Lux Æterna

La douceur Chrétienne.

L’esprit de douceur est l’esprit propre de Dieu. Ainsi l’âme qui aime Dieu, aime aussi tous ceux qui sont aimés de Dieu, c’est-à-dire tous les hommes ; elle cherche tous les moyens de les secourir, de les consoler et de les satisfaire tout autant qu’il se peut. Saint François de Sales, le maître et le modèle de la douceur, s’exprime ainsi : L’humble douceur est la vertu des vertus que Dieu nous recommande tant ; c’est pourquoi, il faut la pratiquer en tout temps et en tout lieu. Ce que vous penserez pouvoir faire avec amour, faites-le, et laissez ce qui ne se peut faire sans contestation, bien entendu ce qui peut s’omettre sans péché ; car, lorsqu’on a charge d’empêcher l’offense de Dieu, on doit s’y opposer toutes les fois et aussitôt qu’on le peut.

On doit spécialement user de douceur envers les pauvres et les malades : envers les pauvres, parce qu’ils sont ordinairement maltraités à cause de leur pauvreté ; envers les malades, parce qu’ils sont affligés de leur maladie, et souvent peu secourus. Mais on doit surtout être doux envers ses ennemis. Il fait vaincre la haine par l’amour, et la persécution par la douceur. C’est ainsi qu’ont fait les saints, et par ce moyen ils se sont concilié l’affection de leurs ennemis les plus acharnés.

C’est Jésus-Christ lui-même qui nous enseigne cet esprit de douceur. Vous ne savez quel esprit vous anime, dit-il à ses disciples Jean et Jacques, lorsqu’ils voulaient qu’il châtiât les Samaritains, qui les avaient chassés de leur pays. Ah ! leur dit le Seigneur, quel esprit est celui-là ? Ce n’est pas le mien ; le mien est un esprit de douceur et de bonté. Je ne suis pas venu pour perdre, mais pour sauver les âmes, et vous voulez m’engager à les perdre ! Taisez-vous, et ne me faites plus de pareilles demandes, elles sont opposées à mon esprit. En effet, avec quelle douceur ne traita-t-il pas la femme adultère ? Il se contenta de l’avertir de ne plus pécher, et la renvoya en paix. C’est la même douceur qui convertit la Samaritaine. D’abord il lui demanda à boire ; ensuite il lui dit : Oh ! si vous saviez quel est celui qui vous demande à boire ! Plus tard il lui révéla qu’il était le Messie attendu. Combien n’employa-t-il pas de douceur pour engager l’impie Judas à se convertir ! Il le reçut à sa table, lui lava les pieds, et au moment même qu’il fut trahi par lui : Judas, lui dit-il, c’est donc par un baiser que vous me trahissez ? Pierre le renie, et comment Jésus le gagne-t-il ? Il ne le reprend pas ; mais, en sortant de la maison du Pontife, il le regarde avec tendresse, et le convertit ; et il le convertit au point que Pierre pleura toute sa vie l’injure qu’il avait faite à son Maître.

Il faut être doux et affable avec tout le monde en tout temps et en tout lieu. Saint Bernard observe qu’il y en a qui sont affables et doux tant que tout va à leur gré ; mais, leur survient-il une contradiction, une adversité, ils s’enflamment et jettent de la fumée comme le mont Vésuve ; ils ressemblent aux charbons ardents cachés sous la cendre. Celui qui est jaloux de sa satisfaction, doit être en cette vie comme un lis entre les épines : quoique les épines piquent le lis, il ne cesse pas d’être lis, c’est-à-dire également doux et agréable. Celui qui aime Dieu conserve la paix dans son cœur, et la manifeste sur son visage, toujours égal dans l’adversité comme dans la prospérité.

Lorsqu’il nous faut répondre à quelqu’un qui nous insulte, ayons soin de le faire toujours avec douceur ; une réponse douce suffit pour éteindre le feu de la colère. Si nous nous sentons émus, il vaut mieux nous taire, parce que nous parlerions mal à propos ; mais, devenus plus calmes, nous verrions que toutes nos paroles auraient été coupables.

Lorsque nous avons commis une faute, il faut aussi agir avec douceur envers nous-mêmes. S’irriter contre soi-même après une faute, ce n’est pas humilité, mais orgueil ; ce n’est pas croire que nous sommes de faibles, de misérables créatures. Sainte Thérèse disait que toute humilité qui porte le trouble dans l’âme, ne vient pas de Dieu, mais du démon. S’irriter contre soi-même après qu’on a péché, c’est une faute plus grande que la première, une faute qui en entraîne beaucoup d’autres, telles que l’omission de nos dévotions ordinaires, de la prière, de la communion : ou, si nous les faisons, nous les ferons mal. Saint Louis de Gonzague disait que le démon pêche dans l’eau trouble. Lorsque l’âme est dans le trouble, elle ne connaît que faiblement Dieu et ce qu’elle doit faire. Quand nous avons commis une faute, adressons-nous à Dieu avec humilité et confiance, et demandons-lui pardon, en lui disant avec sainte Catherine de Gênes : Seigneur, ce sont là les fruits de mon jardin ; je vous aime de tout mon cœur, je vous ai offensé, je m’en repens, je ne veux plus le faire ; aidez-moi, donnez-moi votre sainte grâce.

Saint Alphonse de Liguori.
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