@avecrux.avemariaExtrait de
L'enfer (1876) de Mgr de Ségur :
Si l'on est certain de la damnation de quelqu'un que l'on voit mal mourirNon ; c'est le secret de DIEU seul.Il y a des gens qui envoient tout le monde en enfer, comme il y en a d'autres qui envoient tout le monde au ciel. Les premiers s'imaginent être justes, et les seconds se croient charitables.
Les uns et les autres se trompent ; et leur première erreur est de vouloir juger des choses qu'il n'est pas donné à l'homme de connaître ici-bas.
En voyant mal mourir quelqu'un, on doit trembler sans doute, et non point se dissimuler l'effrayante probabilité d'une réprobation éternelle. C'est ainsi qu'à Paris, il y a quelques années, une malheureuse mère, apprenant la mort de son fils dans d'affreuses circonstances, resta, deux jours durant, à genoux, se traînant de meuble en meuble, poussant des cris de désespoir, et répétant sans cesse : « Mon enfant ! mon pauvre enfant !... dans le feu !... brûler, brûler éternellement ! » C'était horrible à voir et à entendre.
Et néanmoins, quelque probable, quelque certaine que puisse paraître la perte éternelle de quelqu'un, il reste toujours, dans l'impénétrable mystère de ce qui se passe entre l'âme et Dieu au moment suprême, de quoi ne pas désespérer. Qui dira ce qui se passe au fond des âmes, même, chez les plus coupables, dans cet instant unique où le Dieu de bonté, qui a créé tous les hommes par amour, qui les a rachetés de son sang et qui veut le salut de tous, fait nécessairement, pour sauver chacun d'eux, son dernier effort de grâce et de miséricorde ? Il faut si peu de temps à la volonté pour se retourner vers son Dieu !
Aussi l'Eglise ne tolère-t-elle point que l'on prononce, comme certaine, la damnation de qui que ce soit. C'est, en effet, usurper la place de DIEU. Sauf Judas, et quelques autres encore dont la réprobation est plus ou moins explicitement révélée par Dieu lui-même dans l'Ecriture Sainte, la damnation de personne n'est absolument sûre.
Le Saint-Siège en a donné une preuve curieuse, il n'y a pas longtemps, à l'occasion du procès de béatification d'un grand serviteur de Dieu, le P. Palotta, qui a vécu et est mort à Rome dans les sentiments d'une admirable sainteté, sous le Pontificat de Grégoire XVI. Un jour, le saint prêtre accompagnait au dernier supplice un assassin de la pire espèce, qui refusait obstinément de se repentir, qui se moquait de Dieu, blasphémait et ricanait jusque sur l'échafaud. Le P. Palotta avait épuisé tous les moyens de conversion. Il était sur l'échafaud, à côté de ce misérable ; le visage baigné de larmes, il s'était jeté à ses genoux, le suppliant d'accepter le pardon de ses crimes, lui montrant l'abîme béant de l'enfer dans lequel il allait tomber : à tout cela, le monstre avait répondu par une insulte et par un dernier blasphème et sa tête venait de tomber sous le fatal couperet. Dans l'exaltation de sa foi, de sa douleur, de son indignation, et aussi pour que cet affreux scandale se changeât pour la foule des assistants en une leçon salutaire, le saint prêtre se releva, saisit par les cheveux la tête ensanglantée du supplicié, et la présentant à la multitude : « Tenez ! s'écria-t-il d'une voix tonnante ; regardez-bien : voici la face d'un réprouvé ! »
Ce mouvement de foi était certes bien concevable, et en un sens, il était très admirable. Il faillit cependant, dit-on, arrêter le procès de béatification du Vénérable P. Palotta ;
tant l'Eglise est Mère de miséricorde, et tant elle espère, même contre l'espérance, dès qu'il s'agit du salut éternel d'une âme !
C'est là ce qui peut laisser quelque espérance et apporter quelque consolation aux véritables chrétiens, en présence de certaines morts effrayantes, subites et imprévues, ou même positivement mauvaises. A ne juger que l'apparence, ces pauvres âmes sont évidemment perdues : il y a tant d'années que ce vieillard vivait loin des sacrements, se moquait de la Religion, affichait l'incrédulité ! Ce pauvre jeune homme, mort sans pouvoir se reconnaître, se conduisait si mal, et ses moeurs étaient si déplorables ! Cet homme, cette femme, ont été surpris par la mort dans un si mauvais moment, et il parait si certain qu'ils n'ont pas eu le temps de rentrer en eux-mêmes ! N'importe : nous ne devons pas, nous ne pouvons pas dire d'une manière absolue qu'ils sont damnés. Sans rien relâcher des droits de la sainteté et de la justice de Dieu, ne perdons jamais de vue ceux de sa miséricorde.
