J. B. Bossuet (1627-1704) évêque de Meaux Oeuvres complètes (F. Lachat Louis Vivès, Éditeur Paris 1862) Rendre à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu
« Est-il permis de payer le tribut à César ? » Le peuple juif s’était nourri dans cette pensée qu'il ne pouvait pas être assujetti à des infidèles. Les Romains avaient occupé la Judée, et avaient même réuni à leur empire une grande partie du royaume qu'ils avaient donné autrefois à Hérode et à sa famille. Jérusalem était elle-même dans cette sujétion; et il y avait un gouverneur qui commandait au nom de César, et faisait payer les tributs qu'on lui devait.
Si Jésus eût décidé contre le tribut, « ils le livraient aussitôt, comme dit saint Luc, entre les mains du gouverneur : » et s'il disait qu'il fallait payer, ils le décrieraient parmi le peuple comme un flatteur des gentils et de l'empire infidèle. Mais il leur ferme la bouche : premièrement, en leur faisant voir qu'il connaissait leur malice : secondement, par une réponse qui ne laisse aucune réplique. « Hypocrites, pourquoi me tentez-vous? Hypocrites : » vous faites paraître un faux zèle pour la liberté du peuple de Dieu contre l'empire infidèle, et vous couvrez de ce beau prétexte le dessein de perdre un innocent : mais « donnez-moi la pièce d'argent dont on paie le tribut : » je ne veux que cela pour vous confondre. « De qui est cette image et cette inscription ? — De César. » — Vous voilà donc convaincus de la possession où était César de la puissance publique, et de votre propre acquiescement, et de celui de tout le peuple. Qu'avez-vous donc à répondre? Si vous reconnaissez César pour votre prince ; si vous vous servez de sa monnaie, et que son image intervienne dans tous vos contrats, en sorte qu'il soit constant que vous faites sous son autorité tout le commerce de la vie humaine, pouvez-vous vous exempter des charges publiques, et refusera César la reconnaissance qu'on doit naturellement à la puissance légitime pour la protection qu'on en reçoit? « Rendez donc à César ce qui est à César : » reconnaissez son empreinte : payez-lui ce qui lui est dû : payez-le, dis-je, par cette monnaie à qui lui seul donne cours : ou renoncez au commerce et en même temps au repos public, ou reconnaissez celui par qui vous en jouissez. «
Et à Dieu ce qui est à Dieu. » Par cette parole il fait deux choses : la première, c'est qu'il décide que se soumettre aux ordres publics, c'est se soumettre à l'ordre de Dieu qui établit les empires ; la seconde, c'est qu'il renferme les ordres publics dans leurs bornes légitimes. « A César ce qui est à César : » car Dieu même l'ordonne ainsi pour le bien des choses humaines : mais en même temps, « à Dieu ce qui est à Dieu : » son culte et l'obéissance à la loi qu'il vous a donnée.
Car voilà ce qu'il se réserve, et il a laissé tout le reste à la dispensation du gouvernement public. Il épuise la difficulté par cette réponse ; et non seulement il répond au cas qu'ils lui proposaient par un principe certain dont ils ne pouvaient disconvenir, mais encore il prévient l'objection secrète qu'on lui pouvait faire : Si vous ordonnez d'obéir sans bornes à un prince ennemi de la vérité, que deviendra la religion? Mais cette difficulté ne subsiste plus, puisqu'on rendant à César ce que Dieu a mis sous son ressort, en même temps il réserve à Dieu ce que Dieu s'est réservé, c'est-à-dire la religion et la conscience. « Et ils s'en allèrent confus : et ils admirèrent sa réponse , » où il réglait tout ensemble et les peuples et les Césars, sans que personne put se plaindre.