Célibat sacerdotal : la sagesse incomprise du pape émérite

La publication des Profondeurs de nos cœurs, le 15 janvier, a été suivie d’un véritable incendie (voir encadré). Il aura suffi d’une étincelle allumée par le livre conçu par le cardinal Robert Sarah sur la question très sensible du célibat sacerdotal pour déclencher des feux incontrôlables. Il faut dire que le climat était propice aux polémiques dans l’attente de l’exhortation apostolique sur l’Amazonie du pape François. De Paris à Rome, en passant par les capitales virtuelles de nos réseaux sociaux, les flammes des commentaires ont donné l’impression que la papauté s’était mise à brûler.

Mais que reste-t-il des grands incendies, sinon des cendres ? Comme en Australie ou en Amazonie, justement... Une fois la frénésie médiatique passée, la fumée se dissipe, et il reste tout simplement un livre. Cette contribution théologique au débat sur le sacerdoce mérite d’être lue tant sa profondeur dépasse les vicissitudes de l’échelle de Richter des vaticanistes. « Nous vous invitons à lire Des profondeurs de nos cœurs en vous écartant de toute polémique, supplient les prêtres rédacteurs du site Padreblog. Il y a là une belle opportunité de découvrir de l’intérieur ce que nous vivons pour vous par appel du Christ. Nous serions touchés que vous puissiez ainsi entrer un peu plus avant dans le mystère qui nous a conquis au jour de notre appel et qui est la raison d’être de notre vie. »

Ouvert par le pape François lui-même, le débat sur le célibat sacerdotal mérite mieux que des invectives et des slogans. « En soi, rien n’empêche l’ordination des hommes mariés... », confiait Mgr Laurent Camiade à FC. Le président de la Commission doctrinale ajoutait cependant : « Cette hypothèse ne me semble ni souhaitable ni opportune par rapport au bien de la communauté. » C’est aussi le sentiment profond du pape émérite qui expose, avec sa clarté unique de théologien, la valeur d’une tradition que certains voudraient brader trop vite.

Le texte de Benoît XVI intitulé « Le sacerdoce catholique » se veut un éclairage spirituel et très personnel : « Face à la crise durable que traverse le sacerdoce depuis de nombreuses années, il m’a semblé nécessaire de remonter aux racines profondes du problème. » Toute la force de son propos consiste à montrer que le sacerdoce ne peut être limité à une logique disciplinaire et utilitariste comme si le prêtre était un simple distributeur de sacrements.

Plusieurs éléments méritent d’être soulignés dans la contribution du pape émérite. Notamment la profondeur de son exégèse, dans la veine de la publication de son Jésus de Nazareth. « Au fondement de la situation grave dans laquelle se trouve aujourd’hui le sacerdoce, écrit le pape émérite, on trouve [...] l’abandon de l’interprétation christologique de l’Ancien Testament. » L’Évangile n’a pas abrogé mécaniquement l’ancien sacerdoce de la tribu de Lévi, mais l’a porté à son accomplissement.

« Une force d’âme incroyable »

Autre ligne de force, la grandeur dévorante de l’appel de Dieu qui demande aux prêtres un don total : « Le sacerdoce de Jésus-Christ nous fait entrer dans une vie qui consiste à devenir un avec Lui et à renoncer à tout ce qui n’appartient qu’à nous. Tel est le fondement pour les prêtres de la nécessité du célibat. »

Le sacerdoce de Jésus-Christ nous fait entrer dans une vie qui consiste [...] à renoncer à tout ce qui n’appartient qu’à nous.

Benoît XVI

Dernier trait à retenir, le caractère très intime d’une méditation de haute volée où Joseph Ratzinger fait appel à sa propre expérience pour décrire la radicalité du sacerdoce : « Je garde vivant dans ma mémoire le souvenir [...] de la réception de la tonsure. J’ai brusquement compris ce que le Seigneur attendait de moi à ce moment : Il voulait disposer entièrement de ma vie et, en même temps, Il se confiait entièrement à moi. »

Au final, on peut se demander comment un homme d’Église aussi discret et délicat a pu endurer toutes les polémiques qui ont émaillé son ministère : « Joseph Ratzinger ne s’est jamais laissé troubler par ses amis ou ses ennemis », explique Mgr Jean-Pierre Batut, membre du Conseil permanent de la Conférence des évêques de France. « Cela dit, Benoît XVI, comme cela arrive aux gens sans artifices, a souvent sous-estimé la perversité des réactions humaines à ses propos, comme lors du discours de Ratisbonne. “Tout est pur pour les purs”, dit saint Paul... » Mgr Batut ajoute : « Je me souviens, séminariste à Rome, des conférences du préfet pour la doctrine de la foi. Il n’était pas le jouet de ceux qui l’adulaient ni de ceux qui le critiquaient : ce qui suppose une force d’âme incroyable. » Autrement dit, une singulière capacité à rester au-dessus de la mêlée.

Un livre qui met le feu aux poudres

Le 12 janvier, Le Figaro annonçait la sortie d’un livre cosigné par Benoît XVI et le cardinal Sarah sur le sacerdoce et le célibat. Sujet brûlant, puisque le Synode sur l’Amazonie a envisagé la possibilité d’ordonner des hommes mariés. Puis des doutes ont circulé sur l’accord explicite du pape émérite avant la parution. Son secrétaire particulier a demandé d’enlever « le nom de Benoît XVI comme co-auteur du livre, et de retirer aussi sa signature de l’introduction et des conclusions ». Mais la deuxième édition française devrait finalement être signée par le cardinal Sarah « avec la collaboration de Benoît XVI ». Notons que l’introduction et la conclusion sont seulement « approuvées » par Benoît XVI .

Des profondeurs de nos cœurs, par Benoît XVI et le cardinal Robert Sarah, Fayard, 180 p., 18 €.