Je me rappelle à ce sujet un fait bien extraordinaire, et tout à la fois bien consolant. La source d'où je le tiens, est pour moi un sûr garant de sa parfaite authenticité.
Dans un des meilleurs couvents de Paris, vit encore aujourd'hui une Religieuse, d'origine juive, aussi remarquable par ses hautes vertus que par son intelligence. Ses parents étaient israélites, et je ne sais comment, à l'âge d'environ vingt ans, elle se convertit et reçut le Baptême. Sa mère était une vraie juive ; elle prenait sa religion au sérieux, et pratiquait d'ailleurs toutes les vertus d'une bonne mère de famille. Elle aimait sa fille avec passion.
Lorsqu'elle apprit la conversion de sa fille, elle entra dans une fureur indescriptible ; à partir de ce jour, ce fut un déchaînement non interrompu de menaces et de ruses de tout genre pour ramener « l'apostate », comme elle l'appelait, à la religion de ses pères. De son côté, la jeune chrétienne, pleine de foi et de ferveur, priait sans cesse et faisait tout pour obtenir la la conversion de sa mère.
Voyant la stérilité absolue de ses efforts, et pensant qu'un grand sacrifice obtiendrait, plus que toutes les prières, la grâce qu'elle sollicitait, elle résolut de se donner tout entière à JESUS-CHRIST et de se faire Religieuse ; ce qu'elle exécuta courageusement. Elle avait alors environ vingt-cinq ans. La malheureuse mère fut plus exaspérée que jamais et contre sa fille et contre la religion chrétienne ; ce qui ne faisait qu'augmenter l'ardeur de la nouvelle Religieuse, pour conquérir à DIEU une âme aussi chère.
Elle continua ainsi pendant vingt ans. Elle voyait sa mère de temps en temps ; l'affection maternelle était un peu revenue ; mais du moins en apparence, aucun progrès du côté de l'âme.
Un jour, la pauvre Religieuse reçoit une lettre qui lui apprend que sa mère vient d'être enlevée par une mort subite. On l'avait trouvée morte dans son lit.
Décrire le désespoir de la Religieuse serait chose impossible. A moitié folle de douleur, ne sachant plus ce qu'elle faisait ni ce qu'elle disait, elle court la lettre à la main, se jeter au pied du Saint-Sacrement ; et lorsque ses sanglots lui permettent de penser et de parler, elle dit, ou plutôt elle crie à Notre-Seigneur : « Mon DIEU ! est-ce donc ainsi que vous avez eu égard à mes supplications, à mes larmes, à tout ce que je fais depuis vingt ans ? » Et lui énumérant, pour ainsi dire, ses sacrifices de tout genre, elle ajoute, avec un déchirement inexprimable : « Et penser que malgré tout cela, ma mère, ma pauvre mère est damnée ! »
Elle n'avait pas achevé, qu'une voix, sortie du Tabernacle, lui dit avec un accent sévère : « Qu'en sais-tu ? » Epouvantée, la pauvre Soeur reste interdite. « Sache, reprit la voix du Sauveur, sache, pour te confondre et tout à la fois pour te consoler, qu'à cause de toi, j'ai donné à ta mère, au moment suprême, une grâce si puissante de lumière et de repentir, que sa dernière parole a été : « Je me repens et je meurs dans la religion de ma fille ». Ta mère est sauvée. Elle est en Purgatoire. Ne te lasse point de prier pour elle ».
J'ai entendu raconter, plus d'un fait analogue. Quelle que soit l'authenticité de chacun en particulier, ils témoignent tous d'une grande et douce vérité, à savoir qu'en ce monde la miséricorde de DIEU surabonde ;
qu'au dernier moment, elle fait un effort suprême pour arracher les pécheurs à l'enfer ; et qu'enfin ceux-là seuls tombent entre les mains de l'éternelle justice, qui refusent jusqu'à la fin les avances de la miséricorde.