jili22
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Que la Misère est grande de l'homme possédé de Satan, qui livre un combat furieux à son Âme, et donne un tourment extrême à son Corps

I. Ce mal ayant en Satan, qui l'opère, le mystère de l'Incarnation pour motif, est grand et fréquent.

II. Déduction excellente par laquelle il est montré qu'autant que notre nature est honorée et accomplie dans l'Incarnation du Verbe, autant est-elle avilie et intéressée en l'alliance qu'elle a avec Satan : et en particulier dans cette vexation maligne.

III. Cette vexation étant celle par laquelle le diable consomme l'alliance qu'il a contractée avec notre Nature, est la plus grande, la plus universelle, la plus longue, la moins connue, et la plus dangereuse.

IV. Satan prive celui qu'il possède du bien que la vie apporte, et l'assujettit au mal, dont la mort nous exempte : c'est-à-dire, lui ôte le pouvoir d'agir, comme s'il était mort, et le fait pâtir, comme celui qui est vivant.

V. La condition de l'esprit en l'Énergumène n'est pas moins pitoyable que celle du corps.

Puisque l'Incarnation est le motif, et le modèle de cette opération de Satan, il y a bien apparence que le mal des Énergumènes est accompagné des deux qualités qui rendent un Accident plus remarquable : C'est-à-dire qu'il est GRAND en son espèce, étant formé sur un tel exemplaire ; et que les démons l'introduisent SOUVENT au monde, ressentant outre les motifs ordinaires, des aiguillons nouveaux de la part de ce Mystère. Aiguillons si vifs et si poignants, que les années seules de la vie de Jésus-Christ ont vu plus de démoniaques que tout le temps précédent de la Synagogue ; Tant cet objet allume vivement leur Rage, leur Orgueil, et leur Envie de faire un chef-d'œuvre semblable.

Or de ces deux qualités la dernière ayant été traitée au discours précédent : Entrons maintenant en quelque considération de l'autre, et voyons combien GRAND est le mal que nous avons dit être si FRÉQUENT, et avoir eu cours en tout temps, en tous lieux, parmi les Juifs, les Païens, et les Chrétiens. ET de la même Incarnation, en tant qu'elle est le modèle sur lequel le malin esprit a tiré l'idée de ce dessein, tirons et concluons : QUE notre Nature étant exposée à deux sortes d'alliance de deux bien différents partis, sa condition est autant misérable en l'une, comme elle est accomplie en l'autre. Car l'un venant du Ciel, et l'autre de l'Enfer, l'un étant plein d'honneur et l'autre de misère : Si la condition d'une alliance suit celle du Sujet auquel on est allié, il s'ensuit justement qu'il y aura autant de proportion entre l'excès de la misère de l'une et entre le comble de la félicité de l'autre, comme il y a de différence entre ces deux partis, et comme il y a de similitude en la proximité de chacune de ces alliances avec notre nature. Or est-il que la différence paraît extrême, en ce que l'un de ces deux allés est Dieu, et l'autre le diable ; Et la similitude de ces deux alliances est grande, en ce que chacun est le principe des opérations de la nature, laquelle ils possèdent. Comme donc notre humanité est souverainement honorée et accomplie en l'une, en tant qu'elle est entée en la divinité : Aussi est-elle extrêmement avilie et intéressée en l'autre ; en tant qu'elle attouche de si près à la même misère, et en tant qu'elle est jointe à une chose plus vile que le néant même.

LA conséquence est réciproque, mais d'abondant la misère de cette seconde alliance est fondée en l'inclination de cet esprit infernal, lequel état séparé pour jamais de son centre, n'a plus autre repos que dans le mal de la coulpe à laquelle il nous attire, ou dans le mal de la peine en laquelle il nous plonge. Dont vient qu'il accomplit par tourments cette alliance, laquelle il a contractée avec la nature qu'il possède : Et qu'il l'a consommée par une espèce de vexation la plus grande de toutes celles que l'homme peut souffrir, car elle enclot toutes les autres ; la plus universelle, car elle concerne le corps et l'âme ; la plus longue, car ce qui l'opère ne s'use, et ne diminue point ; la moins connue, car sa cause est invisible ; la plus dangereuse, car elle tend à une ruine irréparable de l'âme et du corps.

C'EST l'issue de ce mal étrange ; si on n'y remédie, c'est le dessein de ce malin esprit, si on ne l'empêche ; qui par cette union violente veut désunir le corps d'avec l'âme, et l'âme d'avec Dieu qui est sa vie et son principe. Car en saisissant le corps, il assiège l'esprit : en affligeant les sens, il affaiblit l'âme, en occupant ses organes et ses facultés corporelles, il investit son essence. Tellement que le possédé endure tout ensemble, et un violent assaut en l'esprit, et un grand tourment au corps. Ceci sera mieux considéré si nous remarquons que le malin esprit qui est puni de Dieu en sa fureur, épand par manière de dire son malheur hors de soi-même, et envoie à ce corps adjoint la réflexion de son tourment : Même le réduit en tel état que ce corps n'est pas privé du mal dont la mort l'exempte ; ni accompagné du bien que la vie lui apporte. Car étant naturellement doué d'une faculté D'AGIR et de PÂTIR : Ces deux fonctions que la vie conserve, et que la mort éteint conjointement, sont ici séparées : En sorte que l'Énergumène n'agit non plus en son propre corps que s'il était mort : et il ne laisse d'y pâtir étant plein de vie et de sentiment. Comme si Satan l'avait réduit à un état moyen entre celui de la vie et de la mort, tirant du côté de la mort la privation d'agir, et de la part de la vie la faculté de pâtir, et par ainsi le dépouillant de l'heur qui accompagne l'une et l'autre condition. Car si le corps n'agit plus par la mort, aussi ne pâtit-il plus ! Et s'il est durant la vie sujet à quelque souffrance, aussi a-t-il le moyen d'agir : de façon que s'il a du détriment en l'un, il a de l'avantage en l'autre. Mais il n'a point ici le pouvoir d'agir que la vie lui donne, ni l'exemption de pâtir que la mort apporte, en tant que l'Énergumène n'est pas privé de la vie, et qu'il n'est vif que pour pâtir : Ainsi comme ne l'État de la Vive-Éternelle-Mort le Damné n'est vivant que pour souffrir.

SEMBLABLEMENT la condition de l'esprit est fort pitoyable. Car en cette rencontre il est combattu de près, puisque l'ennemi tient une espèce de garnison en son corps : et il est combattu avec des efforts intérieurs, puisque Satan par sa présence émeut les passions humaines : Au lieu que dans les autres rencontres il ne nous offense que de loin, sans effort, et par des objets seulement extérieurs. Et encore agit-il ici avec une Âme non seulement investie, mais aussi désarmée : en tant qu'il lui a soustrait ses armes défensives, c'est-à-dire, les actes intérieurs desquels le ressort est aux facultés que l'ennemi occupe : Au lieu que parmi les autres combats, l'âme a toujours l'usage et la liberté de ses fonctions pour se défendre.

Extrait de Traité des Énergumènes par l'Illustrissime et Révérendissime Cardinal De Berulle, Instituteur et premier Supérieur Général de la Congrégation de l'Oratoire de Jésus.

tiré du blog : le-petit-sacristain.blogspot.com