Abramo
2963

La messe latine et la messe moderne vues par un jeune metteur en scène

Luigi Martinelli est un jeune metteur en scène de théâtre italien. Né en 1987, il a obtenu en 2011 un master en Sciences et techniques des arts et du théâtre grâce à un mémoire intitulé Les formes du sacré : la performance dans le rite romain. En 2014, ce mémoire est devenu un livre « Le forme del sacro. La performance nel rito romano » (Cavinato Editor, Brescia, 2015), préfacé par don Nicola Bux, qui fera l’objet d’une conférence à l’issue d’une messe célébrée selon la forme extraordinaire du rite romain, ce 31 mars 2016, à Brescia, la ville de Paul VI.

Pour l'occasion, la revue catholique italienne Tempi a publié un intéressant, mais parfois un peu jargonnant, entretien avec Luigi Martinelli dont nous sommes heureux de vous présenter les meilleurs passages.

L’idée – tout à fait iconoclaste – du metteur en scène est de comparer « l’efficacité » des deux formes du rite romain à partir du concept de « performance » élaboré par l’anthropologue britannique Victor Turner en collaboration avec le metteur en scène d’avant-garde américain Richard Schechner. Confronté à l’émergence du cinéma puis de la télévision, le théâtre a en effet fait face au XXe siècle à une révolution qui n’a rien à envier à la révolution liturgique !

I – Extraits de l’entretien donné par Luigi Martinelli pour Tempi
(Propos recueillis par Valerio Pece, 12 mars 2016)


Tempi : Luigi Martinelli, vous traitez le thème de la liturgie d’un point de vue absolument inhabituel : celui de la performance théâtrale. Où se situe la rencontre entre une activité profane comme le théâtre et une activité sacrée comme la liturgie ?

Luigi Martinelli : Je me rends compte que les références théâtrales peuvent paraître bizarres quand on parle de liturgie. Toutefois, il faut rappeler que, historiquement, le théâtre naît et se développe précisément à l’intérieur de la tradition rituelle religieuse, raison pour laquelle les mécanismes qui meuvent l’action théâtrale et ceux qui meuvent l’action rituelle sont à de nombreux égards identiques.

Quand, dans le livre, je parle de théâtre, je ne l’envisage pas en termes professionnels, bourgeois ou spectaculaires mais comme une activité de représentation primordiale qui a besoin, pour sa mise en œuvre, d’un usage déterminé du corps, d’une discipline du geste, du mouvement et de l’action, d’un art du faire et du dire, autant d’éléments qui sont également requis par un rite. C’est d’ailleurs sur ces points que le monde du rite et celui du théâtre peuvent être rapprochés et comparés.

[…]

Tempi : Après avoir mis en évidence aussi bien les forces que les faiblesses de l’une comme l’autre forme du rite romain, vous vous arrêtez longuement sur la forme extraordinaire du rite romain que vous indiquez comme l’exemple à suivre. Mais que peut communiquer à l’homme contemporain un rite aussi ancien que le Vetus Ordo Missæ ?

Luigi Martinelli : Si je m’arrête sur la liturgie romaine traditionnelle, c’est bien parce que la performance corporelle et sensorielle y tient un rôle fondamental. Celle-ci communique efficacement à l’homme l’essence du contenu de la foi qui est célébrée. Elle manifeste le sens du sacré en faisant appel à la sensibilité physique de l’homme par des sollicitations extérieures aussi efficaces que la distribution intelligente du silence « actif » aux moments clés du rite ; l’importance accordée à une certaine typologie de chant, le grégorien, et à la seule musique de l’orgue pour accompagner le recueillement ; la parole vivante de la langue sacrée qui émancipe les mots de l’urgence de devoir signifier en remettant à l’honneur la valeur de la vocalité ; l’importance réservée aux actions, aux gestes, aux postures ; l’orientation dans l’espace et la verticalité. Tout est construit autour d’éléments performants susceptibles de générer réalité et expérience. Le rite romain traditionnel est un agrégat d’éléments rituels « ésotériques », dans la mesure où ils ne s’adressent pas prioritairement à notre sphère rationnelle mais à notre perception sensible qui transcende notre raison humaine. Il ne s’agit pas d’une simple liturgie de mots, conceptuelle, pas plus qu’il ne s’agit d’une commémoration ou d’une observation distante pour satisfaire ses préférences esthétiques, mais d’une expérience concrète de la réalité, une liturgie qui interpelle nos sens en engageant d’un même coup notre corps, notre esprit, notre âme dans la célébration des Saints Mystères.

