet qui pourraient en être tirés. « Je crois plutôt à un effet démographique, expliquait-il, variable selon les territoires, et à un certain attrait de nos établissements. De plus, il faut rappeler que nous appliquons la réforme [du collège]. » La réforme des rythmes, elle, n’y est mise en œuvre qu’a minima : seules 10 % à 15 % des écoles privées ont sauté le pas, estime-t-on.

Il n’empêche : la polémique sur le « nouveau collège » et ses nouveaux programmes peut difficilement ne pas avoir trouvé d’écho auprès des familles. D’autant qu’il se murmure que le privé, en vertu de son « caractère propre » et de sa gestion autonome des moyens, a pu « adoucir » ici ou là l’application de certaines mesures. « Je ne doute pas qu’il ait pu maintenir, au moins en partie, les dispositifs et options chers aux familles », fait valoir Frédérique Rolet, secrétaire générale du SNES-FSU – syndicat fer de lance de la fronde contre la réforme du collège –, en faisant référence aux sections bilangues, aux classes européennes et aux options latin et grec.
Reste que, pour cette syndicaliste comme pour la plupart des acteurs du monde enseignant, l’attrait du privé, « multifactoriel », n’a pas été fondamentalement remis en cause sous ce quinquennat-ci : il tient au rapport de confiance que l’institution inspire… ou pas. Au besoin de contourner le collège « de quartier ». A la recherche d’une forme d’« entre-soi ». Autre son de cloche du côté des parents concernés, et qui ne varie pas, année après année : « C’est l’humain, le suivi individuel du jeune, la place donnée aux parents comme partenaires du projet éducatif qui explique l’engouement pour le privé », assure Caroline Saliou, la présidente de l’Association de parents d’élèves de l’enseignement libre.
« A l’heure où tous les discours sur l’école se teintent de pessimisme, on y vient avec l’espoir que les enfants y sont plus protégés, mieux encadrés, moins concernés par les absences d’enseignants », analyse l’ancien recteur Bernard Toulemonde, fin connaisseur du privé. « Il n’y a pas que les discours qui sont pessimistes, renchérit Albert-Jean Mougin, vice-président du Snalc, syndicat dit de droite (même s’il le récuse). Toutes les enquêtes internationales et nationales pointent des dysfonctionnements. Il ne s’agit pas de raviver une guerre scolaire public-privé, cela n’aurait aucun sens. En revanche, il est temps que l’école laïque et républicaine réinspire confiance ».
Cela implique de « porter l’attention, aussi, sur les réussites de l’école », réagit-on au cabinet de Mme Vallaud-Belkacem, en faisant valoir que les « variations d’effectifs ne sont pas suffisamment significatives pour parler de tendance de fond ».
Du côté des syndicats réformistes, on appelle à prendre ces chiffres « avec recul ». « Attention aux effets yoyo, rien ne dit qu’on ne sera pas dans une phase descendante l’an prochain », prévient Christian Chevalier, du SE-UNSA. Un autre facteur mérite, selon lui, d’être interrogé : le « retour à la religiosité » dans la société ; une « fierté d’être catholique » qui refait surface dans le sillage de La Manif pour tous. Au point d’affecter le recrutement du privé ? Sur ce point, si les statistiques font défaut, on a coutume de dire que les raisons confessionnelles ne pèsent pas – ou si peu – sur le choix d’école.

Mattea Battaglia
Journaliste au Monde
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