Tempi : Pourquoi, selon vous, la forme ordinaire du rite romain ne parvient-elle pas à exprimer pleinement le sens du sacré ?

Luigi Martinelli : La réforme liturgique a porté quasi exclusivement sur le legomenon : les mots, les textes, les traductions, les simplifications linguistiques et sémantiques, dans le but d’éduquer et d’instruire les consciences des fidèles en favorisant leur compréhension intellectuelle du rite.

La logique suivie est éminemment moderne. C’est celle de la dévaluation du rituel, qui consiste à détourner l’attention de sa puissance émotive vers sa signification, dans l’illusion que comprendre le rite c’est le vivre.

Cette dérive rationaliste et logocentrique de la liturgie a restreint l’importance du corps et de la corporéité, comme la valeur des sens et de la sensibilité, dans l’action de communiquer et d’exprimer.

En fait, la forme ordinaire se caractérise par son usage de la langue commune qui a créé un espace pour la verbosité ; par sa réduction du silence ; par sa limitation de la performance physique, de la formalité et de la répétitivité des gestes ; par l’émergence de la communauté comme sujet de la célébration, phénomène favorisé par le recours abondant au chant communautaire ; par un agencement différent de l’espace pour faciliter la conversation horizontale des humains.

Ainsi, d’une liturgie du corps, on est passé à une liturgie de la tête. De fait, dans la forme ordinaire, les textes récités ou proclamés sont prédominants au détriment de la performance corporelle, de la puissance de l’action, du geste, du mouvement, du son, en d’autres termes, la re-présentation performantielle a été mise de côté.

L’ensemble de ces facteurs a conduit à la prédominance du contenu sur la forme, avec pour conséquence l’affaiblissement de la liturgie et la perte du sens du sacré qui en découle.

Tempi : Ne vous semble-t-il pas toutefois que la cohabitation des deux formes du rite romain puisse aujourd’hui diviser davantage une communauté catholique déjà à bien des égards si disparate et composite ?

Luigi Martinelli : Selon moi ce risque n’existe pas. Comme tant de fidèles, je fréquente aussi bien l’une que l’autre forme. Je pense au contraire qu’une plus grande diffusion du biformalisme rituel représenterait une richesse spirituelle. La présence de la forme extraordinaire aux côtés de la forme ordinaire peut se révéler très positive pour cette dernière. Il est souhaitable de poursuivre sur la voie du rapprochement et de l’enrichissement par osmose du nouveau rite avec l’ancien, en récupérant tous ces éléments rituels traditionnels qui permettront à la liturgie postconciliaire de mieux s’affirmer comme expérience tangible de foi et de rencontre sensible avec Dieu.
AveMaria44
D'où le danger de la "réforme de la réforme".
AveMaria44
Oui, l'aspect matériel le révèle clairement, cependant les anglicans peuvent faire de bonnes représentations théâtrales, elles restent parfaitement vaines et ne transmettent pas la grâce, elles sont un leurre puissant. Seule l’approche théologique peut nous donner la réponse correcte. Concluons qu'il n'y avait aucune raison pour changer le rit multiséculaire et que l'intention des "réformateurs …Plus
Oui, l'aspect matériel le révèle clairement, cependant les anglicans peuvent faire de bonnes représentations théâtrales, elles restent parfaitement vaines et ne transmettent pas la grâce, elles sont un leurre puissant. Seule l’approche théologique peut nous donner la réponse correcte. Concluons qu'il n'y avait aucune raison pour changer le rit multiséculaire et que l'intention des "réformateurs novateurs" étaient clairement non catholique.